« Plus nous traitons le monde comme un spectacle, plus il doit nécessairement nous devenir métaphysiquement inintelligible. »
G. Marcel, Etre et avoir, p 22.
« Voir, c’est avoir à distance. »
Merleau-Ponty, L’œil et l’esprit, p 27.
« Lorsque son corps la trompe (l’âme), Dieu la détrompe. »
Malebranche, Recherche..., Préface XVI.
« Vieillir, c’est se retirer progressivement du monde des apparences. »
Goethe.
« La perception commence au changement de sensation ; d’où la nécessité du voyage. »
A. Gide, Paludes, p 66.
« Les choses sont tout entières ce qu’elles paraissent et derrière elles, il n’y a rien. »
Sartre, La nausée, p 137.« Non, je ne vous conduirai point dans une terre étrangère ; mais je vous apprendrai peut-être que vous êtes étranger vous-même dans votre propre pays. »
Malebranche, Entretiens sur la métaphysique et sur la religion.
« Tout état de conscience en général est en lui-même conscience de quelque chose, quoi qu’il en soit de l’existence réelle de cet objet et quelque abstention que je fasse de la position de cette existence. »
Husserl.
« Nul n’est excepté du premier devoir de l’homme ; nul n’a droit de se fier au jugement d’autrui. » Rousseau, Emile, IV.
« Connais-toi toi-même. Se connaître, c’est retrouver ce que l’homme est, au-delà de ce qu’il paraît. »
J-F Braunstein.
« L’homme est un inconnu pour lui-même. »
St Augustin.
« Le rêve stupéfie sans pouvoir bâtir. »
Caillois, L’incertitude qui vient des rêves, p 78.
« Dans un si grand revers, que vous reste-t-il ?
- Moi :
Moi, dis-je, et c’est assez. »
Corneille, Médée, (Nérine à Médée).
« Je suis maître de moi comme de l’univers. »
Corneille, Cinna, (Auguste, V, 3).
« Pensée fait la grandeur de l’homme. »
Pascal.
« L’homme n’est qu’un roseau, le plus faible de la nature ; mais c’est un roseau pensant. »
Pascal.
« La grandeur de l’homme est grande en ce qu’il se connaît misérable. Un arbre ne se connaît pas misérable. »
Pascal.
« La sagesse est dans une cure méthodique d’amaigrissement, ou, en style plus noble, dans un vœu sincère de pauvreté. »
Léon Brunschvicq, Les âges de l’intelligence.
« Ce qui compte, dans les pensées des hommes, ce n’est pas tellement ce qu’ils ont pensé, mais ce non-pensé qui, d’entrée de jeu, les systématise. »
Michel Foucauld, Naissance de la clinique.
« Se représenter l’univers, et tendre à se le représenter de la manière la plus distincte possible, voilà véritablement ce qui fait d’un être une substance et non un phénomène. »
Boutroux, (à propos de Leibniz).
« Pour ce qui est de la pensée, le corps ne nous en donne aucune idée et ce n’est que par le moyen de la réflexion que nous l’avons. »
Leibniz, Nouveaux essais..., II, XXI, p 145.
« Ils cherchent ce qu’ils savent et ne savent pas ce qu’ils cherchent. »
Leibniz, Nouveaux essais, p 152.
« Rentre en toi-même. »
Saint Augustin.
« Je suis devenu pour moi-même une question. » (Quaestio mihi factus sum)
Saint Augustin.
« Si donc quelqu’un met tout le reste en doute, de tout cela, il ne lui est point permis de douter. »
Saint Augustin, De trinitate, X, 14.
« Si je me trompe, c’est que je suis. Par conséquent, je ne me trompe pas non plus en disant que je suis informé de cette conscience qui est mienne. »
Saint Augustin, La cité de Dieu, XI, 26.
« C’était moi qui voulais et moi qui ne voulais pas... Car ni mon vouloir, ni mon non-vouloir n’était entier et sans partage. C’est pourquoi j’étais en désaccord avec moi-même. »
Saint Augustin.
