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Titre du blog : Littérature assassine...
Auteur : LazloSprand
Date de création : 23-11-2008
 
posté le 03-01-2015 à 01:35:22

Chapitre 2 : Angelina

« Tu penses vraiment qu’on va la faire cette maquette ?

- Pour le cd ? A priori Keith et Anna sont motivés, non ?

- J’espère, c’est quand même eux les patrons, répondit Paul en lâchant sa manette et en se balançant en arrière pour se coucher sur le dos.

- Ouais, j’ai des doutes parfois, fit Pierce. A part ça, en cours ça va ?

- On est dans la même classe si tu as remarqué. D’ailleurs pourquoi tu voulais dormir ici ce soir ?

- Phoebe se demandait comment ça allait, tu ne parles pas beaucoup ces temps-ci.

- Moins que d’habitude ?

- Moins que pendant le festival de juillet par exemple…

- Je te rappel que j’étais complètement à l’ouest à ce moment-là. Je ne me sais même plus ce qui c’est vraiment passé et ce que j’ai imaginé pendant cinq semaines sur les huit des vacances et j’ai bloqué pendant deux semaines à l’hosto.

- Les vacances ont été rock’n roll, normal pour un guitariste comme toi, non ?

- Arrête ! c’est horrible ce sentiment d’avoir tout oublié. D’avoir un trou dans sa mémoire, dans sa vie… Tiens par exemple : Angelina, j’ai l’impression de la connaître d’avant mais impossible de me souvenir où, quand et comment je l’aurais connue.

- T'as vraiment aucun souvenir ? Remarques, tu l'as peut-être connue au jardin d'enfants.

- C'est quoi cette réponse, je devrais la connaître ?

- Non mais vous vous entendez bien, non ?

- Ouais mais c'est juste un exemple. » Paul se retourna et attrapa une guitare qui traînait sur une chaise. « Bon, on s'y remet à cette chanson ?

- Je peux finir le mercenarise avec Krauser ? demanda Pierce en changeant de cd dans la console.

- Donc, tu m'as dit en mi.

- Je laisse sonner puis j’attrape le fa et je glisse en sol avant de faire le chemin inverse et de recommencer.

- Je vois, c’est la première phrase, bon ensuite on pourrait essayer ça en descendant sur la corde de la et celle de ré.

- C’est, une honteuse reprise des Beatles, non ?

- I feel fine, ensuite je reviens lentement dans les graves en pompant un final de Bach…

- Pour le refrain, on reprend la même phrase de départ mais en finissant comme ça avec un son vieux blues tirant sur la country.

- Pierce ?

- Oui ?

- C’est qui la fille ?

- Pardon ?

- Joues pas l’innocent. Tu débarques à l’appartement. Tu demandes si tu peux dormir ici, là tu m’annonces que t’as une idée de chanson pour le groupe et depuis tout à l’heure, tu traînes devant Resident Evil en évitant le plus possible de parler de cette composition dont tu ne m’as donné qu’un morceau de couplet et le refrain et même pas le titre. Alors je te le demande : c’est qui la fille ?

- Jeny…

- ‘tain, j’hallucine. Jeny mais tu réfléchis avant de dégainer tes… hypothèses de sentiments ?

- Je sais…

- Non tu ne sais pas, bordel ! C’est quoi le titre de la chanson ?

- The Old Chapman again…

- Ça te convient bien en plus… T’es con parfois. Jeny, j’y crois toujours pas. T’auras vraiment tout essayé.

- Et toi ?

- Quoi moi ?

- Quelqu’un en vue ? »

Paul soupira, reposa la guitare qu’il avait dans les mains et s’allongea sur son lit tout en tirant un briquet de sa table de nuit et en farfouillant dans son sac pour sortir un étui en argent dans lequel une dizaine de cigarettes roulées étaient soigneusement rangées. Il en prit une, referma et rangea l’étui dans son sac puis alluma la cigarette et cala sa tête sur son oreiller.

« Et si je te disais oui, qu’est-ce qui m’assure que demain en arrivant au lycée tout le monde ne sera pas déjà au courant ?

