Avec tes
cheveux de suie
Ô mon petit ange clair,
D'où viens-tu donc
par ici,
Si lointaine mais aussi
La plus proche, la plus chère
?
Comme un géant maladroit
Je
me penche vers la terre.
Des nuages, je te vois
Et je m'incline
vers toi,
Ô ma petite étrangère!
Elle n'entend, ne voit
rien,
Le monde entier n'est pour elle
Qu'un ventre noir et sans
fin
— Dans l'autre, qu'on était bien! —
Elle pleure et se
rebelle.
À travers ses yeux bridés,
De Chine vient son
regard.
Elle va se préparer
Tout à l'heure à ressembler
À
ceux d'ici, les Magyars.
La voici qui s'achemine,
Tout
droit, par-delà son but,
De son antique origine,
Du Japon ou
de la Chine,
Pour nous réclamer son dû.
Dans la fumée du
lointain
M'arrive d'un ciel austère,
Sous la neige du
matin,
Ma parente de si loin,
La plus proche, la plus
chère.
Je voudrais avec ta mère
Déjà m'avancer vers
toi,
Pour te dire la manière
Dont tes semblables
trouvèrent
Leur nom, leur foyer, leur foi.
C'est le but de
ton voyage.
Ton front, tes lèvres, tes yeux,
Étiquettes du
bagage,
L'inscrivent sur ton visage :
C'est celui de mes
aïeux.
Parmi tous ceux de la terre,
J'aurais su que
c'était toi.
Je le crois dur comme fer,
J'aurais dit : c'est
mon affaire,
Ce colis est bien pour moi.
Te voici dans ta
maison,
Maintenant et à jamais.
C'est là que Dieu, à ton
nom,
Déballera tous ses dons,
Les tiens, ô mon doux
paquet!
Comme l'étoile sur l'onde,
Le soleil dans la
prairie,
Ta figure toute ronde
Est celle de tout un monde,
Chez
nous, chez toi, en Hongrie.
Là tu trouveras ta mère,
Ta
maison et ta patrie,
Et moi, poète, ton père,
Dans la brume
où je me perds,
Où l'avenir m'engloutit.
Je t'embrasse.
Un jour, vois-tu,
D'autres en feront autant.
Tu vois ici le
début
Et la fin, et ce grand but,
L'espoir suprême,
l'enfant.
Fillette aux cheveux de suie,
Ô toi, mon petit
mystère,
Mon cadeau de Mongolie,
Si lointaine mais aussi,
La
plus proche, la plus chère.
Illyès Gyula
Adaptation
de Lucien Feuillade
(Poètes d'aujourd'hui - Éditions Seghers 1966)