posté le 09-11-2014 à 13:26:12

Bretagne

Il y a beaucoup de vaisselle,
Des morceaux blancs sur le bois cassé,


Des morceaux de bol, des morceaux d'assiette
Et quelques dents de mon enfant
Sur un morceau de bol blanc


Mon mari aussi a fini
Vers la prairie, les bras levés,
Il est parti, il a fini


Il y a tant de morceaux blancs,
De la vaisselle, de la cervelle
Et quelques dents de mon enfant;


Il y a beaucoup de bols blancs,
Des yeux, des poings, des hurlements,


Beaucoup de rire et tant de sang
Qui ont quitté les innocents.


Eugène Guillevic

 


 
 
posté le 09-11-2014 à 13:25:21

La Grande Misère de la France

Nous n'irons plus au bois ma belle
Les lauriers sont coupés les ponts
Aussi : les arcs-en-ciel
Et même le pont d'Avignon


Jeanne d'Arc mortelle statue
Un peu de bronze ensanglanté
Dans cette France qui s'est tue
Ton cœur a cessé de chanter


Jeanne dans sa jupe de bure
Assise sous les framboisiers
Se prépare une confiture
Avec du sang de cuirassiers


La poule noire des nuages
Pond les œufs pourris de la mort
Les coqs déplumés des villages
N'annoncent que les vents du Nord


Car l'aube avait du plomb dans l'aile
Et le soleil est un obus
Qui fait sauter les citadelles
Et les lilas sur les talus


Le ciel de France est noirci d'aigles
De lémures et de corbeaux
Ses soldats couchés dans les seigles
Ignorent qu'ils sont des héros


Ni Chartres, ni Rouen, ni Bruges
N'ont assez d'anges dans leurs tours
Pour lutter contre le déluge
Et les escadres de vautours


Taureau chassé des pâturages
Et du silence paternel
Devant la pourpre de l'outrage
Perd tout son sang au grand soleil


Il perd son sang par ses fontaines
Par ses veines par ses ruisseaux
Il perd son sang par l'Oise et l'Aisne
Par ses jets d'eau par ses naseaux


Les douze sœurs de ses rivières
Aux bras cambrés aux nœuds coulants
Dénouent leurs lacets et lanières
Pour se jeter à l'océan


Buvez buvez guerriers ivrognes
Les vins fermentés de la peur
Les sangs tournés de la Bourgogne
Les alcools amers du malheur


Les bières gueuses de la Meuse
Et les vins platinés du Rhin
Les sources saintes des Chartreuses
Et les absinthes du chagrin


Les larmes qui de chaque porte
Ont débordé sur le pays
Les eaux de vie et les eaux mortes
Grisantes comme le vin gris


Nous n'irons plus au bois ma belle
Les lauriers sont coupés les ponts
Aussi : les arcs-en-ciel
Et même le Pont d'Avignon.


Ivan Goll

 


 
 
posté le 08-11-2014 à 12:49:11

Final du Songe d'une Nuit d’Été

Si nous, légers fantômes, nous avons déplu,
Figurez-vous seulement et tout sera réparé,
Que vous avez fait ici un court sommeil,
Tandis que ces visions erraient autour de vous.
Seigneurs, ne blâmez point
Ce faible et vain sujet,
Et ne le prenez que pour un songe :
Si vous faites grâce, nous corrigerons.
Et comme je suis un honnête Puck,
Si nous avons le bonheur immérité
D'échapper cette fois à la langue du serpent,
Nous ferons mieux avant peu,
Ou tenez Puck pour un menteur.
Ainsi ; bonne nuit à tous.
Prêtez-moi le secours de vos mains si nous sommes amis
Et Robin vous dédommagera quelque jour.


William Shakespeare

extrait du Songe du Nuit d’Été (Acte V, scène 2).

 


 
 
posté le 08-11-2014 à 12:48:45

The Vicious Circle

As the snow flies
On a cold and gray Chicago mornin'
A poor little baby child is born
In the ghetto

And his mama cries
Cause if there's one thing that she don't need
It's another hungry mouth to feed
In the ghetto

People, don't you understand
The child needs a helping hand
Or he'll grow to be an angry young man some day
Take a look at you and me,
Are we too blind to see,
Do we simply turn our heads

And look the other way
Well the world turns
And a hungry little boy with a runny nose
Plays in the street as the cold wind blows
In the ghetto

And his hunger burns
So he starts to roam the streets at night
And he learns how to steal
And he learns how to fight
In the ghetto

Then one night in desperation
A young man breaks away
He buys a gun, steals a car,
Tries to run, but he don't get far
And his mama cries
As a crowd gathers 'round an angry young man
Face down on the street with a gun in his hand
In the ghetto

As her young man dies,
On a cold and gray Chicago mornin',
Another little baby child is born
In the ghetto
And his mama cries


Mac Davis


Comme la neige vole
Par un froid et gris matin de Chicago
Un pauvre petit bébé est née
Dans le Ghetto
Et sa maman pleure
Parce que si c'est une chose dont elle n'a pas besoin
C'est une autre bouche affamé à nourrir
Dans le Ghetto

Les gens, vous ne comprenez pas
L'enfant a besoin d'une main pour l'aider
ou il grandira pour être un homme en colère un jour
Jetez un œil sur vous et moi,
Sommes nous aveugle pour voir
Devons nous seulement tourner nos têtes
et voir l'autre chemin ?

