Shin se réveilla guitare en main. Il ne réalisa pas tout de suite que sa nouvelle basse était toujours branchée à son nouvel ampli. Le tapage nocturne – à six heures du matin – qui en résulta permit à tout l’étage d’être exceptionnellement ponctuel au travail.
Il posa la Stagg sur un trépied et prit la vieille Melody Maker de feu son père adoptif. Il attrapa un de ces anciens livrets de tablatures/partitions/lyrics et l’ouvrit à la page centrale. Il laissa ses doigts glisser le long des cordes. « De toute manière, cette chanson a été écrite pour être exécuté avec trois guitares, » songea-t-il en jetant un coup d’œil à la ligne mélodique complexe qui était dessinée sur la page.
« I look at you all see love there that’s sleeping
While my guitar gently weeps
I look at the floor and I see it needs sweeping
Still my guitar gently weeps
I don’t know why nobody told you how to unfold your love
I don’t know how someone controlled you
They bought and sold you.
I look at the world and I notice it’s turning
While my guitar gently weeps
Witch every mistake we must surely be learning
Still my guitar gently weeps
I don’t know how you were diverted
You were perverted too
I don’t know how you were inverted
No one alerted you.
I look at you all see love there that’s sleeping
While my guitar gently weeps
Look at you all…
Still my guitar gently weeps. »
Il resta quelques instants dans le silence puis se releva lentement et alluma le lecteur Cd. Dans les entrailles métalliques de ce dernier, le disque commença à tourner et du fond des sixties la musique resurgit plus vivante et mélancolique que jamais.
« J’ai encore du boulot en chant pour être au niveau… »
Il reprit sa guitare et enchaîna les accords comme si sa vie en dépendait : c'est-à-dire mal.
Il débarqua au lycée, basse dans le dos et gara sa 125 dans une petite ruelle adjacente. Il passa sous la grande porte et se dirigea vers le dojo du club. La cour était déserte. Le souffle du vent passa dans ses cheveux mouillés lentement comme les longs et glacés doigts du temps. Il resta un moment à contempler ce morne paysage urbain, triste et désenchanté dans la fraîcheur brumeuse de ce petit matin blême d’un automne irréelle. Il était seul, il était libre, il était beau, du moins s’égarait-il à l’espérer…
La grande salle du dojo résonnait de ses pas lents et méthodiques. Il posa ses affaires dans un coin et s’étira consciencieusement puis prit un sabre d’entraînement et commença quelques exercices. Cinq minutes plus tard, Hans, John et Pierce entrèrent.
« Shin, on peut te demander un service ?
_Allez-y.
_Tu peux nous apprendre comment manier correctement un katana ? »
Shin soupira et s’assit en tailleur devant eux.
« Bon, on va commencer par le début : montrer moi comment vous tenez un sabre. »
Ils s’exécutèrent l’un après l’autre.
« Vous êtes moins pitoyables que Shô ne le disait en fait… bon pour des attentes standards, pas pour les siennes.
_Sympa de nous remonter le moral, Shin, répliqua Pierce sarcastique.
_On va faire quelques exercices. »
Il porta un coup descendant…
« C’est le karatake… »
Un coup ascendant…
« Sakakaze… »
Un coup oblique sur l’épaule droite…
« Kesagiri… »
Un coup oblique sur l’épaule gauche…
« Sakagesa… »
Un coup descendant au flanc droit…
« Miginagi… »
Un coup descendant au flanc gauche…
« Hidarinagi… »
Un coup ascendant à droite…
« Migikiriage… »
Un coup ascendant à gauche…
« Hidarikiriage… »
Et enfin, un coup porté vers l’avant.
« Tsuki… Ces neuf formes d’attaques servent à tuer quelle que soit l’école avec neuf formes de contre-attaques adaptées. Entraînez-vous jusqu’à les maîtriser. On verra la suite après. »
Ils le regardèrent incrédules puis s’acharnèrent à refaire les mouvements qu’il leur avait montré pendant qu’il jouait un peu de basse.
« Allez plus vite, c’est mou tout ça !
_Shin, t’es sur qu’on arrivera à battre Shô grâce à ça ?
_Le battre ? Aucune chance !
_Et le toucher ?
_J’ai peut-être un plan pour ça. Vous connaissez le manga Narouto ? »
Lorsque Shô entra la première chose qu’il vit fut un magasin particulier ouvert au niveau du poster central. Il l’attrapa et sa température corporelle monta en flèche alors même que son attention atteignait des niveaux critiquement bas.
« Maintenant, » souffla Shin.
Trois fous dégénérés et psychopathes se jetèrent alors par surprise sur leur proie… bavante.
« Karatake ! rugit John.
_ Hidarinagi ! hurla Pierce.
_ Miginagi ! » cria Hans.
Quelques secondes plus tard, Shin et Chaps – qui venait d’entrée lors de l’attaque combinée – faisaient de leur mieux pour réveiller Shô tout en se retenant de rire à gorge déployée.
Le « joyeux professeur » sortit de sa torpeur post-comatique après plusieurs sauts d’eau glacée et un bon verre de rhum – introduit en douce par Chaps. Sa réaction fut vive et soulageante – pour ces « élèves » – il quitta la pièce en se jurant de ne jamais plus enseigner ne serait-ce que la marche à pied à un gamin de neuf mois.
« Ca me retombe toujours dessus quand je joue au maître et à l’élève, » maugréa-t-il.
Chaps lança à Shin un regard de profonde satisfaction qu’il adressa également aux trois « élèves. »
« Bon, vous allez changer de prof.
_Oh pourquoi ? s’enquit Pierce sans le minimum syndical d’intelligence et de tact.
_A ton avis… »
La cloche sonna et ils rejoignirent leurs salles de cours respectives.
Aspidistra s’endormait paisiblement sur son bureau quand Shin s’assit à sa place. Il la regarda puis, ne voyant aucun signe d’évolution, il tendit lentement la main et lui caressa les cheveux. Elle se réveilla doucement. Il remit prestement sa main dans sa poche.
« Tu dormais.
_Hum… oui.
_Généralement on fait ça la nuit.
_A qui la faute si je n’y arrive pas.
_Ne me le fais pas retomber dessus. »
Il se tenait les mains levées et un grand sourire aux lèvres.
« Bon les amoureux du troisième rang, j’aimerais commencer mon cours si ça ne vous dérange pas, » lança Mr Maldinpert leur professeur de français.
Shin préféra se taire.
Il y eut un soir, il y eut un matin…