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Titre du blog : Littérature assassine...
Auteur : LazloSprand
Date de création : 23-11-2008
 
posté le 08-07-2015 à 17:22:28

Conférence sur le Droit à la Présomption d'Innocence par Madame le Professeur BERGEAUD-WETTERWALD


On sait qu’il existe un droit à la présomption d’innocence, mais on ne sait pas ce qu’il implique exactement.

Une directive européenne est en discussion depuis quelques années sur ce point.

On a coutume de dire que c’est une règle fondamentale dans une société démocratique. À ce titre, elle est depuis longtemps protégée par le droit. Progressivement, le droit est venu la charger d’un sens nouveau. Le premier texte à reconnaître solennellement la présomption d’innocence est la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyens de 1789 (article 9). C’est sur ce fondement que le Conseil Constitutionnel a reconnu valeur constitutionnelle à ce principe, dans une Décision du 8 juillet 1989.

Au plan supranational, beaucoup de textes consacrent ce principe dans des termes à peu près similaires, Déclaration Universelle des Droits de l'Homme (article 11) ; Pacte international relatif aux droits civils et politique ; Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne, et Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme (article 6§2).

Ce principe s’inscrit dans une dimension pénale. La doctrine pénaliste a largement étudié cette présomption. Elle la présente comme un principe directeur, voire source, fondateur, du procès pénal. Elle justifie ainsi l’attribution de la charge de la preuve, l’existence d’un droit de ne pas contribuer à sa propre accusation, etc. L’ensemble des implications procédures de la présomption d'innocence repose sur une même idée, celle que la personne mise en cause dans une procédure pénale ne doit pas, pendant la procédure, être traitée comme un coupable. Elle n’a pas à démontrer son innocence, elle doit en principe rester libre, la détention en cours de procédure étant exceptionnelle.

On s’est aperçu que cette protection procédurale était insuffisante parce qu’elle n’avait que des implications d’ordre procédurale et ne pouvait concerner que les acteurs d’une procédure pénale. Or ceux qui malmènent le plus la présomption d'innocence sont souvent les commentateurs des procédures en cours, spécialement la presse. Quant au secret de l’enquête et de l’instruction, il est de moins en moins respecté en pratique, il ne suffit plus à protéger la réputation des personnes inquiétées par la justice pénale. Il fallait élargir la protection afin qu’une personne ne soit pas présentée comme un coupable avant qu’une décision de justice de culpabilité intervienne.

La position de la Cour Européenne des Droits de l'Homme incite à consacrer cette protection élargie à la protection de la réputation des personnes. Selon une jurisprudence constante de la Cour, « le principe de la présomption d'innocence n’offre pas qu’une garantie procédurale en matière pénale, sa portée est plus étendue et exige qu’une personne ne soit pas déclarée coupable d’une infraction avant que sa culpabilité n’ait été établie par un tribunal » (Arrêt CEDH Kouzmin contre Russie 4/10/2010).

En droit interne, la présomption d'innocence est sortie du cadre procédural pour devenir un véritable droit substantiel, un droit au respect de la présomption d'innocence, opposable à tout le monde. Ce n’est pas si vieux que ça. C’est la loi du 4 janvier 1993 qui est venue donner cette dimension nouvelle à la protection de la présomption d'innocence en insérant dans le Code Civil, au sein du titre des droits civils, un article 9-1, dont le premier alinéa affirme que chacun a droit au respect de la présomption d’innocence. C’est la première fois en 1993 que la présomption d'innocence va être formulée en terme de droits subjectifs. L’alinéa 2, modifié à deux reprises en 1994 et en 2000, précise l’étendue de la protection. Cette vision a été soulignée par de nombreux auteurs, dont CARBONNIER, qui estime que « par le détour d’un droit au respect de la présomption d'innocence, l’article 9-1 construit l’innocence présumée comme un droit subjectif dont le bras armé est l’action en justice. »

S’il était important de proclamer solennellement ce nouveau droit, il fallait surtout l’assortir d’un régime de protection efficace. Mais ce droit ne semble pas offrir une protection efficace. On ne peut pas affirmer que la présomption d'innocence est rigoureusement protégée dans notre droit. La presse la plus sérieuse est autorisée à livrer le moindre détail des procédures en cours au nom du droit à l’information. Elle vient distiller dans l’esprit du public que les personnes soupçonnées sont déjà des coupables avérés.


