Jimmy maugréait dans un coin de la pièce. Il caressait doucement sa raquette, le regard perdu dans l’obscure clarté qui régnait autour de lui. Pat entra lentement sur la pointe des pieds et s’assit en face de lui. Il se racla la gorge. Jimmy ne redressa même pas la tête. Pat se leva et fit les cent pas puis s’arrêta.
« Qu’est-ce qu’on fait, capitaine ?
_On réfléchit, répondit-il. On réfléchit et on attend.
_Quoi ? »
Pat semblait sur le point de s’effondrer tout à fait métaphoriquement. Son silence était le plus sur aveu de son trouble.
« Face à ce genre de situation, il n’y a rien à faire. Toute tactique serait inutile compte tenu de notre dispersion, de l’instantanéité de nos matchs et de la différence de surface.
_Mais aucun d’entre eux n’a jamais…
_Pat, aucun d’entre nous n’a jamais joué dans une situation semblable, ni face à un tel adversaire. Je suis conscient que nos chances sont minces et qu’aucune équipe de notre lycée ne s’est imposée ici depuis l’ère des quatre empereurs mais nous nous avons une chance à jouer alors faisons le. »
Les autres membres de l’équipe qui attendaient patiemment dans le couloir virent la porte s’ouvrir et furent invités à entrer. Ils s’assirent sur le banc devant Jimmy et Pat.
« Comme vous avez pu le constater sur les tableaux d’affichage, commença Jimmy, nous allons jouer simultanément sur des surfaces différentes pour chacun, en double : quick et béton et en simple : terre battue, parquet et gazon. Pat et Lleyton vont jouer sur le quick, Todd et Mats sur béton, John sur terre battue, Shin sur gazon et je vais prendre le parquet.
_Le jeu de John ne s’adapterait-il mieux pas au gazon ? demanda Shin.
_Peut-être mais pour gagner « il faut être là où l’on ne vous attend pas, au risque de surprendre et souvent de déplaire. »
_Tu cites du De Gaulle maintenant ? ironisa Pat.
_Etes vous prêt à réprimer dans la sueur et les larmes ceux qui se dresseront devant vous ? Etes vous prêt à tout donner jusqu’au bout de l’enfer ? « Je n’ai à [vous] offrir que du sang, du labeur, de la sueur et des larmes. »
_Churchill, souffla Lleyton.
_Messieurs en avant, marchons fièrement vers la victoire.
_Tout compte fait, c’est un beau jour pour mourir, murmura John en se levant.
_Il n’y a de beau jour que pour la gloire, répliqua Shin. La mort ne prévient pas avant de frapper et elle préfère les ruelles sombres quand elle le peut… »
Ils croisèrent leur raquette et se séparèrent. Shin partit vers le court numéro 1 en sifflotant tendrement un vieil air d’opéra lancinant.
Une heure et demi plus tard, Jimmy sortait du court numéro 15 après un match en trois sets secs, 6-1/6-1/6-0. Phoebe et Pierce l’attendait l’air plus sombre qu’ils ne l’auraient dus. Ils se rendirent directement au vestiaire.
« On ne va pas voir les autres matchs ? demanda Phoebe.
_Plus ou moins de pression ou d’encouragements ne les aidera pas forcément, répondit Pierce.
_Ils gagneront, » affirma Jimmy en replaçant sa raquette dans son étuis.
Une petite demi-heure de plus et John, Pat et Lleyton les rejoignaient également.
« Cela se passe comment pour les autres ? »
La question de Jimmy fusa dans un silence inquiétant.
« On a déjà trois points sur cinq donc c’est bon, non ? répondit Lleyton.
_Comment ça se passe ?
_Mal, concéda Pat. Mats et Todd… »
Ceux-ci entrèrent à ce moment-là, dépités.
« Shin n’est pas au mieux non plus, il a perdu le premier set 6 jeux à 1, commença John.
_Face ?
_Tony Bleans, je crois… »
Jimmy fut sur ses pieds d’un bond.
« On va voir là-bas.
_Pourquoi ? Tu as dis que… »
Jimmy était déjà dehors.
« Tony est un joueur de niveau national comme Jimmy, » expliqua Pat en se levant.
Shin avait rétablis l’équilibre mais le match demeurait extrêmement serré, le score était de 6-1/5-7/3-6/7-6/1-1. Ils s’assirent dans les gradins avec Aspidistra, Kate, Leila, James et Hans. Shin remporta alors son service sur un ace incontestable.
Tony Bleans était d’un naturel colérique, contestataire et insatisfait. Il maîtrisait à fond le service-volée et pratiquait un tennis léché, intense et spectaculaire. Shin, en comparaison, était une véritable pièce de glace sculptée directement au scalpel : impassible au réclamations incessantes de son adversaire, il développait un jeu de fond de court simple mais terriblement précis, rapide et impitoyable. Il ressemblait à un cyborg uniquement programmé pour la compétition. D’improbables gouttes de sueurs perlaient le long du visage de chacun des deux joueurs.
Tony égalisa puis poursuivit en faisant le break mais Shin rééquilibra le score. Celui-ci passa en suite à 4 à 3 pour Shin. Une demi heure plus tard, il obtenait la première balle de match.
Tony servit et monta au filet. Shin retourna le service par un revers et se décala le long de sa ligne de fond de court. Tony récupéra la balle de volée au filet et la renvoya sur la ligne de fond. Shin trouva l’angle pour effectuer un passing-shot en revers mortel. Tony s’allongea pour frapper la balle mais celle-ci avait déjà filée dans l’angle de son terrain. Shin tomba à genoux sur le gazon.
« Belle victoire, souffla Pat.
_Il a un certain niveau, » reconnu Jimmy.
Il y eut un soir, il y eut un matin...