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Titre du blog : Littérature assassine...
Auteur : LazloSprand
Date de création : 23-11-2008
 
posté le 03-01-2015 à 01:19:37

Chapitre 1er : Paul

Les éclats rougeoyants de l’agonie quotidienne des derniers feux du soleil couchant dessinaient sur le visage d’Angelina des motifs enjôleurs. La courte natte de ses cheveux couleur corbeau dansait doucement dans son dos alors que la frange noire et or ombrageant son front noyait ses yeux clairs et fiers dans une obscurité insondable. Une veste brune négligemment jetée sur ses épaules masquait sa taille fine. Une sacoche portée en bandoulière dont la sangle rehaussait sa poitrine semblait être son seul souci à cette minute. Sa marche vive et déterminée laissait entrevoir par instant de longues et douces jambes exquises. Elle passa devant un petit restaurant de quartier accueillant : une douce mélodie s’élevait encore alors qu’elle s’éloignait.

Elle repensa à la soirée de la veille : avec des amis du lycée, elle était venue prendre un peu de bon temps dans ce petit estaminet. Un homme sans âge, aux longs cheveux blanc mais à l’allure jeune, jouait du piano ou un air de guitare pour créer une ambiance plus intimiste. Alors qu’ils attendaient leurs desserts, le musicien attaqua un morceau qui fit tiquer James, un de ses amis, lui-même pianiste et apprenti violoniste. Tandis qu’il appréciait, en connaisseur, le jeu tout en délicatesse et en volupté tranchant avec la fougue du morceau, elle lui demanda quelle composition était interprétée. Il sourit et se leva sans répondre dans un premier temps, invita sa voisine, Kate, à danser et passant derrière elle lui souffla la réponse à l’oreille. Les danses hongroises de Brahms…

Un bruit la tira de sa rêverie et elle se retourna, sa bouche figée dans une expression incertaine alors que ceux qui la suivaient s’évanouissaient dans l’ombre d’une ruelle… Les gangs. Elle prit peur. Les voyous n’étaient pas connus pour leur courtoisie ou leur patience. La plupart des mauvais garçons qui les composaient ne rêvaient même pas, pour la plus part, d’obtenir un jour un seul sourire d’une jeune fille « du centre » comme ils disaient eux-mêmes. Non, le problème était qu’en groupe le peu d’intelligence dont ils faisaient parfois preuve semblait s’évanouir inexplicablement et leur esprit perverti leur soufflait alors des rêves inavouables et des fantasmes inaccessibles. Sauf dans certains cas en certains lieux. Alors quelques jeunes filles se voyaient faire certaines propositions qu’on ne peut pas refuser… Elle reprit sa route vers l’appartement familial en essayant de paraître le plus pressée possible et en évitant un maximum les rues endormies dans une pénombre inquiétante. Elle devait dormir, la rentrée au lycée était prévue pour le lendemain et il fallait qu’elle soit prête…

Quelqu’un s’approcha d’elle, se détachant d’un mur sombre, l’allure menaçante. Elle le regarda s’arrêter sur sa route puis remarqua qu’une autre personne la suivait à nouveau. Elle resta sur place un instant pour évaluer la situation puis recula précipitamment dans une petite artère sur sa droite. Ils étaient trois à présent. Elle se mit à courir vers la grande rue éclairée sur laquelle débouchait la venelle par où elle avait fuit. L’un des hommes la rattrapa et l’attrapa par le bras. Elle se débattit mais il la retourna violemment puis la lâcha pour mieux pouvoir la frapper au visage. Le coup ne l’atteignit jamais : un quatrième homme stoppa le bras de l’agresseur en pleine course en le frappant avec une cane et riposta sans sommation envoyant l’agresseur à terre d'un revers. Ses longs cheveux de neige dansaient autour de lui. Sans lui jeter un regard, il lui lança un étui de guitare puis ramena ses deux mains sur le pommeau de sa cane. Il semblait décontracté. Il ne souffla mot mais elle sut instinctivement ce qu’il voulait dire. Elle agrippa la poignée de l’étui à deux mains puis prit ses jambes à son cou et s’élança vers la grande rue. Lorsqu’elle l’atteignit, elle s’immobilisa en voyant une dizaine de motos se rassembler. Celui qui semblait être le chef la vit et fit signe au groupe de l’éviter puis ils allumèrent leur phare avant et firent gronder leur moteur en s’engouffrant dans la ruelle. Au passage, le chef s’arrêta à côté d’elle, lui donna une petite tape qui se voulait réconfortante sur l’épaule puis lui glissa quelques mots à l’oreille avant de repartir. Elle resta un moment interdite puis se ressaisit et fila à travers la ville largement éclairée par la fée électricité, la sacoche en bandoulière et l’encombrant étui en main.

