La fuite en avant du temps présent marqua une pause significative sur le coup de treize heure trente ce jour-là. Depuis trois jours, tous les matins en passant la porte du lycée, Shin enfilait sa veste de membre et il commençait à apprécier à sa juste valeur le changement d’attitude des autres élèves à son égard. Mais même les bonnes choses ne sont pas éternelles – à part Dieu et encore… Le rappel à l’ordre eut lieu juste avant le premier match du tournoi municipal de football.
« Ekichi, c’est quoi cette composition d’équipe ?
_Celle du match, il y a quelque chose qui t’échappe ?
_La défense, je comprend, c’est celle de d’habitude mais il faut que tu m’explique le milieu de terrain : c’est quoi ce double losange hypertrophié et depuis quand Shin joue en attaquant de pointe seul ?
_Je veux gagner et c’est au milieu que nous ferons la différence, fin de la discussion. »
Le match débuta quand Shin passa lentement le ballon à Bobby. Celui-ci le glissa à Michael qui effectua une longue transversale vers Diego qui s’enfonça dans la défense adverse. En fin de course, il parvint à décaler la balle pour Paolo qui centra. Shin dévia la trajectoire sur Bobby qui transmit de la tête vers Johann. Michael coupa la course du ballon d’une demi-volée limpide qui se ficha dans la lucarne. Ekichi souffla et s’assit sur son banc.
Trente minutes plus tard, malgré un important pressing et une domination totale de l’équipe de Jefferson, le score n’avait pas bougé. Paolo partit alors dans une de ses cavalcades endiablées le long de la ligne de touche dont il avait l’habitude et le secret. Suite à un une-deux avec Diego, il se retrouva à l’entrée de la surface de réparation. Il centra vers Paul qui la glissa à Johann qui la balança – sans noircir le tableau – au milieu de la surface de réparation. Bobby frappa mais son tir fut repoussé par le gardien sur Shin qui le catapulta dans le but d’une bicyclette superbe mais qui n’avait apparemment pas pris en compte la possibilité d’un quelconque atterrissage qui fut alors douloureux.
Après la mi-temps, le match reprit sur un faux tempo lancinant du fait de l’hypertrophie des deux milieux de terrain opposés. Alors lorsque Bobby s’engouffra balle au pied dans la défense adverse, Ekichi ne put s’empêcher de se lever d’un bond.
« En retrait pour Gianni ! »
Bobby avait senti la présence de son partenaire dans son dos. Il joua à fond la carte de la diversion que Shin effectuait obligeant trois joueurs à le marquer puis adressa une petite passe du pied droit à Gianni juste dans sa foulée… Ce fut une véritable fusée qui transperça la surface et qui catapulté des dix-huit mètres frappa le poteau et rentra dans le but.
Ekichi fit alors signe à l’arbitre qu’il voulait effectuer un remplacement et fit entrer Chris et Geoff à la place de Michael et Gianni. Shin repassa au milieu de terrain aux côtés de Bobby. C’est alors que l’improbable se produisit. Sur leur première véritable action devant le but de Pierce leurs adversaires obtirent un corner. Ce fut sur celui-ci que l’incident se produisit : fermement marqué à la culotte par un Franck impérial jusqu’alors, l’attaquant adverse s’effondra le visage dans les mains en pleurs. L’arbitre arrêta l’action et désigna le point de penalty. Puis à la consternation générale, il appela Franck et le renvoya aux vestiaires avant ses petits camarades, au moyen d’un carton rouge tout aussi injuste qu’outrageant. Le match se poursuivit dans une ambiance détestable alors que Robert se plaçait en défense centrale et que les deux équipes se rendaient rapidement coup pour coup – Paolo, Paul et Robert en premier lieu vengeant chèrement l’injustice qui avait été faîtes à Franck.
Suite à une ou deux altercations malheureuses et injustifiées, l’arbitre décida de mettre un terme au match. Tous les joueurs quittèrent la pelouse. Ekichi les retrouva dans les vestiaires peu après. Il s’avança directement vers Pierce et lui tapota sur l’épaule amicalement.
« Pierce à partir de maintenant, tu es le nouveau capitaine du club de football.
_Pardon ?
_Marco et Lothar se sont retirés et vont être transférés à Mac Mulligan. »
Il tourna les talons et sortit.
« Mais le match d’aujourd’hui ?
_Il ont été éliminés, leur avoua Franck à mi-voix.
_Par qui ?
_Le lycée Henderson.
_Henderson ? Tu délires, ils les ont écrasés 7 à 0, l’an passé.
_Ils se sont améliorés, dit Franck qui semblait dépassé, et ce sont nos futurs adversaires.
_On va avoir du pain sur la planche, » analysa prosaïquement Pierce.
Il y eut un soir, il y eut un matin…