Le parloir était une pièce simple sans fioritures à l’exception de rideaux de velours noir. Quand Shin passa le pas de la porte, les rideaux étaient tirés et la pièce sombre, un grand homme engoncé dans un manteau de cuir noir l’attendait assis dans un fauteuil. Sa barbe taillé en cercle autour du visage et ses lunettes aux montures dorées lui donnaient un petit air de grand-père bienveillant.
« Richard Dulles ?
_Exactement. »
L’individu enleva ses lunettes pour se masser le nez et Shin remarqua que la monture ne supportait pas de verres.
« Que voulez-vous ?
_Des renseignements.
_Je vais voir ce que je peux faire.
_Tu es soupçonné de tentative de meurtre. » Il lui tendit un morceau de papier. « Voilà les éléments sur la situation.
_D’accord. »
Il prit le papier et salua pour mettre un terme à la discussion.
« Attend, j’ai autre chose à te dire.
_Je vous écoute.
_Je ne pense pas que ce soit toi qui es fait cela.
_Pourquoi ?
_La constitution du suspect ne correspond pas à la tienne mais il utilise un sabre à lame inversée comme les élèves, les maîtres non classés et les exclus du club Ya-chi-ru, tel que toi.
_C’est pour cela que suis-je suspecté, alors ?
_Depuis tes exploits de l’an dernier les inspecteurs ont tendance à faire un peu vite des rapprochements. »
Richard Allan Dulles, considéré comme le meilleur détective privé de toute la ville et de surcroît résidant principalement dans la banlieue-est, remit ses fausses lunettes, ferma son manteau, vissa sur sa tête un chapeau de cuir et laissa glisser sur son côté une sacoche noire de laquelle dépassait l’anse d’un parapluie. « Ce drôle de personnage » comme la plupart des journaux de la cité l’avaient surnommé à ses débuts c’était rendu célèbre par l’arrestation – plus que musclée – d’un tueur en série rôdant dans les bas-fonds. On murmurait qu’il travaillait pour le FBI, parfois pour la CIA et de manière plus sporadique en relation avec la NSA, ce qui expliquait le nombre de ces déplacements et de signatures sur son port d’arme, de fait particulièrement en règle. Sa réputation de génie s’était étoffée avec le temps mais il avait su rester assez simple – ne mangeant du caviar à la louche accompagné de champagne français que deux fois par semaine – et conserver ses réseaux et contacts un peu partout dans la ville, la police, le milieu, le club et la banlieue en général.
Shin le regarda partir avec un pincement au cœur : il devait tirer cette histoire au clair, il quitta la pièce, passa la porte du lycée et s’éloigna dans de petites ruelles sombres. Tapie sur un toit, une ombre l’observa puis sans un bruit commença à passer de maison en maison, la nuit tombante la dissimulait aux yeux des badauds alors qu’il arrivait dans un des endroits les plus mal famé de la ville et que Mr Dulles partait sur les lieux du crimes.
Shin se présenta devant le bar L’illusion de la Bohème, celui-ci était l’endroit le plus mal famé de toute la ville, le repère du parrain des familles de la pègre de celle-ci, Don Camilo. Deux vigiles gardaient l’entrée, ils le fouillèrent et le laissèrent passer. Il s’avança dans la pièce jusqu’à la table du Don.
« Tu viens sans armes ? Tu m’insultes, Shin.
_On a pas besoin d’armes lorsqu’on en est soi-même une.
_Bon réponse. Je vois que Père Innocenti t’a appri les bonnes manières.
_Entre autres. Je suis venu pour vous demander quelque chose.
_Un ex-maître du club, c’est étrange. Que veux-tu ?
_Qui commet les attaques de ces derniers jours ?
_Tu ne parles pas des petites disputes habituelles, j’imagine. Nous ne savons pas qui le fait mais les traqueurs ont été mis sur cette affaire.
_Laissez la moi.
_Pourquoi ?
_Raisons personnelles.
_Hum, laisse-moi réfléchir, un instant. Tu la mettras sûrement hors d’état de nuire, je pense. » Shin acquiesça. « Très bien, tu as cinq jours, passé ce délai ils interviendront.
_Merci, Don. »
Il se leva, salua et se retourna. Alors il s’arrêta et dit doucement :
« Savez-vous Don, il y a dans cette pièce plus de 400 objets qui me permettraient d’attenter à la vie de quelqu’un, en comptant la pièce, elle-même, alors si je viens sans arme c’est parce que je sais que j’en trouverais toujours sur place. »
Il se permit de disposer.
Il y eut un soir, il y eut un matin…