Il y eut un soir, il y eut un matin…


Les nuages sombres reflétant la douceur d’une lueur de  fin d’été marquaient lentement des immuables empreintes du temps l’imposant édifice de pierre et de tuile aux barreaux de fer et d’acier. Le silence et l’obscurité incertaine sont porteurs de réconfort et de conseils, l’intérieur d’une salle de classe dans la pâle lueur de l’aube  a ceci d’émouvant qu’elle regorge de mystères ainsi que d’une certaine atmosphère à la fois studieuse, décontractée et mystérieuse. Paul ne dormait pas, il attendait patiemment le corps balancé en arrière sur sa chaise, s’imprégnant peu à peu de l’essence même des lieux : les yeux fermés, le visage au traits fins et réguliers détendu et les mains simplement jointes sur le ventre…

Kate replaça une mèche de cheveux roux qui lui barrait le visage et déposa son sac sur un pupitre de la deuxième rangée. Son physique naturel et le feu de sa chevelure l’avaient longtemps condamnée à subir les incessantes avances de nombreux minables en quête d’une amourette à la petite semaine. Tout cela avait changé avec sa rencontre d’Angelina, Floyd et, surtout, James qui avaient remis bon ordre à tout cela. Elle se rendit soudain compte qu’elle n’était pas seule comme elle le pensait : un autre élève était présent, assis dans un coin. Son uniforme bleu marine était impeccable et prouvais à lui seul qu’il était nouveau dans l’établissement : aucun élève ne le portant plus depuis que celui-ci fut déclaré facultatif par l’administration l’année précédente. D’abord étonnée qu’un autre élève arriva, comme elle, largement en avance pour le début des cours, elle s’avança vers lui mais au moment où elle allait lui parler il releva la tête, lentement bougea et arrêta son doigt devant sa bouche pour lui intimer le silence…

Une légère brise caressa la joue de James alors qu’il entrait dans la cour du lycée. Il estima rapidement la situation dans laquelle il se trouvait : il allait encore une fois se retrouver dans la même classe qu’Angelina et Floyd, heureusement que Kate serait également avec lui. La vie ne serait de toute manière pas aussi amusante sans ces trois là – surtout sans Kate. Deux jeunes lycéennes se retournèrent sur son passage mais il n’en avait cure : ses cheveux châtain coupés mi-court laissaient entrevoir un front fier et droit. Il avait tout du dandy de la beauté par omission et raffinement à l’intelligence et la culture par goût de contradiction et esprit d’anticonformisme, de fait ses références étaient d’un hétéroclisme rare chez une personne de son âge et il aimait particulièrement cet aspect de sa personne. Plus frêle que Floyd il le dépassait de quelques centimètres. Il poussa la porte de la salle alors que la cloche sonnait. Trois personnes étaient déjà présentes. Angelina et Kate discutaient assises au deuxième rang. James les embrassa avant de jeter un coup d’œil à la troisième personne.

