La correspondance est à la fois une relation et un objet.
Il s’agit d’une relation en général entre deux ou plusieurs personnes, quelle que soit la forme empruntée, écrite (lettre, fax, courriel) ou orale (appel téléphonique). Pour être une relation de correspondance, elle doit présenter certains critères : l’intuitu personae (des personnes qui se sont choisies) et l’interactivité de cette relation (on présente la relation comme une relation d’échange, puisqu’il y aura une sollicitation qui va conduire plus ou moins tardivement à une réponse, c’est donc un échange, instantané ou pas). L’échange peut être absent, l’autre personne peut ne pas répondre, mais cela ne change pas la nature de la relation, le fait qu’il aurait pu être intégré à une relation de correspondance. Cela exclut de la relation de correspondance les spams, le fil d’actualité ou d’information de twitter, et il y a des discussions sur le mur de fb.
La correspondance peut être un objet, puisque c’est un message communiqué par une personne à une autre, qui peut à son tour devenir émettrice d’une réponse. Cet objet dispose d’un contenu et a un support (matériel ou dématérialisé), chargé d’acheminer le contenu d’un endroit, d’une personne à une autre.
Le secret est une notion complexe. C’est à la fois un fait, une attitude et un état.
C’est un fait, ce sont des informations qui ne doivent pas être divulguées, ou partagées avec un nombre restreint de personne.
C’est une attitude, observer un secret c’est être discret par rapport à une chose qu’on a apprise.
C’est un état car le secret est une situation qui va s’induire de l’attitude qui est adoptée par ceux qui le partagent. Les personnes extérieures restent à l’écart de ce fait, le secret est un état duquel il convient de rester éloigné si on n’a pas été convié à le partager.
Attitude de discrétion, de respect, protégeant un fait, l’objet des correspondances, qui reçoit l’appui du droit pénal pour éloigner les tiers.
Rapporté à la correspondance, le secret couvre tant la relation que l’objet de celle-ci. Si le secret protège la relation de ceux qui communiquent entre eux, l’objet de l’échange est également protégé des indiscrétions. Chambre Criminelle, 16 oct 2012. Un billet circulant à découvert n’est pas une correspondance au sens de l’article 432-9 Code Pénal. En revanche les cartes postales restent des correspondances.
Le secret des correspondances est donc une discrétion observée soit par les correspondants soit par ceux assurés d’acheminer la correspondance. Cette discrétion reçoit l’appui du droit pénal pour éloigner les tiers de la relation et de l’objet, pour leur faire comprendre qu’ils doivent respecter cette situation.
La géolocalisation ne porte pas atteinte à ce secret, c’est simplement un moyen de localiser l’individu, et non d’écouter ce qu’il dit. Chambre Criminelle, 22 oct 2013. Cour Européenne des Droits de l'Homme, 2 sept 2010. Même si elle porte atteinte à la vie privée, ne porte pas atteinte au secret des correspondances.
Cette correspondance fait l’objet de multiples dispositions. Elle jouit d’une protection pénale. Des dispositions extra pénales incitent à appréhender le secret des correspondances comme une liberté fondamentale, un droit de l’homme, et peut être un droit de la personnalité.
Différentes instances considèrent le secret des correspondances comme une liberté fondamentale. Cour de Cassation, Chambre sociale, Nikon, 2 oct 2001 (visa Article 8 Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme et 9 Code Civil). Conseil Etat, commune de Drancy, 9 avr 2004. 23 juil 1999, le conseil constitutionnel dit que la liberté proclamée par l’article 2 de la DDHC implique le respect de la vie privée. Il y a un rattachement par le conseil de la vie privée à la liberté individuelle. Parmi les attributs de cette liberté il y a celle de communiquer (Article 11 DDHC), qui ne peut être garantie que si la vie privée l’est également. Avis de l’avocat général Mathon à propos de Chambre mixte 18 mai 2007. On ne peut pas se fonder sur le contenu d’une correspondance privée pour sanctionner son destinataire. C’est donc bien une liberté fondamentale.
Est-ce un droit de l’homme ? Il faut combiner :
Articles 2 et 11 DDHC ;
Article 8 Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme ;
Article 12 DUDH ;
Article 17 PIDCP ;
Article 16 Convention New-York de 1989.
