9h37, jour 1, la décision.
Mon portable sonna, je décrochai, Bartolomeo :
« _Tu vas retrouver la « fine équipe » ?
_Oui, pourquoi ?
_ Besoin d’un coup de main…
_Quel genre ?
_Habituel….
_On se retrouve au Café du Commerce dans quarante minutes, sois à l’heure.
_J’y serai. »
Je raccrochai, l’échange a duré un peu moins de neuf secondes, ce fut presque trop; je tirai ma pipe, la police n’aura pas su qui nous étions mais il n’était pas bon de trop en dire au téléphone par les temps qui couraient, la répression était de plus en plus sévère et toujours plus aveugle : les ennemis du pays se confondant très souvent avec ceux du Parti…quand je pense que j’ai soutenu ce candidat qui aujourd’hui m’a enfermé dans la peur, la médiocrité et l’individualisme… La radio déversa un flot de statistiques sur les éloignements économiques et sur les colonies de réinsertions par le travail manuel, autant de démagogie et d’absurdités me soulevaient le cœur ; un speaker du ministère de l’information loua enflammé la pratique du collectivisme oligarchique lancé par le gouvernement. Désabusé j’attrapai 1984 de Orwell : « Les meilleurs livres sont ceux qui racontent ce que l’on sait déjà. »
<!--[if gte vml 1]><v> <v> <v> <v> <v> <v> <v> <v> <v> <v> <v> <v> <v> <v> <v> </v> <v> <o> </v><v> <v> <w> </v><![endif]--><!--[if !vml]--><!--[endif]-->10h18 L’homme s’avança doucement, il était de taille moyenne, trapu, cheveux noirs tirant sur le châtain, sourcils protubérants, yeux noisettes, nez cyranesque, il portait une large et longue cape noire; son visage s’illumina lorsqu’il vit entrer le dernier arrivant. Grand, maigre, crâne étroit, pommettes saillantes, sensuel, vaniteux, hautain, violent jusque dans le regard, il était pareillement vêtu de noir. Profitant du mauvais positionnement de la caméra de surveillance, il lui fit signe de s’approcher.
« _Vlad… égal à toi-même…
_Je n’ai pas vu le temps s’écouler…
_Bon, assis toi, les autres attendent. »
En effet, plus ou moins cachées par l’obscurité cinq autres personnes étaient attablées.
« _Alors que devra-t-on faire ?
_Comme d’habitude…
_On devra tuer qui ?
_Personne, en théorie…j’ai découvert un château abandonné en Transylvanie…
_Et tu veux qu’on vienne, qu’on tue tout le monde et qu’on récupère tout ce qu’on trouvera afin que tu puisses revendre les objets ainsi découverts dans le but de soutenir ton commerce d’achat-vente-échange d’armes et d’antiquités, c’est ça ?
_Exactement.
_Tu vois, j’ai saisi le principe…
_Une question : on risque quoi ? demanda Ivan.
_Théoriquement rien, le château est abandonné, dit Chaps.
_Et en pratique ? » objecta Boris.
Vlad leva la main, le silence se fit quasi instantanément :
« _Y a-t-il quelque chose d’impossible que nous ne puissions réaliser ? »
Un ange passa.
« _Qu’en penses-tu ?
_Je pars.
_Il faudrait régler quelques détails avant…
_Tu peux nous équiper ?
_Oui.
_Je pensais à des détails que nous n’avons pas évoqués : argent, logement, langue, heure de départ du train, coût unitaire du billet par rapport au salaire moyen de la masse salariale russe sur une période donnée P ainsi qu’en parallèle avec le radio médian qui…
_Chaps ?
_Oui ?
_Tais-toi !
_Mais on n’a pas parlé des prorata…
_On s’en fout et j’ai mal à la tête. »
Silence.
22h04, le même jour.
« _Chéri tu me promets de faire attention ? »
C’était la cinquième fois, au moins, depuis que je lui avais dit que je partais sans elle qu’elle me posait la question.
Blottie contre moi comme par peur de l’extérieur, Violaine, ma fiancée depuis quatre mois, semblait à la fois triste que je ne l’emmenai pas avec moi et apeurée à l’idée de me laisser partir. Je caressai ses longs cheveux parfumés. Je baissai la tête, l’embrassai et lui promis de rester bien « sage » , « prudent » et surtout « diplomate ».
« _Et comment allez-vous sortir du pays, je croyais que le Solitaire avait promulgué une loi interdisant de voyager sans une autorisation spéciale du Ministère de la Négociation ?
_ Et bien – je devai avouer que je n’y avais pas trop réfléchi – Bartolomeo va nous fournir des sauf-conduits en bonne et due forme afin de nous absenter pendant une dizaine de jours… »
J’éteignis la lumière, elle s’endormit rapidement, la tête posée sur ma poitrine, je ne trouvais pas le sommeil. Enfin, après avoir longuement médité les yeux perdus dans la nuit je m’assoupis.
Je me tenais sur un quai, sac en bandoulière, valise dans une main, veste et pantalon beiges, chaussures marron, casquette assortie, moustache fine. Une femme se tenait près de moi, la mienne, elle était au bord des larmes mais resta à côté de moi imperturbable. Un détail me frappa : le train était presque vide, j’y entrai, je déposai mes bagages, je redescendis, je l’embrassai une dernière fois puis remontai, les larmes aux yeux je la saluai depuis le compartiment : elle, seule sur le quai au milieu de cette foule hostile, agita un mouchoir blanc comme un adieu. Je m’assis et pleura : je n’en pouvais plus. Je me sentais vide et isolé… je me réveillai à ses côtés…