Floyd jeta un coup d’œil à droite puis à gauche avant d’ignorer le feu qui lui interdisait le passage. Arriver en retard le premier jour de cours n’était ni une bonne idée, ni une habitude pour lui et cela le mettait mal à l’aise. Il prit une profonde inspiration et accélérant dans la descente qui débouchait sur la place où se trouvait l’entrée du lycée. Il pouvait voir la porte encore ouverte. Il ne freina pas en fin de parcours et dérapa finalement en faisant fortement tournée son vélo de manière à ralentir sans s’immobiliser. Manquant de perdre l’équilibre il se récupéra sur le pied gauche avant de se stabiliser sur le pied droit. Il descendit rapidement, accrocha son engin parmi les autres garés devant l’établissement et se jeta à l’intérieur. Décoiffant ses cheveux blonds en passant sa serviette sur sa tête, il consulta sa montre, poussa un soupir de frustration, agrippa plus fermement son sac puis accéléra tout en reboutonnant sa veste d’uniforme et gravit quatre à quatre l’escalier menant à l’étage des sophmones. Il vérifia d’un coup d’œil son affectation et traversa le couloir pour s’engouffrer dans la pièce avant que le professeur ne ferme la porte. Ses yeux bleus métalliques parcoururent méthodiquement l’assemblée des élèves qui allaient partager avec lui le même enseignement durant un an. Angelina, James et Kate en étaient. Il sourit : l’année n’allait pas être si désagréable que cela en définitive. Il s’avança dans les allées et remarqua deux nouveaux parmi les élèves : le premier dépassait facilement le mètre quatre-vingt cinq et semblait engoncé dans une veste trop petite ; le second lui rappelait vaguement quelqu’un…

L’attente silencieuse de Paul fut interrompue par l’entrée d’une jeune fille dont la chevelure semblait être ardente. Elle ne le remarqua tout d’abord pas puis s’approcha de lui mais il lui fit signe de faire silence. Elle le dévisagea quelque peu surprise mais se tu. Un instant plus tard, elle lui fit signe de lui montrer pourquoi il voulait le silence. Sans bouger de sa chaise, Paul lui indiqua le coin de la pièce. Une poche d’eau s’était formée et une goutte tombait à intervalle régulier sur un plat métallique. La nature du plat échappa à Kate mais le son, que produisait la chute de la goutte sur lui, était effectivement relaxant. Elle sourit et s’assit également sur une chaise non loin du coin. Quelques minutes plus tard, une seconde personne entra, une jeune fille encore, mais pas une inconnue cette fois, même si Paul ne parvint pas à se souvenir de son nom.

La sonnerie carillonna, la salle peu à peu se remplissait. Peu après le professeur entra suivit d’un ultime retardataire. Paul se leva, dévoilant son mètre soixante-quinze. Il remarqua les jumeaux : Phoebe, une jeune fille timide et aux cheveux d’un blond pur coupés en carré portant une robe bleu marine et une veste rouge et blanche et Pierce, un garçon pareillement blond mais plus espiègle, vêtu de manière très exceptionnelle de l’uniforme –  il avait d’ailleurs fait parti des brillants, du moins c’est ce qui avait semblé, avocats qui avaient plaidé, et obtenu, l’année précédente un usage facultatif de celui-ci – en ce premier jour de cours. Il leur fit un signe de tête discret mais il n’alla pas vers eux. Il regagna, rapidement, sa place au troisième rang dans le coin gauche face au bureau du maître et à côté de la fenêtre, personne n’était assis à la même table.

Le professeur d’Anglais, Mrs Abot, vérifia rapidement la liste des élèves en faisant l'appel. Les nouveaux élèves étaient particulièrement rares d'une année sur l'autre et les professeurs connaissaient généralement bien la majorité des étudiants assistants à leur cours. Elle releva donc la tête au moment où elle lut le nom de Paul.

« Wyss ? Seriez-vous parent d’Edwin et de Jonathan Wyss ?

Jonathan Wyss est mon père et Edwin Wyss, mon oncle, Madame.

- Votre père était un élève brillant, peu de mes étudiants comprenaient aussi bien Shakespeare ou Hemingway.

- Merci, Madame.