Et bien, le monde tourne
et un petit garçon affamé avec un nez qui coule
joue dans la rue gelé par le vent froid qui souffle
Dans le Ghetto

Et sa faim brûle
Donc il commença à errer dans les rues la nuit
Et il apprend comment voler
Et il apprendre comment se battre
Dans le Ghetto

Puis une nuit de désespoir
Un jeu homme se détache
Il achète un revolver, vole une voiture
Essayer de s'enfuir, mais il ne va pas bien loin
Et sa mère pleure

Comme une foule se rassemble autour d'un jeune homme en colère
La face cachée sur la rue avec un revolver à la main
Dans le Ghetto

Comme son jeune homme meure
Par un froid et gris matin de Chicago,
Un autre petit bébé est né
Dans le Ghetto

 


 
 
posté le 08-11-2014 à 12:47:59

Supplique pour être enterré à la plage de Sète

 La Camargue qui ne m'a jamais pardonné
D'avoir semé des fleurs dans les trous de son nez
Me poursuit d'un zèle imbécile.
Alors cerné de près par les enterrements,
J'ai cru bon de remettre à jour mon testament,
De me payer un codicille.

Trempe dans l'encre bleue du Golfe du Lion,
Trempe, trempe ta plume, ô mon vieux tabellion,
Et de ta plus belle écriture,
Note ce qu'il faudrait qu'il advînt de mon corps
Lorsque mon âme et lui ne seront plus d'accord,
Que sur un seul point: la rupture.

Quand mon âme aura pris son vol à l'horizon
Vers celle de Gavroche et de Mimi Pinson,
Celles des titis, des grisettes,
Que vers le sol natal mon corps soit ramené,
Dans un sleeping du Paris-Méditerranée,
Terminus en gare de Sète.

Mon caveau de famille, hélas! n'est pas tout neuf,
Vulgairement parlant, il est plein comme un œuf,
Et d'ici que quelqu'un n'en sorte,
Il risque de se faire tard et je ne peux,
Dire à ces braves gens: "Poussez-vous donc un peu,
Place aux jeunes en quelque sorte."


Juste au bord de la mer, à deux pas des flots bleus,
Creusez si c'est possible un petit trou moelleux,
Une bonne petite niche,
Auprès de mes amis d'enfance, les dauphins,
Le long de cette grève où le sable est si fin,
Sur la plage de la corniche.


C'est une plage où même à ses moments furieux,
Neptune ne se prend jamais trop au sérieux,
Où quand un bateau fait naufrage,
Le capitaine crie: "Je suis le maître à bord!
Sauve qui peut, le vin et le pastis d'abord,
Chacun sa bonbonne et courage."


Et c'est là que jadis à quinze ans révolus,
À l'âge où s'amuser tout seul ne suffit plus,
Je connus la prime amourette.
Auprès d'une sirène, une femme-poisson,
Je reçus de l'amour la première leçon,
Avalai la première arête.


Déférence gardée envers Paul Valéry,
Moi l'humble troubadour sur lui je renchéris,
Le bon maître me le pardonne.
Et qu'au moins si ses vers valent mieux que les miens,
Mon cimetière soit plus marin que le sien,
Et n'en déplaise aux autochtones.

Cette tombe en sandwich entre le ciel et l'eau,
Ne donnera pas une ombre triste au tableau,
Mais un charme indéfinissable.
Les baigneuses s'en serviront de paravent,
Pour changer de tenue et les petits enfants,
Diront: "Chouette, un château de sable!"


Est-ce trop demander: sur mon petit lopin,
Plantez, je vous en prie, une espèce de pin,
Pin parasol de préférence,
Qui saura prémunir contre l'insolation
Les bons amis venus faire sur ma concession
D'affectueuses révérences.


Tantôt venant d'Espagne et tantôt d'Italie,
Tous chargés de parfums, de musiques jolies,
Le Mistral et la Tramontane,
Sur mon dernier sommeil verseront les échos,
De villanelle, un jour, un jour de fandango,
De tarentelle, de sardane.

Et quand prenant ma butte en guise d'oreiller,
Une ondine viendra gentiment sommeiller,
Avec moins que rien de costume,
J'en demande pardon par avance à Jésus,
Si l'ombre de ma croix s'y couche un peu dessus,
Pour un petit bonheur posthume.

Pauvres rois pharaons, pauvre Napoléon,
Pauvres grands disparus gisant au Panthéon,
Pauvres cendres de conséquence,
Vous envierez un peu l'éternel estivant,
Qui fait du pédalo sur la vague en rêvant,
Qui passe sa mort en vacances.

Vous envierez un peu l'éternel estivant,
Qui fait du pédalo sur la vague en rêvant,
Qui passe sa mort en vacances.

 

Georges Brassens

 


 
 
 

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