- Voyons, comment veux-tu que ce soit possible ? Je dors chez toi rappels-toi.

- Depuis quand cela te pose le moindre problème ?

- Je ne dirais rien, je te le promets. Parole de scout, fit-il en faisant un signe de la main droite levée.

- Ouais, j’ai des doutes mais bon ma bonté me perdra. »

Paul tira une bouffé de fumée et pivota légèrement afin de mieux voir la télévision sur laquelle Pierce s’obstinait à s’escrimer contre des hordes de contaminés assoiffés de sang et de chair humaine.

« Je ne sais pas si on peut dire que j’ai quelqu’un en vue comme tu le dis mais je dois bien avouer qu’il y a effectivement trois filles qui me plaisent dans cette classe.

- Trois ? Tu comptes te faire musulman ?

- Idiot.

- Alors qui ?

- Laurence, la rousse qui semble connaître tout le monde personnellement…

- Ouais, elle est sympa mais parfois elle est un peu étrange dans ces réactions.

- Kate…

- Bip ! Mauvaise réponse, elle est déjà avec quelqu’un. Oublie-la, tout de suite.

- Ok.

- C’est qui la dernière ?

- C’est quand même bizarre de parler de ça pendant que tu joues à faire un génocide de « ganados » sur Résident Evil.

- C’est qui la dernière ?

- Angelina… »

Pierce s’étrangla à moitié avec la gorgée d’eau qu’il venait de prendre dans la bouteille en plastique qu’il reposait alors au pied du lit.

« Angelina ? Qu’est-ce que tu lui trouves ?

- T’es dure là, c’en est même excessif. Elle est mignonne, intelligente, mature et elle a le sens de l’humour. En fait, je me demande même pourquoi ce n’est pas toi qui sois sous son charme…

- C’est une amie de Phoebe.

- Une amie de Phoebe ? Pourquoi je l’avais jamais rencontré alors ?

- Paul, je crois qu’il faut que je t’avoue un truc à propos de cet été, tu vois… »

Pierce fut coupé dans son élan par le bruit de la porte de la chambre s’ouvrant à la volée.

« Tentez par un trois contre trois, les mômes ? leur lança Larry, le grand frère de Paul.

- Why not ? répondit Pierce en se levant.

- Tu voulais me dire quoi tout à l’heure ? demanda Paul pendant qu’ils se changeaient rapidement avant de descendre.

- Non rien d’important, je te le dirais plus tard.

- Ah d’accord. »

Trois contre trois. Un basket de rue en d’autres termes. Peu de règles, beaucoup d’engagement et des matchs de dix minutes permettant un turn-over rapide entre les différentes équipes présentes. Une certaine idée du paradis dans une ville où le sport roi est celui des anges et des magiciens.

Des magiciens, on en rencontrait parfois sur ces terrains le soir après les cours ou le travail. Larry et ses amis – Carl, Francis, Peter, Felix, Vivien, Harry, Josh, Andy et Chris – venaient fréquemment se défouler ici, y trouvant d’agréables adversaires… le plus souvent.

Paul et Pierce se joignaient parfois à ses entraînements afin, au moins, de faire le nombre… ou remplacer les absents.

« Il y aura qui là-bas ?

- Pas grand monde, répondit Larry en vérifiant ses clefs. Pa’, Man’, on sort faire un basket.

- Soyez sage.

- Oui pas de problème, je les surveille, cria-t-il. Juste Francis, Harry et Felix, a priori, leur dit-il en fermant la porte. »

Les terrains avaient été construits sur un vaste square situé à deux rues du bâtiment dans lequel ils habitaient. Convenablement éclairés et correctement grillagés, ils bénéficiaient au plus grand nombre jusqu’à des heures avancées.

« Tu reprends quand les cours quand Larry ? demanda Pierce alors qu’ils arrivaient.

- La semaine prochaine, début septembre.

- Dernière année dans ton école de musique à la faculté ?

- Ouais comme ça je resterais ici. J’aurais juste à monter à San Francisco pour faire un ou deux stages.

