Premier album éponyme du groupe de Jim Morrison et de Ray Manzarek, The Doors est un enregistrement pleinement abouti, qui synthétise et restitue, à travers ses onze chansons, une multitude d’influences littéraires, théâtrales et, bien sûr, musicales. Grâce à la limpidité énergique de ses arrangements et à la production de Paul Rothchild, The Doors est l’un des rares premiers opus à assurer un bon équilibre entre reprises et compositions originales. Avec « Back Door Man », Jim Morrison et ses complices rendent un hommage — très connoté sexuellement — à un classique du blues signé Willie Dixon et déjà chanté par Howlin’ Wolf ; de The Doors à L.A. Woman (1971), leur dernier album, le blues est demeuré la source d’inspiration commune du quatuor de Los Angeles. En reprenant une chanson de Kurt Weil et Bertolt Brecht, « Alabama Song (Whisky Bar) » (tirée de l’opéra Grandeur et décadence de la ville de Mahagonny), Jim Morrison s’abandonne à la part la plus littéraire de son art, qui lorgne, pêle-mêle, du côté du cabaret allemand, de Céline et de Rimbaud. À travers le jeu du batteur John Densmore transparaît, en outre, un intérêt évident pour le jazz, tandis que l’organiste Ray Manzarek et le guitariste Robby Krieger mettent constamment à l’épreuve leur éducation musicale classique. Chaque titre atteste des qualités mélodiques du groupe, qui signe aussi bien des chansons pop entêtantes, « Soul Kitchen », que des ballades tristes, « The Crystal Ship ». Crooner malgré lui alors qu’il se veut poète et conscience rebelle, Jim Morrison est un interprète idéal, au sex-appeal irrésistible, à la voix de baryton claire et parfaitement articulée. The Doors est, par ailleurs, le seul album pour lequel les Doors font appel à un bassiste ; Ray Manzarek a, par la suite, assuré lui-même les parties de basse de la main gauche sur un orgue Fender.
The Doors est très bien accueilli lors de sa sortie et propulse au sommet du hit-parade la chanson « Light My Fire », qui devient l’un des hymnes — sans doute celui qui, parmi tous, est le plus ouvertement érotisé — du Summer of Love (ou « été de l’amour ») de 1967, point d’orgue du mouvement hippie. Toutefois, le titre le plus connu de l’album n’en demeure pas moins « The End », long morceau (onze minutes) aux réminiscences de ragas et au freudisme affiché, qui en appelle, un an avant Mai 68, au meurtre du père et à la révolte ; Francis Ford Coppola l’a utilisé pour la scène d’introduction de son film Apocalypse Now (1979).
Break on through (to the other side)