Il y a toujours une ambiguïté par rapport à l’autonomie du droit au secret des correspondances. Le Conseil Constitutionnel le rattache à la vie privée, idem pour les civilistes. Un décret dit que le secret des lettres est inviolable. La protection pénale des lettres contre les agissements des fonctionnaires existe des 1832, puis 1922 contre les agissements des particuliers. La Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme semble proclamer l’autonomie du secret des correspondances, puisqu’il est distinct du droit au respect de la vie privée. La Cour Européenne des Droits de l'Homme est beaucoup plus ambiguë. Parfois elle combine les deux prérogatives quand elle défend le secret des correspondances. Ce qui est sûr c’est que la cour protège les correspondances, les communications téléphoniques et les courriers électroniques.
Copland contre RU, 3 avril 2007. Protection des correspondances électroniques. A titre autonome ou par référence à la vie privée ? Un coup l’un, un coup l’autre.
L’effet horizontal des dispositions de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme impose à l’Etat de s’assurer que les particuliers entre eux respectent les dispositions conventionnelles. Des obligations positives sont à la charge de l’Etat, par exemple l’obligation d’empêcher la révélation par la presse d’enregistrements de conversations téléphoniques (Cour Européenne des Droits de l'Homme 17 juil 2003, Craxi contre Italie) et l’obligation de fournir aux détenus le matériel nécessaire à leur correspondance (Cour Européenne des Droits de l'Homme, 3 juin 2003, Cotelet contre Roumanie). Loi 10 juil 1991 affirme que le secret des correspondances ne peut être méconnu que par l’autorité publique dans les seuls cas de nécessité d’intérêt public prévus par la loi et dans les limites fixées par elle. Le Code Pénal a entériné cette situation.
Cette ambiguïté sur la qualification de ce droit en tant que droit de la personnalité. On retrouve la question de l’autonomie du Secret des Correspondances par rapport à la vie privée. La jurisprudence interne l’appréhende souvent comme un attribut du droit au respect de la vie privée. En faveur de l’autonomie, il y a cette dissociation formelle dans de nombreux textes. D’un point de vue substantiel, s’il est indéniable que le secret des correspondances fait souvent partie de la vie privée, l’attacher complètement à elle reviendrait à priver plusieurs correspondances des protections élémentaires. Chambre commerciale, 6 nov 2012, sur production en justice de courriels par une entreprise pour faire la preuve de la concurrence déloyale d’une autre entreprise, laquelle avait embauché un salarié de la première entreprise. Il faut rechercher si l’atteinte portée est nécessaire et proportionnée. Il faut que ce soit indispensable à l’exercice du droit à la preuve et proportionnée aux intérêts antinomiques en présence. Le droit au secret des correspondances contribue à protéger l’intérêt moral des correspondants ( ?).
Écho d’un arrêt de la première chambre civil du 5 avril 2012, sur la production en justice d’une lettre sans autorisation de son auteur. Ok si indispensable à l’exercice du droit à la preuve et proportionné aux intérêts antinomiques en présence. Vise vie privée + secret des correspondances, alors que détaché de la vie privée dans Chambre commerciale.
Est-ce un droit subjectif, un pouvoir juridique attribué par la norme portant sur un objet spécifique, qui va s’exercer par la volonté individuelle par le biais d’une action en justice ?
François Gémy voyait déjà un droit subjectif au secret des lettres confidentielles dans une étude.
Correspondance des détenus, du salarié, des époux.
I- La correspondance des détenus
Le secret des correspondances est ici appréhendé comme un droit fondamental qui ne peut faire l’objet de restrictions que pour des raisons d’ordre public. jurisprudence Cour Européenne des Droits de l'Homme. Cela implique qu’il y a un droit restreint de communication des détenus. Les correspondances font l’objet d’une surveillance, à même parfois d’engendrer des sanctions. Certaines correspondances restent incontrôlables, comme celles avec l’avocat.
A- Le cadre procédural du contrôle
Le droit au secret des correspondances est conditionnel, il n’est pas intangible et peut faire l’objet de limitations (Article 8 §2 Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme). La Cour Européenne des Droits de l'Homme prévoit que l’ingérence étatique dans les correspondances des détenus doit être prévue par la loi, une circulaire n’étant pas une loi (12 juin 2007, Frérot contre France). La loi doit être suffisamment précise pour que les justiciables puissent connaître l’étendue des pouvoirs des autorités chargées de surveiller les correspondances.
Arrêts 1996, Calogero et Diana contre Italie, et Domenichini contre Italie. Reprise de l’article 8, ingérence nécessaire dans société démocratique pour atteindre l’un des buts mentionnés dans le paragraphe 2 de l’article 8.