  1. La notion de droit à la présomption d'innocence


Malgré sa consécration dans le Code Civil, sa légitimité demeure contestée. Pour admettre qu’il ne s’agit pas d’un simple artifice, il faut voir si cette disposition confère bien à toute personne un pouvoir déterminé pour assurer la protection d’intérêts spécifiques. Le particularisme de ce droit est de puiser ses racines dans un principe de procédure. Il a du mal à s’affranchir du cadre processuel et à apparaître comme un véritable droit autonome doté d’une fonction propre. S’il est vrai que le respect de la présomption d'innocence ne se conçoit pas sans recherche de culpabilité, il reste à déterminer comment ce particularisme influe sur la titularité du droit et sur l’étendue de la protection.


  1. L’objet du droit au respect la présomption d'innocence


La notion de droit subjectif implique la reconnaissance d’un pouvoir ayant un contenu déterminé, établi par la norme au profit de son titulaire. L’alinéa 2 précise que chacun a le droit de ne pas être présenté publiquement comme coupable de faits faisant l’objet d’une procédure pénale. Interprétée par la jurisprudence, cette disposition permet de déterminer l’étendue du pouvoir reconnu.


  1. Le pouvoir juridiquement reconnu



Cassation Civile, Première Chambre Civile, 6 mars 1996

L’atteinte à la présomption d’innocence visée à l’article 9-1 consiste à présenter publiquement comme coupable, avant condamnation, une personne poursuivie pénalement.

Cour de Cassation, Assemblée Plénière, 21 décembre 2006

Il faut des conclusions définitives manifestant un préjugé tenant pour acquise la culpabilité.


La personne va pouvoir invoquer une atteinte à la présomption d'innocence chaque fois qu’elle est publiquement présentée comme coupable d’une infraction recherchée. Elle peut ainsi déclencher le mécanisme des sanctions.

L’imputation doit porter sur des faits faisant l’objet d’une enquête ou d’une instruction judiciaire. Un journaliste qui pense avoir découvert une infraction et identifier son auteur ne porte pas atteinte au droit à la présomption d'innocence puis-qu’aucune procédure n’a été engagée relativement à ces faits. Il faut nécessairement qu’une procédure soit en cours. Il n’est pas nécessaire qu’elle soit ouverte à l’encontre de la personne visée par le propos.

Elle tient aussi à la publicité. La personne doit être présentée publiquement comme coupable. Toutes les publications par voie médiatique sont visées. La publicité peut aussi se concevoir hors de la sphère médiatique, par exemple par le biais de tracts diffusés auprès du grand public.

La véritable difficulté du système est de déterminer ce qu’on entend par présenter comme coupable. De cette appréciation stricte va dépendre l’étendue de la protection et l’effectivité du droit. Il y a une jurisprudence considérable à ce propos. Elle s’est progressivement stabilisée pour dégager des critères d’interprétation pour favoriser la prévisibilité des solutions applicables. « L’atteinte à la présomption d'innocence n’est constituée que s’il existe des conclusions définitives manifestant un préjugé tenant pour acquise la culpabilité » (Arrêt Assemblée Plénière 21 décembre 2006).

Cette jurisprudence n’empêche pas toute allusion à une éventuelle culpabilité. Cette interprétation ne sanctionne que les propos péremptoires, sans nuance. Ceux dont il se dégage une simple impression de culpabilité sont tolérés, dans la mesure où ils ne renferment pas une affirmation certaine de culpabilité. Il faut une affirmation certaine, définitive de culpabilité, qui va faire naître dans l’esprit du public une certitude. Cela peut venir des termes employés.

Par exemple, dans l’affaire Cantat-Trintignan, avec le livre écrit par Nadine Trintignan. Le fait pour l’auteur de présenter à de multiples reprises le compagnon de sa fille comme un meurtrier et un assassin constitue une affirmation non équivoque de conviction de culpabilité. C’est attentatoire à la présomption d'innocence.

La Cour de Cassation tente de faire œuvre de pédagogie quand, dans une même affaire, traitée dans deux journaux différents, retient pour l’un l’atteinte à la présomption d'innocence et non pour l’autre.

Cas d’un magistrat ayant volé une carte bleue pour l’utiliser dans des bars de nuit. Dans le premier journal, la Cour de Cassation constate que l’article contient le mot coupable accolé au nom du magistrat et que « l’ensemble de la narration conduit la population a considéré que le magistrat était coupable de vol et d’escroquerie. » Pas de conditionnel, pas d’élément à décharge, conclusion définitive quant à la culpabilité de la personne visée. Donc attentatoire. Le second journal, réputé pour sa ligne satyrique, ne voit pas être reconnue l’atteinte, puisqu’il soulignait la discordance entre le comportement public et les propos rapportés, s’interrogeant sur l’attitude des juges, sans contenir de conclusions définitives, etc.