« Pour moi, il n’est rien au-dessus de moi. »
Max Stirner.
« Il faut que l’esprit sorte de lui-même pour atteindre à tant de choses, mais il ne peut en sortir sans se dissiper. »
Malebranche, Recherche..., Préface XXI.
« Ce n’est pas la conscience qui détermine la vie, c’est la vie qui détermine la conscience. »
Marx, L’idéologie allemande.
« Jamais en effet la conscience n’est plus aiguë que quand elle souffre : le plaisir la dissipe et l’endort. »
L. Lavelle, Le mal et la souffrance, p 5.
« Regardons l’innocence d’un enfant ; c’est une innocence négative, c’est celle de la nature. Il n’a point encore commencé à diriger sa vie ; c’est sa vie qui le dirige... car l’enfant est aussi très près de la terre et il n’a pas eu le temps de s’élever beaucoup au-dessus d’elle. »
Louis Lavelle, Le mal et la souffrance, p 61-62.
« La réflexion... qui tarit l’élan de la spontanéité intérieure, ... rend si souvent malheureux et impuissant... dans son essence la plus pure, est un retour vers la source même de notre vie. »
Louis Lavelle, Le mal et la souffrance, p 66-67.
« Je n’acquiers la libre disposition de moi-même que par la réflexion. Jusque-là, c’était la nature qui agissait en moi et par moi. »
Louis Lavelle, Le mal et la souffrance, p 69.
« Ce qui a donné naissance à cette croyance que la conscience reste toujours cloîtrée en elle-même, c’est que l’on définit la conscience comme le simple pouvoir de connaître les choses par les idées. »
Louis Lavelle, Le mal et la souffrance, p 185.
« Il faut cesser de penser à soi pour être soi. »
Louis Lavelle, Le mal et la souffrance, p 216
« Une chose est la fidélité à notre passé d’enfant, à l’engagement qui nous a été soit imposé soit proposé suivant l’âge du baptême ou de la communion ; autre chose est la fidélité au verdict de notre conscience dans le seul engagement à la recherche de la vérité, à la continuité de l’effort spirituel. »
Brunschvicq, La raison et la religion, p 9.
« Attendez un moment que j’aille m’interroger moi-même. »
Héraclite.
« Ma pensée, c’est moi ; voilà pourquoi je ne peux pas m’arrêter. J’existe parce que je pense. »
Sartre, La nausée, p 142.
« Moins on sait, plus on croit savoir ; plus on sait, plus sent-on son ignorance. »
Bayle.
« Celui qui connaît quelque partie de son corps connaît ce qui est à lui, mais pas lui-même. »
Platon, Premier Alcibiade, p 163.
« C’est en ceci que consiste l’existence de l’esprit : avoir soi-même pour objet. »
Hegel, La raison dans l’histoire, p 74.
« La conscience ne peut pas être définie ; nous pouvons bien nous-même savoir parfaitement ce qu’est la conscience, mais nous ne pouvons pas sans confusion communiquer aux autres une définition de ce que nous saisissons clairement nous-même. La raison en est simple ; la conscience est à la racine de toute connaissance. »
Hamilton.
« Toute conscience est d’ordre moral puisqu’elle oppose toujours ce qui devrait être à ce qui est. »
Alain.
« Conscience est synonyme d’invention et de liberté. »
Bergson, L’évolution créatrice.
« L’homme d’action est toujours sans conscience ; il n’y a de conscience que chez le contemplatif. »
Goethe.
« La conscience est une prison mais c’est une prison dont les murs reculent indéfiniment. »
Louis Lavelle, La conscience de soi.
« Il ne faut pas permettre à l’homme de se mépriser tout entier. »
Bossuet.Les éclats rougeoyants de l’agonie quotidienne des derniers feux du soleil couchant dessinaient sur le visage d’Angelina des motifs enjôleurs. La courte natte de ses cheveux couleur corbeau dansait doucement dans son dos alors que la frange noire et or qui ombrageait son front noyait ses yeux clairs et fiers dans une obscurité insondable. Une veste brune négligemment jetée sur ses épaules masquait sa taille fine, une sacoche portée en bandoulière dont la sangle rehaussait sa poitrine semblait être son seul souci à cette minute. Sa marche vive et déterminée laissait entrevoir par instant de longues et douces jambes exquises. Elle passa devant un petit restaurant de quartier accueillant : une douce mélodie s’élevait encore alors qu’elle s’éloignait.
