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Titre du blog : Littérature assassine...
Auteur : LazloSprand
Date de création : 23-11-2008
 
posté le 24-01-2015 à 22:00:33

Berceuse

Avec tes cheveux de suie
Ô mon petit ange clair,
D'où viens-tu donc par ici,
Si lointaine mais aussi
La plus proche, la plus chère ?


Comme un géant maladroit
Je me penche vers la terre.
Des nuages, je te vois
Et je m'incline vers toi,
Ô ma petite étrangère!

Elle n'entend, ne voit rien,
Le monde entier n'est pour elle
Qu'un ventre noir et sans fin
— Dans l'autre, qu'on était bien! —
Elle pleure et se rebelle.

À travers ses yeux bridés,
De Chine vient son regard.
Elle va se préparer
Tout à l'heure à ressembler
À ceux d'ici, les Magyars.

La voici qui s'achemine,
Tout droit, par-delà son but,
De son antique origine,
Du Japon ou de la Chine,
Pour nous réclamer son dû.

Dans la fumée du lointain
M'arrive d'un ciel austère,
Sous la neige du matin,
Ma parente de si loin,
La plus proche, la plus chère.

Je voudrais avec ta mère
Déjà m'avancer vers toi,
Pour te dire la manière
Dont tes semblables trouvèrent
Leur nom, leur foyer, leur foi.

C'est le but de ton voyage.
Ton front, tes lèvres, tes yeux,
Étiquettes du bagage,
L'inscrivent sur ton visage :
C'est celui de mes aïeux.

Parmi tous ceux de la terre,
J'aurais su que c'était toi.
Je le crois dur comme fer,
J'aurais dit : c'est mon affaire,
Ce colis est bien pour moi.


Te voici dans ta maison,
Maintenant et à jamais.
C'est là que Dieu, à ton nom,
Déballera tous ses dons,
Les tiens, ô mon doux paquet!

Comme l'étoile sur l'onde,
Le soleil dans la prairie,
Ta figure toute ronde
Est celle de tout un monde,
Chez nous, chez toi, en Hongrie.

Là tu trouveras ta mère,
Ta maison et ta patrie,
Et moi, poète, ton père,
Dans la brume où je me perds,
Où l'avenir m'engloutit.

Je t'embrasse. Un jour, vois-tu,
D'autres en feront autant.
Tu vois ici le début
Et la fin, et ce grand but,
L'espoir suprême, l'enfant.

Fillette aux cheveux de suie,
Ô toi, mon petit mystère,
Mon cadeau de Mongolie,
Si lointaine mais aussi,
La plus proche, la plus chère.


Illyès Gyula
Adaptation de Lucien Feuillade

(Poètes d'aujourd'hui - Éditions Seghers 1966)