Il est interdit de présenter prématurément une personne comme étant assurément coupable. En revanche il n’est pas interdit de relater une culpabilité vraisemblable eu égard aux éléments objectifs de la procédure, ou d’une culpabilité potentielle, en veillant à maintenir un doute sur celle-ci. La jurisprudence tolère les propos objectifs qui ne font que décrire des faits matériels ou des actes de procédure, les propos hypothétiques, dubitatifs.

L’appréciation jurisprudentielle porte sur le fond et sur la forme des propos litigieux. Elle s’attache à l’emploi de guillemets, à l’usage du conditionnel. Cette nécessité d’user de formules laissant subsister un doute s’est traduite par la naissance d’un discours journalistique en désaccord avec l’objectif poursuivi. Aujourd'hui, pour se prémunir de toute condamnation, la presse va parler du meurtrier présumé. En disant ça, elle maintient le doute pour la jurisprudence. Ces formules, censées exprimer une précaution oratoire, dénaturent le sens de la présomption. On dit alors qu’une personne est présumée coupable pour préserver la présomption d'innocence. La jurisprudence tolère ces abus de langage, ce qui amène à dire que le droit au respect de la présomption d'innocence a une portée très relative en droit positif. Une interprétation plus large empêcherait de relater toute affaire en cours.

Cette position du droit interne semble assez compatible avec la position de la Cour Européenne des Droits de l'Homme, malgré des condamnations, car selon elle, la présomption d'innocence est atteinte lorsque des déclarations reflètent le sentiment que la personne est coupable et qui incitent le public à croire en sa culpabilité (Arrêt CEDH, 9 décembre 2013, Ürfi Çetinkaya contre Turquie). Pour la cour, une distinction doit être faite entre les déclarations qui reflètent le sentiment que la personne est coupable et celles qui se bornent à décrire un état de suspicion.


  1. L’intérêt juridiquement protégé


Le but était d’interdire de présenter une personne comme coupable alors que cela n’avait pas été judiciairement établie car l'imputation publique d'une culpabilité est infamante. C’est donc l’honneur, la considération auxquels chacun peut prétendre qui sont juridiquement protégés. La présomption d'innocence est porteuse d’un « droit à la réputation, droit à l’honneur. »

Protéger la personne contre les atteintes à sa dignité morale est le but de l’article 9-1. La jurisprudence fait le lien entre l’imputation publique d’une culpabilité et l’atteinte à l’honneur et à la considération. Il s’agit d’un lien fait par la jurisprudence interne et la Cour Européenne des Droits de l'Homme, pour laquelle l’article 6§2 protège la réputation de l’intéressé.

On reproche souvent à l’article 9-1 de faire double emploi avec l’action en diffamation. En effet dans les deux cas on vient protéger l’honneur. Les deux cas ne se superposent pas totalement.

L’article 9-1 n’a vocation à jouer que dans un contexte procédural. Ce contexte a des conséquences, dans le cadre d’une procédure portant sur des faits criminels, délictuels, les atteintes à l’honneur sont plus faciles et plus graves. Il fallait donc une protection renforcée. Quand une procédure pénale est en cours, on ne protège ni une réalité, ni l’innocence mais une apparence, une présomption. Elle doit être préservée jusqu’à ce que la justice se prononce. Cela a une incidence concrète, la protection de la présomption d'innocence va jouer sans se préoccuper de la véracité des propos litigieux.

Dans l’action en diffamation, l’auteur peut toujours invoquer la vérité, l’exceptio veritatis, considéré comme un fait justificatif.


  1. Les sujets du droit au respect de la présomption d'innocence


Un droit subjectif implique un rapport juridique entre deux sujets.


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      1. Qui peut exiger le respect de la présomption d'innocence ?


Toute personne. Cette réponse n’a pas toujours été aussi claire. On a longtemps estimé que l’atteinte au droit au respect de la présomption d'innocence ne pouvait être invoquée que par une personne pénalement mise en cause. Il s’agit d’une mauvaise lecture de l’article 9-1. Son alinéa 2 précise que seuls les faits en cause doivent faire l’objet d’une enquête ou d’une instruction judiciaire, et non la personne, qui peut être extérieure à la procédure en cours. Il est donc reconnu à toute personne, physique et morale. Ce droit est donc bien un attribut de la personnalité. Son attribution n’est soumise à aucune autre condition que la qualité de personne.


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      1. Qui doit respecter la présomption d'innocence ?


Toute personne. Pas de restriction, même si initialement mis en place pour protéger contre la presse. Ce droit est opposable erga omnes, c'est-à-dire à toute personne publique ou privée. S’agissant des personnes publiques, il faut entendre les représentants de l’Etat, qu’ils participent ou non à la procédure. jurisprudence abondante de la Cour Européenne des Droits de l'Homme, notamment sur le respect par les juges.