Un dysfonctionnement des services pénitentiaires qui entraînerait une ouverture involontaire des correspondances constitue une violation de l’article 8 (21 déc 1999, Demirterpe contre France).
B- Proportionnalité de la mesure de contrôle
La Cour Européenne des Droits de l'Homme veille à éviter les abus de la mesure d’ingérence étatique avec la sauvegarde de l’intérêt poursuivi. Il ne doit pas y avoir de disproportion manifeste. Suppression par un juge d’instruction de plusieurs passages d’une lettre envoyée d’un détenu à un autre, dans lequel il faisait état de ses mauvaises conditions de détention. Cela portait atteinte au droit au Secret des Correspondances (Arrêt Cour Européenne des Droits de l'Homme 25/2/1992 Herczegfalvy contre Autriche).
Il est arrivé à la Cour Européenne des Droits de l'Homme de créer une présomption de causalité en considérant que si l’État ne parvient pas à démontrer que le détenu a bien reçu les lettres litigieuses, la violation de l’article 8 est consommée (Arrêt Cour Européenne des Droits de l'Homme 26/2/1994 Messina contre Italie).
L’interdiction est une mesure trop radicale (21 février 75, arrêt Golder contre RU). Elle a aussi condamné un État pour non transmission d’un courrier à un détenu (20 juin 88, Arrêt Schönenberg et Durmaz contre Suisse). Idem pour l’interception de plusieurs lettres et des interdictions consécutives d’émettre ou de recevoir du courrier (Arrêt Cour Européenne des Droits de l'Homme MacCallum contre RU, 30/8/1990).
Les États ont l’obligation positive de fournir le nécessaire pour la correspondance.
On peut faire un parallèle avec la situation des personne en détention de sûreté.
II- La correspondance du salarié
A- Droit de contrôle de l’employeur et droit au Secret des Correspondances
L’employeur dispose d’un droit de contrôle sur l’activité de ses salariés justifiés par le lien de subordination hiérarchique. Peut-il pour autant s’immiscer librement dans l’exercice des droits et libertés de son salarié, notamment dans ses correspondances ?
Article L 121-1 du Code du Travail. La cour assure une protection des correspondances sur le lieu de travail, en appliquant l’article 8 (Arrêt 27 juin 97, Alford contre RU et Arrêt 16 février 2000, Amann contre Suisse). Les appels téléphoniques émanant de locaux professionnel sont compris dans la notion de vie privée et de correspondance.
1) Le secret des correspondances privées
Conflit entre droit de contrôle de l’employeur et le droit au Secret des Correspondances. Le salarié ne peut pas invoquer un droit au secret des correspondances absolu puisqu’il est placé sous un contrôle hiérarchique. Cela rejoint la question de la vie privée sur le lieu de travail. Chambre mixte, 18 mai 2007, a appréhendé ce conflit sous l’angle de la vie privée au visa de l'article 9 du Code Civil. Ce conflit a été arbitré par la Cour de Cassation. Principe posé par arrêt Nikon. Le salarié a droit, même au temps et au lieu de travail, au respect de l’intimité de sa vie privée, celle-ci impliquant en particulier le Secret des Correspondances. Le droit de contrôle ne peut pas être totalement éclipsé. La solution est que l’employeur ne peut avoir connaissance des documents qu’en présence du salarié ou « lui dûment appelé », sauf risque ou événement particulier.
2) Le secret des correspondances professionnelles
Elles sont beaucoup plus perméables au droit de contrôle. Dès un arrêt du 18 octobre 2006, la jurisprudence a posé une présomption selon laquelle les fichiers créés par les salariés ont un caractère professionnel.
La Cour de Cassation a étendu cette présomption aux correspondances du salarié par un arrêt du 18 octobre 2011 pour les courriers électroniques et par un arrêt du 12 juillet 2012 aux courriers papiers. À défaut de se présenter comme expressément personnelles, les correspondances émises ou reçues par le salarié sont réputées être professionnelles. En vertu de cette présomption, l’employeur peut y avoir accès en dehors de la présence de son salarié.
Il reste une nuance du fait de l'arrêt de la Chambre sociale du 26 juin 2012 : si un règlement d’entreprise prévoit que les messageries électroniques des salariés ne peuvent être consultées par l’employeur qu’en leur présence, il ne pourra pas consulter les messages, même professionnel.