- Et Jane, elle fait quoi cette année ?

- Elle finit son cursus en lettres à la fac. »

Jane, la fiancée de Larry, le connaissait depuis le lycée et avait vu grandir Paul, Pierce et Phoebe depuis cinq ans, devenant une sorte de grande sœur, toujours très gentille et attentionnée bien que parfois un peu directrice. Phoebe l’adorait et n’aimait rien plus que leurs longues sessions de shopping durant les soldes.

Pierce éprouvait le plus grand respect – chose extrêmement rarissime – pour les amies et les activités favorites de sa sœur jumelle et, malgré un esprit taquin, prenait fréquemment son parti bien que cette position ne soit pas forcément la plus évidente a priori. A contrario, la réciproque n’était que rarement vraie, Phoebe ne soutenant qu’avec parcimonie son frère.

Paul s’amusait inlassablement des disputes et des réconciliations des jumeaux. L’importante différence d’âge entre lui et Larry – cinq ans – avait entraîné une particulière implication de celui-ci dans son éducation. Il avait, d’une certaine manière, été un deuxième père pour lui.

Larry était toujours l’épaule réconfortante sur laquelle il pouvait poser son front quand il ressentait du chagrin. Jane était pour lui plus la confidente, la conseillère qui l’avait plus d’une fois tirée d’un mauvais pas par une réflexion avisée.

La soirée était déjà avancée quand ils revinrent à l’appartement sur la pointe des pieds. Le calme silence de l’entrée fit douter durant un instant Larry.

« Paul, je ne t’aurais pas dit quelque chose que je devais faire ce soir ?

- Comme aller au cinéma avec Jane ?

- C’était ce soir ?

- Ben, vous aviez annulé non ? Sinon pourquoi on aurait fait le basket ?

- Je crois que je suis dans une situation peu enviable, » fit Larry en posant la main sur la poignée de la porte de sa chambre. Il leur fit un large sourire et poursuivit : « Souhaitez-moi bonne chance. » Et il entra.

Ils attendirent un instant, afin de connaître l’issue de la situation, puis ayant entendu le bruit caractéristique d’un coussin, jeté sur une personne, retombant sur le sol, ils échangèrent un regard entendu et allèrent se coucher.

« Tu voulais me dire quelque chose, commença Paul une fois confortablement calé dans son lit.

- Ah, oui, répondit paresseusement Pierce. A propos d’Angelina…

- Oui.

- Tu ne te souviens vraiment de rien ?

- De quoi je suis sensé me rappeler à la fin ?

- Oh, de trois fois rien… simplement du fait que vous avait flirté ensemble cette été avant qu’on ne parte pour le festival.

- Tu te fous de moi ?

- Non.

- Et pourquoi elle ne se souvient plus de moi alors ?

- Dois-je te rappeler que cette été tes cheveux étaient au bas mot plus long d’une douzaine de centimètres, qu’ils étaient blond après que tu ais eu l’idée stupide de te faire une couleur pour la fête de fin d’année de ton collège et que ton nez n’était pas encore cassé puisque tu n’avais pas encore rencontré le poing américain de ce charmant guitariste complètement soul du festival…

- Ouais, ça se tient parce que j’ai même pas dû lui donner mon nom à l’époque…

- Ben vous n’avez flirté que pendant deux semaines.

- Ouais… merde.

- Tu l’as dit. Bonne nuit. »

Paul résista à l’envie de lui demander ce qu’il devait faire maintenant qu’il savait que sa voisine de classe était son ancienne petite amie d’un été. Il maudit une nouvelle fois le couple charmant de hippies qu’il avait rencontré lors de ce fameux festival et qui lui avait fait découvrir plus de drogues hallucinogènes en deux semaines qu’il n’avait vu de groupes monter sur scène. Les deux phénomènes étant peut être liés remarqua-t-il. Fatigué, il se retourna et ferma les yeux pour chercher le sommeil. A chaque jour suffit sa peine pensa-t-il et demain sera suffisamment chargé pour justifier un peu de repos aujourd’hui.