Elle repensa à la soirée de la veille : avec des amis du lycée, elle était venue prendre un peu de bon temps dans ce petit estaminet. Un homme sans âge, aux longs cheveux blanc mais à l’allure jeune, jouait du piano ou un air de guitare pour créer une ambiance plus intimiste. Alors qu’ils attendaient leurs desserts, le musicien attaqua un morceau qui fit tiquer James, un de ses amis, lui-même pianiste et apprenti violoniste. Tandis qu’il appréciait, en connaisseur, le jeu tout en délicatesse et en volupté tranchant avec la fougue du morceau, elle lui demanda quelle composition était interprétée. Il sourit et se leva sans répondre dans un premier temps, invita sa voisine, Kate, à danser et passant derrière elle lui souffla la réponse à l’oreille. Les danses hongroises de Brahms…
Un bruit la tira de sa rêverie et elle se retourna, sa bouche figée dans une expression incertaine alors que ceux qui la suivaient s’évanouissaient dans l’ombre d’une ruelle… Les gangs. Elle prit peur. Les voyous n’étaient pas connus pour leur courtoisie ou leur patience. La plupart des mauvais garçons qui les composaient ne rêvaient même pas, pour la plus part, d’obtenir un jour un seul sourire d’une jeune fille du centre comme ils disaient eux-mêmes. Non, le problème était qu’en groupe le peu d’intelligence dont ils faisaient parfois usage semblait s’évanouir inexplicablement et leur esprit perverti leur soufflait alors des rêves inavouables et des fantasmes inaccessible. Sauf dans certains cas en certains lieux. Alors quelque jeunes filles se voyaient faire certaines propositions qu’on ne peut pas refuser… Elle reprit sa route vers l’appartement familial en essayant de paraître le plus pressée possible et en évitant un maximum les rues endormies dans une pénombre inquiétante. Elle devait dormir, la rentrée au lycée était prévue pour le lendemain et il faudrait qu’elle soit prête…
Quelqu’un s’approcha d’elle, se détachant d’un mur sombre, l’allure menaçante. Elle le regarda s’arrêter sur sa route puis remarqua qu’une autre personne la suivait à nouveau. Elle resta sur place un instant pour évaluer la situation puis recula précipitamment dans une petite artère sur sa droite. Ils étaient trois à présent. Elle se mit à courir vers la grande rue éclairée sur laquelle débouchait la venelle par où elle avait fuit. L’un des hommes la rattrapa et l’attrapa par le bras. Elle se débattit mais il la retourna violement puis la lâcha pour mieux pouvoir la frapper au visage. Le coup ne l’atteignit jamais : un quatrième homme stoppa le poing de l’agresseur en pleine course et riposta sans sommation envoyant l’agresseur à terre. Ses longs cheveux de neige dansaient autour de lui. Sans lui jeter un regard, il lui lança un étui de guitare puis remonta ses avant-bras et serra ses points pour se mettre en garde devant les autres larrons. Il ne souffla mot mais elle sut instinctivement ce qu’il voulait dire. Elle agrippa la poigné de l’étui à deux mains puis prit ses jambes à son cou et s’élança vers la grande rue. Lorsqu’elle l’atteignit, elle s’immobilisa en voyant une dizaine de motos se rassembler. Celui qui semblait être le chef la vit et fit signe au groupe de l’éviter puis ils allumèrent leur phare avant et firent gronder leur moteur en s’engouffrant dans la ruelle. Au passage, le chef s’arrêta à côté d’elle, lui donna une petite tape qui se voulait réconfortante sur l’épaule puis lui glissa quelques mots à l’oreille avant de repartir. Elle resta un moment interdite puis se ressaisit et fila à travers la ville largement éclairée par la fée électricité, la sacoche en bandoulière et l’encombrant étui en main.
