Shin rassembla ses affaires et sortit du terrain. Il s’arrêta dans l’embrasure de la porte et sans se retourner lança à John :
« Si tu veux ta revanche, c’est quand tu veux. »
Alors qu’il quittait le lycée il se figea sur place, jeta son sac en arrière et, en pivotant sur lui-même dévia le coup de point qui lui était destiné.
« Trop lent, Nicolas.
_Revenez-nous, chef.
_Non, car, plus que mon honneur, c’est vos vies qui ont été bafouées. Rentre chez toi, il se fait tard.
_Non.
_Pardon ?
_Je refuse. Si vous ne voulez pas revenir, battez-vous ! »
Nicolas tira un sabre de bois et l’envoya à Shin. Ce sabre, Shin le connaissait mieux que personne, un mètre vingt de long, une garde faîte d’une bague de foulard et une pièce de bois légèrement arrondie à la fin, c’était celui des CP du Castor sont ancienne patrouille aux scouts. Nicolas avait tiré un autre sabre et lui faisait face. Shin fit glisser la lame de son katana dans sa main gauche comme s’il la rangeait au fourreau. Leurs regards se croisèrent et son adversaire commença à courir vers lui l’arme levée au dessus de la tête. Shin ne bougeait pas, ses yeux se plissèrent et, au moment où son ennemi allait le frapper, il fit jaillir son arme et frappa de bas en haut, de la taille jusqu’à la gorge. Nicolas fut déséquilibré par le choc et tomba en arrière. Shin remis son sabre aux pieds de Nicolas et le salua réglementairement.
« Tu viens dix ans trop tôt pour te battre, idiot. N’as-tu rien comprit de ce que j’ai essayé de t’apprendre. Un sabre ne doit pas tuer par plaisir mais par devoir. Lorsque tu auras comprit cela tu auras peut-être une chance. »
Il partit.
Aspidistra se pencha sur Nicolas et le réveilla en l’auscultant rapidement.
« Ne me touche pas. »
Nicolas repoussa sa main avec violence.
« Tu pourrais être plus aimable je me faisais seulement du soucis pour toi.
_Trop aimable mais ce n’est pas à cause de ça qu’un ancien patrouillar du Castor aura besoin de réconfort.
_Tu semble très fier d’appartenir à cette patrouille, non ?
_Bien sur, c’était la meilleur de toutes. Si nous n’avons rien gagné c’est parce que les chefs n’aimaient pas Shin, c’est tout.
_Ah bon ?
_Evidement, tu connais Shin, non ? Tu as du remarquer qu’il ne pouvait être que l’un des meilleurs chefs de la région.
_Heu… oui, évidement. On pourrait continuer cette discussion dans le café à côté, on serait mieux installé, n’est pas ?
_Tu invites ? »
Aspidistra frissonna en pensant à son porte-monnaie.
« D’accord. »
Profondément aspiré par la contemplation de sa glace sept boules – dont Aspidistra devait, encore bien longtemps après ce jour, douter de l’existence – Nicolas passa plusieurs minutes sans rien dire.
« Que veux-tu savoir ?
_Pourquoi es-tu venu te battre contre Shin ? Pourquoi veux-tu qu’il revienne ?
_Tu es vraiment bête. »
Le sang monta aux oreilles d’Aspidistra avant qu’elle ne se souvienne qu’il était lâche de frapper plus faible que soi.
« Shin a refondé cette patrouille après qu’elle ait été dissoute et pour cela il n’y a prit que des scouts dont c’était la première année, même le second qu’il est allé chercher lui-même au collège. Ca a été dur parfois, mais il était comme un grand frère pour nous. Il n’a jamais voulu la victoire en elle-même mais il a toujours refusé qu’on nous rabaisse ou que nous nous dénigrions nous-mêmes.
_En fait tu l’admires plus qu’autre chose ?
_Oui, mais depuis qu’il est partie, il n’y a plus que moi qui reste à la Troupe et la patrouille a été fermée. S’il revenait tout redeviendrait comme avant…
_Construit ton futur dans le présent sans oublier ton passé et alors tu ouvriras devant toi les portes du destin.
_Pourquoi tu sorts une phrase zen ?
_C’est ce que m’a dit Shin un jour où je n’avais pas le moral. »
Un long silence suivit ces derniers mots.
« Quelle technique Shin a-t-il employé contre toi ? Etant loin je n’ai pas bien vu. »
Nicolas se racla la gorge.
« Une attaque éclair, un ‘iai’ pour être précis, le principe réside dans le fait de faire glisser la lame du katana dans le fourreau pour accélérer la vitesse du premier coup porté. Grâce à un long entraînement Shin arrive à l’exécuter avec un sabre de bois comme celui qu’il avait. »
Il regarda par la fenêtre une lassitude toute nouvelle au fond des yeux.
« Je n’atteindrais peut-être jamais son niveau… »
Aspidistra lui passa la main dans les cheveux avec beaucoup de tendresse pour ce petit bout de choux de douze ans – « je ne suis pas petit ! » – et des brouettes.
« Seul l’impossible nous permet de nous transcender. »
Elle se leva, déposa la monnaie pour les consommations puis s’éclipsa.
« Tu fréquentes Shin, n’est pas ? Alors rappel toi de son surnom : l’homme aux deux visages. »
Les mots de Nicolas la transpercèrent alors qu’elle passait la porte.
« Merci. »
Dans la rue, enfin seule, cette idée la frappa :
« Shin même ceux qui t’aiment bien en définitive me parle de ta partie sombre, pourquoi ne laisses-tu au final que ce souvenir ? »
Cependant au même moment dans l’enceinte du lycée, une réunion importante se tenait dans le dojo de kendo. Les treize capitaines y étaient assemblés, assis en cercle au centre de la pièce principale. Tous semblaient soucieux et leur air grave ne laissait rien espérer de bon.
« Résumons : le directeur est absent pour des raisons médicales et le nouveau CPE se croit tout permis.
_Que devons-nous faire ?
_Deux possibilités : premièrement attendre le retour du directeur, deuxièmement obtenir la démission du CPE. »
Il y eut un soir, il y eut un matin…