Il eut un soir, il y eut un matin…


Angelina regardait fixement son reflet dans le miroir en pensant au seul garçon auquel elle ne voulait plus jamais penser. Paul. Aujourd’hui encore, elle se demandait comment elle avait pu avoir une aventure à la petite semaine avec un guitariste de rock qu’elle n’avait vu qu’une fois en concert et encore plus ou moins par accident puisqu’elle n’aurait jamais dû être dans ce bar ce soir-là. Oui mais elle aimait trop sortir pour danser quand elle voulait se changer les idées. Et puis elle adorait le Boss et sa chanson « Dancing in the Dark, » alors quand elle avait entendu les premières notes de la chanson ses pieds ne lui avaient plus appartenu et quand il l’avait fait monter sur scène pour la faire danser, son cœur avait fondu comme de la neige au soleil.

A ce moment précis, elle aurait donné n’importe quoi pour ne pas avoir vécu ces deux semaines de bonheur insouciant mais également et surtout, les cinq semaines d’attente et de désillusion qui avaient suivis et au terme desquelles elle s’était résignée à admettre qu’elle n’avait été qu’un amour d’un, trop, court été.

Elle se mordit la lèvre inférieure alors que l’image du guitariste lui revenait clairement en mémoire. Étrangement, il ressemblait à Paul, avec des cheveux plus long et blond et puis son nez n’était pas tordu comme s’il avait été cassé. Et puis Paul n’était pas comme ça, cela se voyait : il était distant mais il avait des manières de gentleman comme l’aurait dit James, ce petit plus d’attention qui distingue la politesse de la courtoisie.

Et puis, c’était un ami – un cousin pour être exacte – des jumeaux et donc de Phoebe, ce qui sans être un gage de sainteté était néanmoins celui d’une personne recommandable. Elle se mordit une nouvelle fois la lèvre inférieure en remarquant que c’était du fait de ce type de pensée qu’elle avait flirté avec un idiot égocentrique. Elle soupira et ajusta dextrement une mèche rebelle.

C’était peut-être pour cela qu’elle aimait tant ce guitariste de blues sans âge. Il lui semblait irréel, inatteignable, comme hors du temps. Elle oubliait ses soucis quand elle l’entendait jouer comme si ceux-ci disparaissaient l’espace d’un instant. Elle n’était pas sûre que lui-même le sache mais sa musique l’aidait à aller mieux et à tourner une page qu’elle voulait oublier. Elle ne l’aimait pas lui mais elle aimait sa musique plus que tout autre au monde.

Elle soupira une nouvelle fois. Il était cependant un artiste capricieux à ce qu’elle pouvait en savoir. Ne jouant jamais deux soirs de suite dans le même bar, il débarquait à l’improviste vers dix-neuf heure au volant d’une vieille moto des années soixante-dix et demandait s’il pouvait jouer en échange de sa consommation de la soirée. Il ne donnait jamais de carte, de numéro de téléphone ou d’adresse. Il ne donnait qu’un nom : « Sue Stovell. »

Si le patron acceptait de le laisser jouer, il prenait une chaise, se mettait dans un coin, allumait une cigarette, la bloquait entre les cordes de sa guitare au niveau des mécaniques et commençait à égrener lentement ses mélodies entouré d’un halo de fumée odorante qui rendait rapidement difficile son identification.

Il était le blues et la country personnifiés, il respirait le jazz et le flamenco qu’il utilisé avec une même facilité, mariant des arpèges de bossa nova avec un groove de rock’n roll et une rythmique de reggae. Il vivait la musique qu’il interprétait et la faisait vivre autour de lui. Puis il prenait un verre de whisky – ne se désaltérant que de martini pendant la soirée – et repartait comme il était venu.

Paul se réveilla en entendant du bruit dans la salle de bain. Il ouvrit lentement les yeux et regarda par la fenêtre de sa chambre. Les rayons du soleil commençaient à descendre sur son lit au travers de la vitre. Il respira longuement puis réalisa.

« Pierce lève-toi, on est en retard !

- Qu’est-ce qui se passe ? Maman, je veux dormir.

