Nous
n'irons plus au bois ma belle
Les lauriers sont coupés les
ponts
Aussi : les arcs-en-ciel
Et même le pont d'Avignon
Jeanne
d'Arc mortelle statue
Un peu de bronze ensanglanté
Dans cette
France qui s'est tue
Ton cœur a cessé de chanter
Jeanne
dans sa jupe de bure
Assise sous les framboisiers
Se prépare
une confiture
Avec du sang de cuirassiers
La
poule noire des nuages
Pond les œufs pourris de la mort
Les
coqs déplumés des villages
N'annoncent que les vents du Nord
Car
l'aube avait du plomb dans l'aile
Et le soleil est un obus
Qui
fait sauter les citadelles
Et les lilas sur les talus
Le
ciel de France est noirci d'aigles
De lémures et de corbeaux
Ses
soldats couchés dans les seigles
Ignorent qu'ils sont des héros
Ni
Chartres, ni Rouen, ni Bruges
N'ont assez d'anges dans leurs
tours
Pour lutter contre le déluge
Et les escadres de vautours
Taureau
chassé des pâturages
Et du silence paternel
Devant la pourpre
de l'outrage
Perd tout son sang au grand soleil
Il
perd son sang par ses fontaines
Par ses veines par ses
ruisseaux
Il perd son sang par l'Oise et l'Aisne
Par ses jets
d'eau par ses naseaux
Les
douze sœurs de ses rivières
Aux bras cambrés aux nœuds
coulants
Dénouent leurs lacets et lanières
Pour se jeter à
l'océan
Buvez
buvez guerriers ivrognes
Les vins fermentés de la peur
Les
sangs tournés de la Bourgogne
Les alcools amers du malheur
Les
bières gueuses de la Meuse
Et les vins platinés du Rhin
Les
sources saintes des Chartreuses
Et les absinthes du chagrin
Les
larmes qui de chaque porte
Ont débordé sur le pays
Les eaux
de vie et les eaux mortes
Grisantes comme le vin gris
Nous
n'irons plus au bois ma belle
Les lauriers sont coupés les
ponts
Aussi : les arcs-en-ciel
Et même le Pont d'Avignon.
Ivan Goll