Je lui rendais la lettre respectueusement.
« Paul a toujours conservé trois documents sur lui : cet lettre de son père qui est le dernier témoignage que celui-ci lui a laissé avec une photo de ses parents et de son parrain, une photo de nous et de nos enfants et une feuille avec des indications et le code de la cassette qu’il conservait dans son bureau et que je devais ouvrir s’il venait à mourir. Elle contient la messe des morts qu’il a écrite. »
Je restais silencieux, un peu déconcerté.
« Mon mari ne vous aurez pas reproché une telle question. Mais nous agissons tous comme il l’aurait fait pour nous. Comprenez bien, j’aime mon mari et par de là la mort je sais que je lui resterai fidèle. Alors tant qu’il reste ne serai-ce qu’une parcelle d’espoir, je ferai comme lui : je jouerai à pile ou face sur le meilleur jeu que j’ai, le sien.
_ Il en est de même pour nous. Si Paul ne nous avait pas réunis, s’il ne nous avait pas poussés, s’il ne nous avait pas faits confiance, nous ne serions pas là. Aujourd’hui, c’est à nous de lui faire confiance, de le pousser comme nous le pouvons, » trancha Pierce qui fut approuvé tacitement par les autres membres du groupe.
La porte derrière nous s’entrouvrit lentement. Et trois petites têtes blanches jaillirent dans la pièce : deux garçons et une fille, un peu plus jeune.
« Tonton Pierce !
_ Tonton Pierce !
_ Tonton Pierce !
_ Oh ! mes élèves préférés ! Avez-vous appris vos leçons ?
_ Oui, tonton ! crièrent les garçons en se mettant au garde à vous alors que la fille faisait une révérence.
_ C’est bien.
_ Tonton, j’ai appris une chanson, tu peux me dire si tu la reconnais ? demanda le plus âgé des trois.
_ Vas chercher ta guitare. »
Il était déjà à la porte. Le deuxième garçon prit place sur les genoux de sa mère tandis que la jeune fille se réfugiait sur ceux de Phoebe.
« C’est mon premier fils, Robert ou Bobby, il a six ans. Ce petit diable-là s’appel Patrick, il a cinq ans, cette princesse, Victoire ou Victoria, quatre ans, et notre dernier, Peter qui dort encore, a deux ans.
_ Et je suis leur professeur, » précisa Pierce en allant chercher dans l’entrée sa propre guitare sèche.
Le petit Bobby revenait déjà, une guitare acoustique à la main.
« Tu penses que ça le réveillera ? demanda-t-il à sa mère avec un peu d’appréhension.
_ Je l’espère… répondit-elle.
_ Nous leur avons expliqué que leur père se réveillerait sûrement s’il avait un déclic. Et que celui-ci pourrait venir d’une chanson qu’il connaissait, » m’expliqua Geoff.
Bobby s’assit devant Pierce et commença à jouer. Les notes tombaient comme des larmes. James et Pierce les reconnurent et le premier entonna le couplet :
« I look at you all see love there that’s sleeping
While my guitar gently weeps… »
Le jeu de guitare était encore un peu juste techniquement parlant mais le cœur était pur et les sentiments qui glissaient aux travers de la musique embrumaient vos yeux de larmes. C’est alors que je m’en rendis compte : il n’y avait pas que les seules guitares et la voix de James qui jouaient le morceau de Georges Harrison.
« I look at the floor and I see it needs sweeping
Still my guitar gently weeps.
I don’t know why nobody told you
How to unfold your love.
I don’t know how someone controlled you
They bought and sold you. »
Un murmure. Un murmure fredonnait l’air au milieu de l’harmonie. Pierce, Bobby et James suivaient le rythme qu’il imprimait. L’élève et le maître étaient assis face à face, les yeux fermés, la tête levée et les doigts dansant comme des funambules sur les cordes.
« I look at the world and I notice it’s turning
While my guitar gently weeps.
Witch every mistake we must surely be learning
Still my guitar gently weeps. »
Je compris d’où il venait, je me tournais vers le lit. Paul. Paul Wyss chantonnait. Le masque respiratoire était détaché…
Pierce s’était relevé tel le vieux lion refusant d’abandonner son territoire, il s’était mis debout fermement cambré sur ses deux pieds. Ses longs cheveux de soleil volaient dans son dos alors qu’il suppliait les sons de venir à lui. J’en restais assis, écrasé dans mon fauteuil tant par la maîtrise technique du guitariste que par le murmure de l’absent. Tout ce que j’avais pu entendre jusqu’à présent s’effaça de ma mémoire. Rien ne vaut la vérité du directe.
« I don’t know how you were diverted
You were perverted too.
I don’t know how you were inverted
No one alerted you. »
La musique lancinante de l’oscilloscope avait repris un rythme plus rapide et entrainant : celui d’un cœur éveillé.
« I look at you all see love there that’s sleeping
While my guitar gently weeps.
Look at you all…
Still my guitar gently weeps. »
Le final semblait avoir été écrit pour cet instant. Pierce resta silencieux lorsque les dernière notes tombèrent et je ressentie clairement l’onde de la musique s’écouler en moi… Voyant que j’allais applaudir, Pierce posa délicatement un doigt sur sa bouche pour m’imposer le silence. Et prenant son neveu par l’épaule, il ferma les yeux, les traits de son visage s’adoucissant peu à peu.
« Le silence après les Beatles est encore d’eux, disait ton père… » Il marqua une pause puis le poussa en avant. « Va le retrouver. »
Bobby regarda par-dessus l’épaule de son oncle puis bondit en avant suivit de son frère et de sa sœur. Phoebe s’éclipsa pour chercher Peter.
« Papa ! » s’écrièrent les enfants en sautant sur le lit.
Une larme perlait le long de la joue opaline de Paul. Lorsque sa petite famille se jeta sur lui, ses yeux s’entrouvrirent, ses bras se levèrent et les serrèrent contre lui. Puis ses yeux se posèrent sur chacun puis fixèrent sa femme avec un mélange de tendresse et de surprise.
« Le noir ne te va pas… darling. »