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Titre du blog : Littérature assassine...
Auteur : LazloSprand
Date de création : 23-11-2008
 
posté le 28-05-2009 à 23:11:07

Rendez-vous imprévu...

          Aspidistra les rattrapa alors qu’ils changeaient de quartier. Elle était habituée à l’atmosphère particulière de la banlieue-est et n’y prêtait plus attention que par m’égard mais leur air détaché de Shin à la limite de l’inconscience passive la perturba. Elle s’arrêta quelques instants à les regarder saluer les petits vieux et les commerçants du quartier. Elle s’incrusta au milieu d’eux en s’attachant au bras droit de Shin. Un frisson d’excitation la parcourut mais elle se calma. Shin sursauta sur le coup puis se détendit. Elle se fit la réflexion qu’elle était bien ainsi, accrochée à son bras comme une fiancée apeurée recherchant le réconfort au creux du cœur de l’être aimé. Elle chassa cette impression en rougissant.

« C’est toi, fit-il. Tu veux que je te ramène ?

_Tu savais que j’habitais dans ce quartier ?

_Bien sur, au lycée les rumeurs vont vite. Tu habites où en définitive ?

_Dans la 7ième rue à côté de St Charles Church Avenue.

_Ok, je vois où elle se trouve, on y sera dans cinq minutes. Rentrez seuls, je la ramène.

_Pas de problèmes, répondit Pierce en bayant. Essaie de ne pas lui faire peur comme cette après-midi, » lui souffla-t-il à l’oreille.

            Ils se séparèrent. Shin raccompagna Aspidistra chez elle. Elle remarqua qu’il adoptait une attitude ambiguë à la fois paternaliste et distante.

« Où est-ce que tu vis, toi, d’ailleurs ?

_À côté de l’église St Michel, dans le quartier des émigrés, répondit Shin, mon père adoptif m’a légué un appartement à sa mort.

_Ah, désolé.

_Non, ce n’est rien. Et toi que font tes parents ?

_Mon père travaille à l’étranger depuis son divorce et ma mère vit à la campagne.

_D’accord, ça doit pas être simple tous les jours. Tu vis avec de la famille, des frères et sœurs, peut-être ?

_Mes deux sœurs aînée : Elspeth et June. Mon frère Edward s’est engagé dans l’armée : il est sous-lieutenant chez les Marines.

_En Irak j’imagine. Beau pays mais cela ne doit pas être facile tous les jours pour se voir.

_Oui… c’est pour ça, entre autre, aussi à cause de l’éloignement de maman – elle marqua une pause – que June essaie de trouver un petit copain…

_Et toi ?

_Je préfère attendre de trouver le bon ou en tout cas quelqu’un qui en vaille la peine.

_Je te comprends. »

Aspidistra jeta un regard à Shin. Il était à la limite de la tentation malintentionnée et pourtant il gardait une attitude de sainte-nitouche très convaincante. Ses cheveux de jais dansant dans la brise du soir lui conféraient une aura de féminité et de séduction qui lui donnait cette influence magique qu’exercent certaines personnes et que l’on nomme le charme. « Je ne le connais que depuis deux jours à peine et pourtant je lui parle déjà presque comme à un confident, pourquoi ? » Pensa-t-elle tout en serrant plus fort son bras. « Avec ça on doit vraiment nous prendre pour un jeune couple. » Elle rit silencieusement du bout des lèvres. « Que se passe-t-il ? » dit-il en lui relevant le menton avec deux doigts.

Elle ne répondit pas.

Pierce et Phoebe rentraient chez eux d’un pas tout à fait quelconque lorsque – mais il serait vain de trouver dans la suite une seule preuve de soudaineté – ils virent un pauvre hère endormis sur le trottoir dans une impasse boueuse.

« Rentre, Phoebe, je vais voir s’il a besoin d’un coup de main.

_Bien. »

Elle hocha de la tête. Pierce s’approcha et héla le « randonneur. »

« Hey boy, besoin d’un coup de main ? 

_Que dices tu ? »

« Et non ! Je ne comprends pas bien l’espagnol, songea Pierce. Phoebe aurait du venir avec moi. » Il se frotta les yeux en rassemblant les bribes de castillan dont il se souvenait.

« Tu quieres que te ayuda ?

_Si, chico. »

« Chico ? Il veut vraiment que je l’aide ou quoi ? Il a au maximum deux ans de plus que moi ! »

« Quieres una alcoba por la noche ? Or tu tienes unos amigos en la cuidad ?

_No pero hay mucho por pagar mi lecho en una posada.

_Sûrement… Vienes los hoteles estan en los andenes. »

Pierce le conduisit vers les quais puis lui dénicha un petit hôtel miteux aux prix abordables – et d’où il ne reviendrait pas le chercher – et après quelques palabres le planta entre les mains du gérant. « Je m’en suis enfin débarrassé. On peut me jeter la pierre pour cette réflexion mais parfois les bonnes actions sont éprouvantes à réaliser. »

Aspidistra resta légèrement indécise devant sa porte, faisant tourner ses clés dans ses mains, elle ne trouvait pas les mots pour le retenir, le faire entrer chez elle, pour en savoir plus sur lui, pour le comprendre. Ils restèrent un instant dans cette désagréable position comparable à celle d’un homme assis entre deux chaises. Shin rompit le silence :

« Je vais y aller. »

Il s’approcha, l’embrassa sur le front et partit. Elle tourna nerveusement la clé dans la serrure, ouvrit la porte, passa son embrasure, la referma et prit les escaliers.

Dehors Shin éprouva une gêne étrange comme s’il devait se reprocher quelque chose dont il n’avait pas complètement pris conscience ou comme s’il avait oublié ou mal apprécié un élément essentiel. Il passa sa main sur ses lèvres, un cheveu d’Aspidistra s’y était collé, il se demanda si son parfum y était toujours attaché. Cette idée lui parut stupide et déplacée, il haussa les épaules et se dit qu’il devait avoir faim, tout simplement.

Arrivée au premier palier, Aspidistra vit la lettre officielle marquée du cachet de l’armée, pensant instinctivement à son frère elle tomba à genoux et fondit en larmes.

            June arriva à ce moment-là. Un peu plus grande qu’Aspidistra, elle avait les mêmes cheveux couleur corbeau qu’elle portait mi-long. De trois ans l’aîné de la cadette, elle suivait des cours d’économie à la faculté locale. Sa réaction fut en tous points opposées à celle d’Aspidistra : elle ramassa l’enveloppe puis l’ouvrit et parcourut rapidement la lettre.

« Edward ne rentrera pas pour Thanksgiving, c’est dommage, dit-elle.

_C’est tout ?

_Bien sur tu pensais que ce serait quoi ? S’il venait de mourir un représentant de l’armée serait venu nous voir…

_Hum, hum… »

Elles se retournèrent, un officier leur faisait face. Il avait profité de l’arrivée d’un autre locataire pour entrer dans l’immeuble.

« Mesdemoiselles, j’ai de mauvaises nouvelles à vous annoncer… »

Aspidistra retint ses pleurs. Elspeth laissa tomber son sac de provision dans l’escalier en entendant ceci. Elle était livide. Les trois sœurs fixaient le soldat comme les trois femmes l’ange de la Résurrection dans le jardin du tombeau.

« Votre frère a été victime d’un accident lors d’une opération aéroportée… »      

Il y eut un soir, il y eut un matin…