- Tu dormiras plus tard idiot, cria Paul en le secouant violemment pour le sortir de sa léthargie matinale. Maintenant lève-toi et habille-toi vite, il faut qu’on aille en cours. » Et il disparut par la porte afin de foncer à la cuisine prendre un petit déjeuner aussi peu équilibré qu’éclair.

Angelina rêvassait assise à son bureau, son miroir de poche encore en main, la plupart des élèves étaient déjà arrivés quand Paul et Pierce entrèrent. Paul posa son sac sur son bureau. Angelina lui sourit. Il sut immédiatement qu’il avait de manière imperceptible rougit en le remarquant. Il détourna habilement les yeux, cherchant Phoebe du regard pour la saluer de la main. Mais elle était en grande conversation avec une autre étudiante et ne le vit pas, à contre cœur, il s’assit et répondit au sourire d’Angelina par un « bonjour » qui manquait autant de chaleur que de conviction. Par chance elle n’y prêta pas attention, mettant cette marque de gêne sur le compte de la mauvaise humeur due à la fatigue.

Paul détestait être en retard sur ses horaires habituels. Ce type de détails n’empêchant clairement pas Pierce de dormir, ils se trouvaient fréquemment en conflit sur cette question au grand dam de Phoebe qui détestait les disputes.

Paul était contrarié par la révélation que lui avait faite Pierce et la contrariété était chez lui un facteur d’agacement et d’énervement. De fait, il était exécrable.

La matinée se déroula de façon atrocement ennuyeuse. Angelina resta avec Kate, James et Phoebe pour déjeuner en compagnie de Pierce et Floyd qui avaient un cours de photographie en début d'après-midi.

Le repas pris, James et les filles descendirent du toit afin de quitter le lycée. Passant dans le hall, Angelina se rappela avoir oublié son téléphone dans la classe. Elle s'excusa auprès de ses amis et repartis en traversant le couloir des terminales. Elle contourna l’aumônerie. Puis s’élança dans les escaliers… « Une minute, » pensa-t-elle soudain, « qu’est-ce que c’est que cette mélodie ? » Sa raison lui imposait de continuer à monter les marches quatre à quatre mais un vague pressentiment la poussait à aller voir qui interprétait ce morceau.

Elle redescendit et entra dans l’antichambre de la salle de prière. Un jeune garçon était là, assit sur un banc. Il était clairement visible qu’il avait pleuré pour une raison ou pour une autre et le résultat n’était pas vraiment beau à voir. Une musique douce et intimiste planait dans l’atmosphère tamisée et une voix accompagnait la mélodie :

« Old friends,

Old friends,

Sat on their park bench

Like bookends.

A newspaper blown though the grass

Falls on the round toes

Of the high shoes

Of the old friends… »

Angelina s’approcha et découvrit Paul jouant de la guitare devant l’étudiant. Son expression était étrangement mélancolique. Il arrêta presque instantanément de jouer et se leva. Il reposa la guitare et, en passant, donna une petite tape réconfortante sur l’épaule du collégien. Il sortit. Angelina resta interdite un instant puis le suivit.

« Et attends-moi !

- Que veux-tu ? demanda Paul en se retournant.

- Tu ne m'avais pas dis que tu savais jouer de la guitare.

- Tu ne me l'as jamais demandé, non ?

- Oui mais on avait parlé de musique. C'est pour cela que je pensais que tu me l'aurais dit si tu jouais aussi bien de la guitare.

- Pourquoi ?

- Parce que c'est le genre de chose dont on se vante quand on en a la possibilité. Je monte.

- Tu as un cours ?

- Non, j'ai oublié mon téléphone portable.

- Celui-ci ? questionna-t-il en tirant de sa poche un téléphone. Il était en classe, tombé sur le sol. Il a du glisser.

- Ah ! merci. Tu rentres chez toi ?

- Oui.

- Viens avec moi et les autres alors.

- Désolé, il faut que j'amène ma moto chez le garagiste.

