Nous sommes à présent à l'une des heures les plus solennelles de la justice. Les morts ont parlé. Les témoins ont été appelés. Les souvenirs des personnes blessées ont été ravivés, ceux des personnes épris de justice également. Nous avons entendu la voix des accusateurs, laissez-nous à présent entendre celle de ceux qui entendent défendre cet homme. Qu'ils viennent tous aujourd'hui, qu'ils forment un cortège protecteur à cet homme. Car malgré tous les faits qui puissent lui être reproché nul ne saurait trouver de justifications morales permettant de mettre à mort un homme. L’importance de l’instant dépasse le simple cas qui se présente à nous. Et ici l’heure est celle de s’élever devant cette peine infamante.
Le poids de la sentence.
Si malgré tout ce qui a pu être dit, si malgré le sentiment de la vérité qui nous éprend, si la justice devait suivre les réquisitions impitoyables de l'accusation, si c'est la mort qui doit être prononcée contre cet homme. Nous l'y conduirons. Mais nous vous le disons, où que vous vous trouviez, à cet instant, que vous soyez à l'autre bout du monde, vous serez tous présents. Vous serez tous présents, Messieurs les magistrats, vêtus de vos longues robes de sang. Vous serez tous présents. Et vous verrez, au fond de vos âmes bouleversées comment meurt un homme que vous aurez condamné. Et le grand visage blême de l'agneau sacrifié ne vous quittera plus... Et je l'évoque, ce tragique, cet inhumain spectacle du plus petit, du plus faible et du plus humble des hommes lié à la colonne du martyr, je ne l'évoque que pour vous faire peser tout le poids de votre sentence.
Nous l'attendons, en sachant, que tout nous a déjà été arraché : l'honneur et la liberté ! Arrachez ! Mais il reste malgré tout quelque chose qui nous importe, quelque chose que sans un pli, sans une tâche, cet homme détient malgré tout : l'innocence !
Que cette sentence est une signification politique, il n’en est point permis de douter. Que cette signification aggrave encore la honte dans laquelle se trouve celui qui la prononce et celui qui l’exécute, on ne peut également l’ignorer quelques soit la bonne foi ou la morale de ceux-ci. En effet, cette peine hideuse et éculée est partout où règnent liberté et démocratie abolie et proscrite. Elle ne survie que dès lors que subsiste avec elle la terreur, la dictature et la bestialité des mœurs politiques et sociales. Sont-ce là les idéaux et les caractères qu’entend défendre les institutions américaines ? On ne saurait en être plus loin. Ne peut-on dès lors à bon droit s’étonner de la situation présente dans laquelle le pays qui se permet de se nommer lui-même la nation de la liberté, laisse perdurer la peine la plus atroce et la plus négative des libertés et des droits les plus fondamentaux de l’homme ? Dans les pays de liberté, la loi commune est l’abolition, c’est la peine de mort qui est l’exception et il est donc temps que cette extravagance américaine cesse.
Un rêve entre vos mains.
Il ne convient pas d'espérer dans la clémence d'un autre. Si la clémence est dans la justice, elle doit d'abord être dans vos consciences. Songez. Songez seulement à la figure que vous donneriez de votre pays à travers le monde, une figure d'une telle horreur que l'on ne saurait plus l'appeler le pays de la liberté, et songez que le peuple excédé se frapperait la poitrine. Mais, je le sais, de telles paroles sont vaines, superflues. Les cris de haine, le débordement des passions, les outrages sans mesure ont expiré au seuil de votre prétoire et elle est enfin venue l'heure de la souveraine justice. Nous l'attendons, sûr de tous les sacrifices consentis. Nous l'attendons avec la sérénité des justes. Nous l'attendons comme le signe de la réparation. Nous l'attendons aussi avec tous les souvenirs de notre longue histoire, de ses fastes et de ses misères, de ses longues agonies et de ses lentes résurrections.
Oui, en cette minute même, tous ces souvenirs se lèvent irrésistiblement en nous, comme ils doivent se lever en vous-même et forment l'image éternelle de la patrie des libertés. O patrie, victorieuse et au bord des abîmes. Quand cessera-t-il de couler ce sang plus précieux depuis que nous savons qu'il n'y a plus que des frères pour le répandre ? Quand cessera-t-elle, la discorde de la nation ? Quand la paix, la paix civile, étendant son long manteau de velours, évitera-t-elle à notre terre sacrée de se meurtrir encore ? Quand ?
Quand verrons-nous ce jour, où notre nation s’élèvera pour vivre véritablement son credo : « nous tenons pour vérité évidente que tous les hommes ont été créés égaux » ? Quand verrons-nous ce jour, où dans chacun de nos Etats, tous pourront s'asseoir ensemble à la table de la fraternité ? Quand verrons-nous se transformer en une oasis de liberté et de justice mêmes les Etats où de l'injustice et l'oppression crée une chaleur étouffante ? Quand verrons-nous cette nation où nos enfants ne seront pas jugés sur la couleur de leur peau mais sur la valeur de leur caractère et sur les faits qu'ils accomplissent ? Quand verrons-nous s'accomplir le rêve que faisait hier le pasteur des opprimés ?
Quand entreras-tu par les portes sacrées de l'histoire, quand entreras-tu dans la carrière obscure où reposent les restes de l'infamie, de l'injustice et de la haine ? Quand entreras-tu ? Quand te verrons-nous ? Quand verrons-nous la justice balayer les derniers soubresauts de terreur et de barbarie ? Quand aurons-nous le courage d'abolir une peine qui humilie celui qui la prononce, ceux au nom desquelles elle est prononcée et ceux qui l'exécutent ? Quand verrons-nous un homme s'élever avec courage et détermination parmi nos représentants et énoncés d'une voix forte les mots que nos coeurs attendent : « demain vous voterez l'abolition de la peine de mort » ?
La justice ne peut être elle même sans la grandeur.
Nous voulons croire en cette issue et faisons le rêve que la flamme sacrée de la justice ne s'éteigne pas. Il n'y a pas de survie pour la justice, pas de survie pour tout ce que la justice a porté et pour tout ce pourquoi elle a combattu, pas de survie pour l’héritage de notre Histoire selon lequel l’humanité progresse pas à pas vers son objectif, si nous ne gardons pas cela à l'esprit. Nous considérons notre mission ici, devant vous, avec sérénité et espoir et sommes certains que la cause que nous défendons ne souffrira pas de vous.
Il y a beaucoup de gens qui ne comprennent pas ou qui prétendent ne pas comprendre quelle est la grande différence entre la justice et l'injustice. Toute ma vie, je me suis fais une certaine idée de celle-ci. Le sentiment me l'inspire autant que la raison et j'ai d'instinct l'impression qu'elle n'est faîtes que pour des succès achevés ou des malheurs exemplaires. A mon sens, la justice ne peut être elle même sans la grandeur. Mais la grandeur n'est pas pour moi possible tant que la mort sera une arme légale qu'elle aura à souffrir. Notre justice éprouve donc encore beaucoup de difficultés et n'est pas parfaite. Il nous incombe donc de la transformer. Cela ne se fera pas sans heurts, sans pleurs et sans grincements de dents. Je sais que certains demanderons vengeance, sang et mort mais nous ne devrons leur offrir qu'une condamnation mesurée même si cela ne doit leur susciter que de la peine, de la souffrance et des larmes.
Mais tant que cela n'est pas, magistrats, écoutez-moi, entendez mon appel. Vous ne jugez qu'un homme mais par lui, vous portez dans vos mains le destin d'une nation.