Richard tourna encore une fois entre ses mains son billet de train. La gare n’avait décidément pas changé. Il soupira et rajusta son col. Il frissonna : il avait froid, il était nostalgique.
Treize ans… Treize ans auparavant, sur ce même quai il avait pris un train semblable… dans l’autre sens. Il était jeune, il était libre, il était fou. Il n’aurait pas cru revenir un jour ici, brisé, vaincu, seul…
Ses parents ? Ils dormaient depuis quelques mois dans la terre meuble du petit cimetière de leur village natal. Ses amis ? Il ne les avait pas prévenus, il ne voulait pas revenir vers eux la queue entre les jambes comme un chien battu et apeuré…
Il ne savait pas où aller. Chez ses parents ? Il n’était pas sûr d’être déjà prêt. Chez qui ? Howard, Edwin et Georgina, Roger et Elspeth, le Padre ou Gaylord ? Il ne voulait pas y réfléchir pour l’instant. Il se sentait misérable. Il prit son sac et le balança sur son épaule, pressa contre sur son cœur sa croix.
Ses yeux s’embrumaient de larmes alors qu’un train fantôme rentrait en gare. Un petit groupe passa près de lui : cinq enfants de dix-sept ans, trois jeunes adultes et deux parents un peu secs enfoncés dans leurs manteaux trop justes. Un jeune plus excité sautait sur le marchepied, faisait une profonde révérence et chantait une chanson d’au revoir en agitant la main. Dans la brume du matin, le train du passé s’évanouit. Seul restait en lui une strophe aux accents poétiques :
« Les sanglots longs
Des violons
De l’automne
Blessent mon cœur
D’une langueur
Monotone. »
Il écrasa une larme orpheline au coin de son œil. Il n’était plus temps de se morfondre. Aujourd’hui il devait trouver un logement et un travail. Il bailla pour se détendre et se retourna.
Un coup de point au ventre le fit reculer sur deux pas et lâchant son sac, il se mit en garde.
« Calme-toi, fiston. Je voulais juste te réveiller. »
Richard écarquilla les yeux. Ses points se desserrèrent, ses avant-bras tombèrent contre ses jambes. Il resta un instant indécis comme frappé de stupeur puis s’élança en avant.
« Vous tous ! Comment avez-vous su ?
_ J’ai un ancien patient qui bosse à la gare, » répondit laconiquement Howard.
Trois petits enfants s’accrochaient aux jambes rassurantes de leurs mères, un peu surpris par le débordement d’émotion que suscitait cet étranger. Richard se pencha vers eux en rajustant ses lunettes.
« Toi petite fille, tu dois être…, il passa la main dans ses cheveux d’or, Phoebe la fille de Georgina et d’Edwin, et ce jeune garçon doit être ton frère jumeau, Pierce, non ? »
Les deux enfants approuvèrent d’un hochement de tête. Richard tourna la tête vers le troisième. Ses cheveux blancs et sa peau lactescente contrastaient avec ses yeux rouges.
« Tu es Paul, le fils de Roger et d’Elspeth. »
Paul soutint son regard et acquiesça.