- Ah ! bon, dommage. »

Ils sortirent dans la cour du lycée. Les portes de l’établissement étaient largement ouvertes. Les élèves discutaient devant elles. Le petit groupe de la classe faisait le pied de grue en les attendant. De l’autre côté de la rue, une dizaine de voyous patientaient en s'appuyant sur leurs motos en fumant. Le groupe s’ouvrit en arc de cercle afin d'accueillir Angelina et Paul. Phoebe lui fit un signe de tête pour lui indiquer les voyous.

« Ils veulent te voir.

- D'accord. »
Paul les dépassa et s’accouda contre un des battants de la porte. Il fouilla dans ses poches et tira un briquet et une cigarette. Il l’alluma, tira une bouffée, laissa sa tête basculée en arrière, inspira puis regarda vers les délinquants, prit une dernière bouffée, écrasa sa cigarette contre un mur et jeta le mégot dans une poubelle, puis s’avança vers eux.

« Que fais-tu ? demanda James.

- Je vais voir ce qu'ils me veulent, » répondit-il.

Il pivota sur ses talons et passa la porte. Il paraissait très calme. Son port était altier, fier, il ne laissait transparaître aucune émotion comme s’il était encore plus insensible au monde extérieur à l’approche d'un, éventuel, combat que dans des moments « normaux. »

« Il est fou, » pensa instinctivement Angelina. Elle voulut s’avancer mais James et Phoebe – pour des raisons différentes – la retinrent d’un même geste.

« Yo, Paul ! Ça boum ?

- Dean, je t’ai déjà dit de ne pas venir me voir au lycée…

- Euh… oui, désolé mais on a un problème… on a un concert samedi et notre guitariste solo est malade, tu pourrais le remplacer ?

- Je passerai tout à l’heure pour voir ça… Sinon, ça se passe comment pour toi les cours ?

- Tu me connais, si j'étais dans Grease, je serais plus à Thunder Road qu'à Rydell.

- Ca c'est sur, te connaissant. Tu veux jouer quoi samedi ?

- Du punk rock comme toujours. »

Paul sourit et lui tapa gentiment du point sur l'épaule.

« Compte sur moi. »

Il alla détacher sa moto sur laquelle il monta, fit un signe de la main à Phoebe puis du point à Dean. Et il partit.

Angelina fit un petit tour dans le quartier avec Phoebe afin de faire un peu de shopping puis les deux filles se séparèrent et Angelina rentra chez elle. Elle s’arrêta quelques instants pour regarder un jeune saluer des petits vieux et les commerçants du quartier. Elle se rendit compte que le garçon était Paul et le rattrapa. Elle attrapa son bras droit et un frisson d’excitation la parcourut mais elle se calma. Il sursauta sur le coup puis se détendit. Elle se fit la réflexion qu’elle était bien ainsi, accrochée à son bras comme une fiancée apeurée recherchant le réconfort au creux du cœur de l’être aimé. Elle chassa cette impression en rougissant.

« C’est toi, fit-il. Tu veux vraiment que je te ramène ?

- Je suis têtue.

- Je vois ça. Où habites-tu ?

- Dans la 7ième rue à côté de St Charles Church Avenue.

- Ok, je vois où elle se trouve, on y sera dans cinq minutes. »

Elle remarqua qu’il adoptait une attitude ambiguë à la fois paternaliste et distante.

« Où est-ce que tu vis, toi, d’ailleurs ?

- À côté de l’église St Michel, dans le quartier des émigrés, répondit Paul. Que font tes parents ?

- Mon père travaille à l’étranger depuis son divorce et ma mère vit à la campagne.

- D’accord, ça ne doit pas être simple tous les jours. Tu vis avec de la famille, des frères et sœurs, peut-être ?

- Mes deux sœurs aînées : Nathalie et Marilyne. Mon frère Edward s’est engagé dans l’armée : il est sous-lieutenant chez les Marines.

- En Irak j’imagine. Beau pays mais cela ne doit pas être facile tous les jours pour se voir.

- Oui… c’est pour ça, entre autre, aussi à cause de l’éloignement de maman – elle marqua une pause – que Marilyne essaie de trouver un petit copain…

- Et toi ?