- En attendant, il est fortement agaçant de voir un nouvel élève seul dans son coin. Levez-vous et venez vous asseoir à côté de Miss Versatch. Oui, oui ici, dépêchez-vous un peu, je vous prie. Bien. Prenez vos livres et lisez rapidement le plan du cours qui nous est proposé. »

Paul s'assit prestement à la place qui lui était indiquée et ouvrit son manuel pour chercher la page indiquée. Le cours se composait principalement de l'étude des œuvres de quelques grands noms de la littérature, du théâtre et de la poésie anglo-saxonne et principalement britannique : Kipling, Amis, Fleming, l'opposition entre Lakistes et Poètes Maudits, le théâtre de Marlowe et de Shakespeare mais également les américains Penn, Brown, London, O'Hara, Fitzgerald ou Hemingway.

Paul soupira. Même s'il appréciait beaucoup les cours de littérature, le fait d'être constamment comparé à son père jusqu'au moment de la remise des copies le gênait. Il lui semblait parfois que son père avait été un élève modèle, sérieux, appliqué et discipliné, ce dont il doutait fort. Son père n'était pas vraiment un modèle, plus un exemple dans certaines situations assez particulières et facilement énumérables. Et il est véridique que ses exploits littéraires étaient encore une source d'interrogations pour certains.

Une leçon vers la fin du programme l'interpella. "Initiation à la Poésie étrangère." Il sourit et tourna silencieusement les pages. "Los verbos mas tristes" de Pablo Neruda, "Pour toi mon amour" de Prévert, "Chanson d'automne" de Verlaine et "la Mort" de Baudelaire, ces poèmes ne lui disait rien, il ne lisait ni ne comprenait l'espagnol ou le français de manière à pouvoir entrevoir leur beauté.

Angelina profita de sa position pour se faire une idée de ce nouveau qui impressionnait tant Kate : calme, attentif et confiant étaient les premiers mots qui lui venaient à l’esprit. Beau aussi, quelconque au premier regard mais d’une beauté simple, naturelle avec un côté irréfléchie. Il se démarquait ainsi de personnes comme James, beaucoup plus raffinées et recherchées, ou Pierce qui brillait plus par des fulgurances incontrôlées qui lui venaient à l’esprit. Elle ressentait parfaitement ce qui avait intrigué son amie : même sans un mot, sans beaucoup plus qu’un regard ou qu’un geste, ce garçon dégageait un magnétisme qui le rendait différent. Elle n’aurait pas su dire à quoi cela tenait mais cette impression lui paraissait évidente.

Paul grimaça, il était certain que, comme les années précédentes dans l’établissement qu’il avait fréquenté, ce type de leçon serait remis à la fin de l’année, à la condition que le programme soit correctement avancé. Il parcourut à nouveau la liste des œuvres étudiées et remarqua, sans surprise, qu’il en avait déjà étudié la quasi-totalité, à quelques exceptions près qu’il aurait d’ailleurs pu compter sur les doigts d’une seule main.

Mrs Abot observait du coin de l’œil son nouvel élève. Elle se doutait qu’elle n’avait pas à craindre de lui une dissipation excessive ou un comportement frondeur. Les éléments présents à son dossier faisaient foi. Ainsi si la plupart des vénérables professeurs qu’il avait eu s’accordaient pour relever une certaine maturité et une indépendance intellectuelle peu commune aux étudiants de son âge, aucun ne notait le moindre problème tenant à sa tenue ou à son expression dans l’enceinte de la classe ; à peine se permettaient-ils de regretter une participation orale dont la qualité aurait appelé la quantité.

Elle n’était néanmoins pas sûre de la méthode à employer avec lui. Son père lui avait en son temps posé la même difficulté, jusqu’à ce qu’elle le retrouve à l’arrière du lycée lisant et fumant de la marie-juana. Elle avait confisqué la drogue et renvoyé l’élève à l’infirmerie tout en conservant le livre auquel il semblait porter un attachement particulier. Elle se souvenait encore de ce vieux livre rapiécé à la tranche brisée réparée au papier adhésif. Elle se souvenait surtout de sa surprise lorsqu’elle avait consulté le contenu de l’ouvrage et constaté qu’il s’agissait d’un psautier.