3) L’administrateur réseau
Sa fonction implique une surveillance. C’est un droit, un pouvoir de contrôle concédé par l’employeur. Le Code Pénal s’oppose à ce qu’un particulier intercepte, lise, surveille les correspondances d’un tiers. Or c’est ce que fait l’administrateur réseau. L’employé doit céder devant le pouvoir de l’administrateur (Arrêt Cour d'Appel de Paris du 17 décembre 2001). Il ne peut cependant pas rendre compte à l’employeur du contenu des mails.
La jurisprudence a approuvé l’employeur qui organise une grande enquête pour savoir si les messages personnels ont été ouverts par l’administrateur réseau ou l’employeur (Arrêt Chambre Sociale du 17 juin 2009).
Ni l’un ni l’autre n’ont le droit de s’immiscer dans les correspondances personnels d’un salarié, sauf avec son accord, cet accord n’étant plus requis en cas de risques d’événements particuliers.
B- Droit à la preuve et droit au Secret des Correspondances
1) Droit à la preuve de l’employeur
Pour se procurer un élément de preuve ou dans une instance disciplinaire ou procédure de licenciement, il peut être tentant pour un employeur d’utiliser son droit de contrôle. Ce droit obéit aux mêmes règles que l’exercice du droit de contrôle. Il est possible que l’employeur confie à un huissier de justice la tâche de saisir les messages privés d’un salarié soupçonné de concurrence déloyale (Arrêt Chambre Sociale du 18 juin 2008 ou Arrêt Chambre commerciale 16 mai 2013). Les courriels adressés ou reçus par le salarié à l’aide de l’ordinateur mis à leur disposition sont présumés avoir un caractère professionnel.
Il faut nuancer avec l’arrêt sur le règlement intérieur qui peut brimer le droit de contrôle et le droit à la preuve.
Quant aux correspondances privées, Chambre commerciale, avril 2013, mails obtenus par un huissier de justice et produit par une société contre d’anciens salariés soupçonnés de concurrence déloyale. Cour de Cassation dit que ces correspondances doivent être écartées des débats car il s’agit de correspondance privée, peu importe qu’il y ait eu un rapport avec l’activité professionnelle des salariés.
Pour certaines juridictions, le mur Facebook est privé. Sinon il faut prouver que les paramètres du compte autorisaient un partage avec tout le monde. Pour d’autres, le mur est présumé public, sauf si le salarié a restreint l’accès de sa page à un cercle limité d'amis.
Arrêt du 10 avril 2013 de la Chambre Sociale : propos injurieux envers le patron accessibles aux seules personnes choisies (salariés – communauté d'intérêt) ayant donné lieu au licenciement ; les propos sont considérés comme ne relevant pas de l'injure publique.
2) Le droit à la preuve du salarié
Lui aussi doit respecter un minimum de loyauté. Cas d’une salariée de notaire qui le poursuivait pour harcèlement sexuel (Arrêt Chambre Sociale 23 mai 2007). Elle avait produit des sms. Recevable car l’auteur ne peut pas ignorer qu’ils sont enregistrés par l’appareil récepteur, la preuve n’est donc pas obtenue de façon déloyale.
Le contenu d’un mail envoyé par un salarié peut-il constituer un manquement à l’obligation de loyauté, par exemple s’il dénigre son employeur ? Chambre sociale, deux arrêts du 26 janvier 2012.
III- La correspondance des époux
Problème quand on est en instance de divorce. Article 259-1 du Code Civil : on ne peut verser au débat un élément de preuve obtenu par fraude ou par violence.
Le problème est donc la question de la preuve de la fraude ou de la violence par celui qui entend la soulever. D'autant que la Cour de Cassation interprète cet article strictement. Pour écarter une correspondance, les juges doivent constater la fraude (Deuxième Chambre Civile du 29 janvier 1997). S’il n’y a pas fraude ou violence, on peut présenter la preuve.
Cour Européenne des Droits de l'Homme, 13 mai 2008, LN et TA contre Belgique : une femme avait produit en justice la correspondance que son mari avait échangée avec un autre homme. La cour considère que l’atteinte est indéniable mais justifiée par le droit d’une personne mariée à mettre fin aux liens matrimoniaux quand leur poursuite n’est plus possible (voir également Arrêt Cour Européenne des Droits de l'Homme du 10 octobre 2006, LL contre France).
Donc le droit au secret des correspondances des époux se restreint de plus en plus en cas de divorce du fait de l'action combinée de la jurisprudence interne et européenne.