Un juge ne doit pas laisser publiquement entendre avant le jugement qu’il est déjà convaincu de la culpabilité d’une personne. Il porterait atteinte à la présomption d'innocence et à son devoir de juger en toute impartialité.

Une autre exigence est souvent rappelée par la Cour Européenne des Droits de l'Homme. Les juges doivent également veiller à ne pas présenter une personne comme coupable à l’occasion d’une autre procédure alors que cette culpabilité n’a pas été judiciairement établie. Un juge saisi d’une question particulière peut être amené à envisager la culpabilité d’un autre individu, et doit veiller à ne pas porter atteinte à la présomption d'innocence. Cas des procédures d’indemnisation après acquittement, notamment pour les indemnisations pour placement en détention. Cas de rejet de la demande sur le motif que l’individu aurait pu être condamné sur un autre fondement, le juge viole la présomption d'innocence (Arrêt CEDH, 9 novembre 2004 Del Latte contre Pays Bas).

Violation quand l’arrêt reflète de par sa motivation le sentiment que la personne est coupable (Arrêt CEDH 12 avril 2012, Lagardère contre France).

La Cour d’appel avait jugé que les éléments de l’infraction pénale étaient réunis. Cet arrêt a contribué à faire évoluer notre jurisprudence interne sur l’appel des parties civiles quant à l’action civile (Chambre Criminelle, 5 février 2014), pour allouer des dommages et intérêts à la partie civile, les juges ne pouvaient pas retenir que l’intéressé pouvait se voir imputer des faits constitutifs d’un abus de confiance alors qu’il avait été définitivement relaxé de ce chef. Il n’y a aucune immunité tenant à la qualité particulière des propos ou de la personne.


Même si toute personne doit respecter la présomption d'innocence de chacun, la jurisprudence a donné à ce droit un contenu relativement étroit. La valeur protégée, l’honneur, ne l’est que dans une mesure relative. Certains y voient une faiblesse voire une inefficacité.


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      1. Les sanctions de l’atteinte au droit au respect de la présomption d'innocence


L’article 9-1 prévoient les mesures susceptibles d’assurer ce respect. Cette protection se joue au plan civil. Les mesures visées n’épuisent pas toutes les possibilités de sanction. Certaines dispositions spécifiques de nature pénale peuvent venir protéger la réputation des individus alors qu’une procédure est en cours. Double protection, civile et pénale.


  1. La protection civile


Selon l'article 9-1 alinéa 2 du Code Civil, lorsqu'une personne est, avant toute condamnation, présentée publiquement comme étant coupable de faits faisant l'objet d'une enquête ou d'une instruction judiciaire, le juge peut, même en référé, sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire toutes mesures, telles que l'insertion d'une rectification ou la diffusion d'un communiqué, aux fins de faire cesser l'atteinte à la présomption d'innocence, et ce aux frais de la personne, physique ou morale, responsable de cette atteinte.


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      1. Les actions en cessation de l’atteinte


Sollicitation en référé de la diffusion d’un communiqué judiciaire sur n’importe quel type de support. Insertion d’une rectification, dont la forme va être définie par les juges, possibilité de demander en référé. Ce ne sont pas les seules, puisque le juge peut « prendre toute mesure. » Cela peut aussi être la saisie d’un ouvrage, l’interdiction de publication, l’interdiction de diffusion d’un téléfilm. Ce sont des mesures souvent sollicitées par les victimes de l’atteinte. Elles sont très rarement ordonnées car elles s’apparentent à des actes de censure. Les juges choisissent plutôt l'occultation ou la modification. Contre-exemple avec l’affaire Clearstream avec report temporaire de la publication d’un ouvrage.


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      1. Les actions en réparation


La jurisprudence affirme que les abus de la liberté d’expression prévus par l’article 9-1 du Code Civil ne peuvent pas être poursuivis sur le fondement de l'article 1382 (Deuxième Chambre Civile, 8 mars 2001). L’intérêt est de dire qu’il ne s’agit pas d’une responsabilité pour faute, il n’y a pas besoin de montrer une faute de l’auteur, juste atteinte à démontrer.


  1. La protection pénale


Il n’existe aucune incrimination spécifique qui vienne réprimer la violation de la présomption d'innocence. Il y a des dispositions qui permettent de protéger la présomption d'innocence en posant certaines obligations et certaines interdictions. C'est ainsi le cas de l'article 803 du Code de Procédure Pénale interdisant qu'une personne soit photographiée ou filmée quand elle porte des menottes sans avoir été condamnée. C’est le cas de l’article 35 ter -1 de la loi du 29 juillet 1881 incriminant la diffusion de l’image d’une personne menottée ou placée en détention provisoire.

« La présomption d'innocence est un principe dont l'invocation n'a pas toujours suffit à garantir le respect, » Robert BADINTER.