Elle connaissait cependant le faible du père et ne doutait pas que la même chose produise le même effet sur le fils. Elle referma son propre manuel et commença d’expliquer le plan du cours qu’elle comptait suivre. Elle remarqua avec un certain contentement les sourires des élèves, cette façon d’enseigner, en maniant habilement la carotte et le bâton, avait toujours été une de ses satisfactions personnelles.

Angelina était sûre de l’avoir déjà vu auparavant. Le premier cours se déroula sans anicroche. Elle crut déceler un vague sourire sur son visage quand Mrs Abot annonça qu’ils étudieraient une heure par semaine la littérature étrangère. Elle remarqua que s’il n’était pas totalement indifférent envers les autres élèves, il était évident qu’il faisait son maximum pour paraître transparent : il répondait en peu de mots aux questions posées si le professeur l’interrogeait et s’arrangeait pour être le plus courtois et attentionné possible sans lâcher un mot. Elle attendit donc l’inter-cour pour établir un contact.

« Paul ?

- Oui. Angelina, c’est ça ?

- Oui. Tu viens de quel établissement ?

-  Preston School et toi ?

- Je suis ici depuis l’an dernier. Tes parents font quoi ?

- Rien.

- Ils sont au chômage ?

- Ils sont morts. »

Angelina se mordit la lèvre inférieure et s’abstint de tout commentaire. Elle nota qu’il suivait les cours de statistiques en matière fondamentale et qu’il devait connaître Pierce.

Elle profita de la pause de l’après-midi pour revenir chez elle et examiner la guitare du vieil homme pour pouvoir, peut-être, la lui rendre. Aucun élément ne permettait de déterminer l’identité de la personne, ses habitudes ou son adresse. Cependant une étiquette placée à l’intérieur de l’étui lui indiqua où celui-ci avait été acquis. Elle décida d’y passer dans la soirée considérant que l’homme pouvait être un client récurent.

Ses cours de l’après-midi ne lui laissèrent que peu de souvenirs hors mis le fait qu’elle fut heureuse de retrouver Kate et une autre amie, Laurence, lors de son option dessin. Revenant chez elle, elle posa ses affaires et ressortit en portant le volumineux étui par sa poignée. Le magasin n’est pas situé très loin de là où elle habitait. Et dans le même immeuble où elle allait emménager remarqua-t-elle.

La boutique en elle-même lui sembla d’abord immense. Elle couvrait la quasi-totalité du rez-de-chaussée d’un bâtiment à quatre étages des années soixante-dix. Une douce odeur de bois séché, de cire, de vernis et de vieux livres la fit frémir lorsqu’elle entra. Des dizaines de guitares étaient exposées dans les hauteurs des étagères alors que les niveaux plus bas étaient emplis de disques, livres et magasines dont la plupart lui était inconnue. Une caverne d’Ali Baba fut la première image qui lui vint à l’esprit pour désigner l’endroit.

Dans un coin sombre seulement éclairé par une lampe électrique d’une jeunesse relative, un jeune homme travaillait, penché sur une table de bois poussiéreuse, s’escrimant avec les mécaniques d’un instrument traditionnel. Levant les yeux, il la remarqua mais ne bougea pas, se contentant de lui demander si elle désirait quelque chose en particulier ou si elle voulait un renseignement. Elle lui montra l’étui et lui expliqua en quelques mots comment celui-ci c’était retrouvé en sa possession.

« Que vous a dit le motard ? se fit simplement précisé le vendeur en l’ouvrant.

- « Fais-y attention » et « rentre vite chez toi. »

- Hum… A première vue, la guitare n’a rien. » Il la sortit et l’inspecta minutieusement. Paraissant satisfait, il caressa doucement les cordes et les retendit légèrement pour les accorder. « Vous voulez la laisser ici ? Je veillerais à ce qu’elle lui soit remise lorsqu’il repassera.

- Ça ne vous dérange pas ? s’enquit-elle.

- Si je vous le propose…

- Merci. Connaissez-vous son nom ?