Il y eut un soir, il y eut un matin…L'homme et l'étranger le regardèrent, haussèrent les épaules, finirent leur thé le plus naturellement du monde et sortirent.
"Laisse-le faire," fit l'étranger en armant son arbalète.
L'homme fit la moue puis voyant le groupe conséquent de personnes s'approchant en titubant dans la longue rue principale, il se ravisa.
Une nouvelle fois ses yeux se fermèrent, son visage redevint blême un instant, son souffle paru s'arrêter comme si tout était figé hors du cours du temps.
Puis il expira à nouveau, peu à peu son visage repris des couleurs et ses yeux se rouvrirent révélant à nouveau leurs couleurs de glace. Il tira deux épées courtes de fourreaux aménagés sur les flancs de sa moto.
« Reste derrière. »
Une trentaine de morts marchaient dans leur direction. L'étranger retint l'homme par l'épaule.
« Attend juste un instant. »
Il fouilla dans un sac et en tira un objet rond, gros comme un petit melon dont il alluma une mèche à l'aide d'un briquet. Il compta lentement jusqu'à dix et lança l'objet dans le groupe se trouvait à une dizaine de mètres.
En retombant au sol, l'objet explosa et embrasa tout ce qui se trouvait alors dans un rayon de cinq mètres autour de son point d'impact.
Les morts, brûlés par les flammes, blessés par le souffle de l'explosion et surpris par cette attaque, marquèrent un temps d'arrêt qui permit à l'homme de plonger sur eux alors qu'ils étaient immobiles.
En quelques instants, ceux qui n'auraient jamais dû quitter le repos éternel l'avaient rejoint brutalement.
L'homme remis ses lames à leur place tourna vers l'étranger.
« Et maintenant ?
- On a plus le choix..., commença l'étranger. De toute façon, je crois que nous ne sommes pas les bienvenus. »
Les villageois les dévisageaient obstinément, serrant toute une panoplie d'armes plus ou moins improbables contre leur poitrine - pioches, haches, fourches, masses, rouleaux à pâtisserie, couteaux, fourchettes, petites cuillères, et caetera...
« Effectivement... » L'homme leva les yeux au ciel. « Quelle heure est-il ?
- Environ 18 heures.
- Le soleil va décliner rapidement à présent et avec les nuages, ils ne le craignent déjà plus.
- Tu penses qu'ils vont se déplacer ici ?
- Je ne pense pas, je vois, » répondit l'homme en indiquant les deux personnes habillées de long manteau noir qui s'approchaient.
« Un chacun, ce serait jouable si les villageois n'étaient pas là. Ils vont se faire exterminer.
- Il faudrait les faire rentrer dans l'église, répliqua l'étranger.
- Pas la peine, ils y courent. »
Les villageois fuyaient effectivement de manière désordonnée vers l'établissement religieux.
L'homme et l'étranger leur emboîtèrent le pas et entrèrent in extremis dans la massive salle de prière.
Instinctivement, selon une méthode bien rodée, ils attrapèrent le premier banc et le placèrent contre la porte afin de la condamner quelque temps.
Remis de leurs surprises, les villageois firent de même avec les deux portes latérales. Puis l'un d'eux courut bloquer l'entrée de la sacristie. Il s'arrêta sur le pas de la porte qui y donnait et poussa un cri de frayeur.
Immédiatement, les deux compères s'élancèrent.
Le villageois pointait du doigt l'intérieur de la pièce, incapable de parler. L'homme l'écarta sans ménagement tandis que l'étranger plongeait dans la sacristie arbalète en main.
Un corps y gisait, décapité, un pied de chaise plantées dans le coeur. L'homme inspecta sommairement l'endroit tandis que l'étranger étudiait rapidement le cadavre.
« C'en est un, dit-il en se relevant.
- Il nous suit donc toujours, de loin ? grogna l'homme.
- Toujours semble-t-il, murmura l'autre en le voyant perdu dans ses pensées.