- Je préfère attendre de trouver le bon ou en tout cas quelqu’un qui en vaille la peine.

- Je comprends. »

Angelina jeta un regard à Paul. Il était à la limite de la tentation malintentionnée et pourtant il gardait une attitude de sainte-nitouche très convaincante. Ses cheveux de jais dansant dans la brise lui conféraient une aura de féminité et de séduction qui lui donnait cette influence magique qu’exercent certaines personnes et que l’on nomme le charme. « Je ne le connais que depuis deux jours à peine et pourtant je lui parle déjà presque comme à un confident, pourquoi ? » Pensa-t-elle tout en serrant plus fort son bras. « Avec ça on doit vraiment nous prendre pour un jeune couple. » Elle rit silencieusement du bout des lèvres.

« Que se passe-t-il ? » dit-il en lui relevant le menton avec deux doigts.

Elle ne répondit pas mais rougit légèrement.

Arrivée devant l’immeuble où elle habitait, Angelina resta légèrement indécise devant sa porte, faisant tourner ses clés dans ses mains, elle ne trouvait pas les mots pour le retenir, le faire entrer chez elle, pour en savoir plus sur lui, pour le comprendre. Ils restèrent un instant dans cette désagréable position comparable à celle d’un homme assis entre deux chaises. Paul rompit le silence :

« Je vais y aller. »

Il s’approcha, l’embrassa sur le front et partit. Elle tourna nerveusement la clé dans la serrure, ouvrit la porte, passa son embrasure, la referma et prit les escaliers.

Dehors Paul éprouva une gêne étrange comme s’il devait se reprocher quelque chose dont il n’avait pas complètement pris conscience ou comme s’il avait oublié ou mal apprécié un élément essentiel. Il regarda sa montre. Quatre heures. Il passa sa main sur ses lèvres, un cheveu d’Angelina s’y était collé, il se demanda si son parfum y était toujours attaché. Cette idée lui parut stupide et déplacée, il haussa les épaules et se dit qu’il devait avoir faim, tout simplement mais il porta néanmoins ses doigts à ses narines…

Paul poussa la porte de son magasin de guitare préféré. Une faible odeur de bois coupé, de sciure fraîche et de cire aromatisée flottait dans l’air. Paul s’approcha du comptoir et ouvrit la caisse qui y était posée.

« Oh ! Jolie réparation, on ne voit presque plus l’éclat.

- Que crois-tu ? Je suis un professionnel presque comme l’est père, répliqua Larry qui venait de sortir de l’arrière-boutique.

- Pff… T’en est encore bien loin.

- Merci pour le soutient fraternel.

- Je monte, il faut que je vérifie un truc avant d’aller faire du sport.

- Fais attention à la guitare, pa’ y tient… »

Angelina était en train de faire bouillir de l’eau pour le dîner quand Nathalie rentra. Jeune avocate, elle travaillait souvent tard dans la banque qui l’avait engagé dans son service juridique, le fait qu’elle soit rentrée pour le dîner tenait donc presque de l’exception. Elle s’effondra sur une chaise, balança son sac à main vers le porte manteau, mais il retomba au pied de celui-ci en l’ébranlant, puis elle se versa un verre d’eau. Avant de relever les yeux vers ses deux petites sœurs.

« On va devoir déménager.

- Pourquoi ? demanda, choquée, Angelina.

- Parce que le vieux propriétaire vend ses appartements dans l’immeuble, c’est ça ? répondit Marilyne en faisant un signe de tête interrogateur à sa grande sœur.

- Exactement, approuva Nathalie. Il m’a proposé de racheter à moindre coût l’appartement mais même avec un crédit ça sera difficile. Par contre, il m’a conseillé de m’adresser à un ami à lui qui dispose d’un appartement à louer pour un loyer modeste.

- Et ?

- Je l’ai contacté : son offre est intéressante, non seulement le coût du loyer sera moins élevé mais en plus la surface de l’appartement va être supérieure.

- C’est parfait, ce serait où ?

- Vers l’Église Saint Michel. »