- Sue Stovell…

- Sue ? Ce n’est pas un prénom de fille ?

- Si mais je te conseille de ne pas trop le relevé. C’est un musicien de country, de jazz et de blues ambulant qui traîne de bars en bars. Pourquoi tu veux savoir ça ?

- Je voudrais le remercier, vous savez où il habite ?

- Non, personne ne le sait vraiment. Et ne t’inquiète pas, le simple fait de lui avoir ramené sa guitare va déjà le réconforter.

- Vous savez où il va jouer ce soir ?

- Peut-être au Whit-Pub, à l’Irish Café ou Central-Pub, qui sait ? » répond-il.

Elle demeura un instant à regarder les instruments rangés dans les étagères puis salua et partit.

Il y eut un soir, il y eut un matin…



Angelina soupira en tirant son cahier et le posa au jugé sur son bureau. Ses paupières étaient encore lourdes et le coin de ses yeux jaune de sommeil.

« Fatiguée ? »

Elle sursauta. Paul la regardait du coin de l’œil. Elle se fit la réflexion que lui aussi semblait avoir eu des difficultés à se réveiller.

« Je me suis couché plus tard que d’habitude.

- Tu as déjà commencé à étudier ?

- Non, je suis allée écouter de la musique dans un café après le dîner.

- Oh, intéressant. Tu es une sorte de groupie d’un groupe quelconque ? »

Angelina voulut lui lancer une réplique cinglante mais elle se rendit compte que le ton employé n’était absolument pas péjoratif, à peine était-il emprunt d’une certaine curiosité.

« Non, mais j’aime beaucoup les chansons que joue un musicien qui tourne dans les bars de mon quartier, elles sont douces, reposantes et pourtant quand je les entends j’ai l’impression que je vais mieux.

- Quel est le nom de ce musicien ?

- Sue Stovell. Tu veux l’entendre toi aussi ?

- Si l’occasion se présente, » répondit-il en esquissant un sourire.

« Tu t’intéresses à la musique ? demanda-t-elle après quelques instants.

- J’écoute quelques disques de temps à autres.

- Quel genre de disques ?

- Des vieux trucs… un peu comme tout le monde, je pense. »

Angelina remarqua que sans son uniforme Paul semblait effectivement sortir tout droit des années cinquante ou soixante : les cheveux ramenés en arrière, une barbe de trois jour assombrissant ses joues, un tee-shirt noire, un jean coupé droit et des chaussures noires sans lacets. Un blouson de cuire était posé sur le dossier de sa chaise. Ses yeux bleu glace brillaient de sommeil.

Elle sortit un petit miroir de son sac.

« Tu comptes te maquiller maintenant ?

- Je suis déjà maquillée…

- Ah… non parce que le prof te regarde, » dit-il en se couchant sur sa table.

Angelina rougit en remettant son miroir dans sa poche. Mais le professeur Mr Jiffyme l’avait vue.

« Miss Versatch ! Je ne vous demande qu’un peu d’attention mais cette attention je requière.

- Euh… Oui, monsieur.

- Il est toujours comme ça ? demanda Paul entre ses dents.

- Oui…

- Mon Dieu… »

Le cours était horrible, le professeur, un japonais ne dépassant pas le mètre soixante sur un escabeau, présentait une double difficulté : des tics de langages improbables et une capacité insoupçonnable à détailler oralement son autobiographie. Mais son cours polycopié était de loin le meilleur.

Leur seconde leçon de la matinée avait lieu à l’étage supérieur, celui des lettres avec le jovial Mr Yokache. Vieux semblait un qualificatif inapproprié, démodé également car l’élégance tranquille dont il faisait preuve était indémodable, mais le concept de fringant quinquagénaire lui allait a contrario comme un gant.

Son œil était restait vif. Sa mémoire et son intelligence intacte. Son humour et son sens inné de la pédagogie lui conservaient toujours une place particulière dans le cœur de ses élèves. Il était en quelques sortes encore ce jeune étudiant bombardé sur le bord de la scène face à un parterre oisif de jeunes gens. Ceux-ci préféraient pour la plupart la sécurité rassurante d’un lit bien chaud au côté du quel trônait, sur la table de chevet, un roman d’aventures dont on espérait bien qu’elles auraient le bon goût d’y demeurer, à qui, il prenait un malin plaisir à crier : « Carpe diem ! » en sautant à pied joins sur son pupitre.

Mr Yokache se trompait rarement. Il aimait tous ses élèves, mêmes les plus difficiles, car chacun d’eux représentait pour lui une nouvelle série d’étonnements et de satisfactions. Mais il lui arrivait néanmoins de ressentir parfois un certain malaise lorsqu’il lisait les fiches de renseignements qu’il demandait tous les ans à ses élèves lors de sa première leçon. Toutes faisaient ressortir des détails que l’on n’aurait pas, sans cela, même soupçonnés. Il avait souvent ri en les lisant pendant sa pause de midi ou en les reprenant au propre le soir dans le grand cahier qu’il tenait chez lui, après les avoir soigneusement classées dans un petit classeur numéroté. Mais aucune n’avait jamais été aussi loin de la réalité ou du moins de ce qu’il avait pu en voir. Il reprit, pour la troisième fois, la fiche et la parcourut des yeux puis n’y tenant plus, se releva, alla fermer la porte de son bureau, revint vers sa table de travail, prit la feuille et son briquet et s’approcha de la fenêtre qu’il ouvrit. Il alluma le briquet dont il fit passer la flamme derrière la feuille de papier lentement. Rien ne se produisit. Il s’y attendait un peu, remarqua-t-il. Quel élève aurait-il eut l’idée d’écrire avec de l’encre sympathique ?

Il se faisait vieux songea-t-il soudain. Mais son instinct était pourtant clair : il était aussi sur que cet élève ne faisait, comme l’indiquait sa fiche, strictement rien d’autre que de suivre ses études que de voir Fidel Castro danser la polka avec Georges W. Bush. Mais cette thèse était recevable et, comme toutes les thèses, parfaitement défendable…

Il sourit. Paul Wyss ? Un garçon à suivre pensa-t-il en jetant par la fenêtre le morceau de papier enflammé.

Paul flânait dans les rues autour du lycée. Il n’était pas rentré pour déjeuner se contentant d’un sandwich, d’un soda et d’un fruit. Il aimait profiter ainsi du début de l’après-midi pour fureter dans les magasins à la recherche d’un vieil album de blues ou de jazz, d’un livre ou d’une antiquité quelconque.

Il aperçut au détour d’une artère, l’enseigne d’un nouveau magasin de guitare. Il s’approcha avec curiosité et observa avec un œil critique la vitrine. Rien de particulier pour ce qui était des modèles proposés mais parmi ceux-ci, l’un d’eux attira son attention : une mandoline toute simple à peine protéger à l’aide d’un verni transparent.

Paul entra. Personne n’étant visible, il commença par une rapide estimation des autres instruments présentés. Un vendeur sortit de l’arrière salle.

« Bonjours, monsieur, j’aimerais essayer cette mandoline, puis-je ?

- Vas-y mon gars, » répondit l’homme.

Paul la prit et releva ses manches pour être plus à l’aise.

« Eh ! mon gars, c’est une jolie montre que tu as là dis-moi. Un souvenir de famille ?

- La montre de mon père.

- Ton père ?

- Jonathan Wyss… Vous le connaissiez ? » fit-il pardessus son épaule.

Il entendit un bruit de verre brisé et se retourna juste à temps pour voir l’homme courir vers lui. Il fit un bond de côté en lâchant la mandoline et cria :

« Mais vous êtes malade. Qu’est-ce qui vous prend ?

- Sors de chez moi ! hurla l’homme. Sors et ne reviens plus jamais ici sinon je te ferais sortir sur une civière tu m’as bien compris !

- Non mais on peut peut-être parler…

- Dégage ! »

Paul sortit sans chercher plus d’explications et regarda encore l’enseigne : « Guitares Stowell. »