- Le Perse pense qu'il est simplement comme nous et qu'il nous suit pour trouver des proies.
- C'est vraiment ce qu'il a dit ? questionna l'étranger en fouillant la dépouille.
- J'ai simplifié, » répondit l'autre.
L'étranger leva les yeux et sourit. S'ils n'avaient été des ennemis ancestraux, l'association unique de ces deux spécialistes aurait pu faire d'eux l'un des personnages les plus importants de l'Histoire. Mais le destin est rageur et sans tomber, vaincu par un héros, la pointe au coeur, ils s'étaient totalement détachés de leur temps. Pour son plus grand plaisir, néanmoins, car il était indubitablement plus sur de voyager avec eux que seul. Il admirait ainsi celui qui les suivait car ils n'avaient jamais réussis à le prendre il les avait souvent sortis d'un certain nombre de mauvais pas par une action chirurgicale et décisive.
« Comme ce soir, » songea-t-il.
Cette affirmation le troublait à chaque fois qu'il y pensait. Il semblait disposer à chaque rencontre d'un coup d'avance, comme s'il était au-dessus de la mêlée, comme s'il savait à l'avance où le bât blesserait.
La porte était close. Ils s'assurèrent de sa solidité et la renforcèrent de quelques bancs. Ce fut alors que les villageois crièrent...L'homme s'exprimait dans une langue désuète comme sortie du profond passé de cette contré mais elle résonnait de manière parfaitement compréhensible dans les oreilles de l'enfant.
"Prépares-toi à me suivre," ordonna-t-il.
L'homme releva ses bras et laissa apparaître deux lames jumelles qui entamèrent une stupéfiante danse mortelle pendant qu'il s'avançait vers la sortie. Les morts tombaient de part et d'autre de lui, alors qu'il marchait, à un rythme effrayant. La jeune fille le suivait en se tenant à un pan de la cape lorsque l'homme s'immobilisa et fit un quart de tour sur la droite...
"Cours !"
Elle regarda la porte et prit ses jambes à son cou. L'homme sourit, écarta d'un revers de sa lame ses opposants. Il jeta un regard au propriétaire des lieux qui descendait des marches en jurant puis se retourna et rattrapant la fille la prit par la taille, sauta sur sa moto et fonça au travers de la forêt, vers le village.
Le village, un amas épars de maisons trop souvent restaurées à la va-vite pour assurer un véritable confort si ce n'est une certaine cohérence visuelle dans la misère ambiante.
Les habitants, un groupe homogène de trois dizaines d'êtres humains robustes, le teint buriné par le vent, le froid, la bruine constante et l'effort quotidien.
Le hameau était centré sur deux bâtiments régissant à eux seuls la vie de la communauté.
L'église tout d'abord, une longue structure en pierre de taille, imposante avec ses murs droits et élevés, monumentale quand on la comparait aux autres, dérangeante par sa couleur noir de nuit et son clocher lancé tel une lance de défi vers le Créateur perdu dans la voûte du ciel.
Le tripot, enfin, simple, empestant la mauvaise bière et l'alcool trop fort, lieu idéal de folies, de jeux et de soûleries permettant d'oublier l'existence réelle dans laquelle ces pauvres hères étaient emprisonnés à jamais à présent par la peur et l'ennui.
Devant le tripot une moto était stationnée, surveillée du coin de l'oeil par son conducteur enroulé dans une longue gabardine beige.
L'homme stoppa devant le bistro et laissa la jeune fille sauter de sa moto.
Celle-ci fit quelques pas pour s'éloigner de lui mais s'arrêta quand son regard croisa celui des habitants.
Ceux-ci la dévisageaient hostilement. Ils savaient, ils sentaient qu'elle avait touché à quelque chose d'interdit, qu'elle avait enfreint les règles de la communauté. Mais plus que pour le contre coup dont ils savaient qu'il s'abattrait inexorablement sur eux, ils la haïssaient car elle s'en était sortie en vie.
Cette dernière remarque ne frappa guère l'homme qui connaissait mieux que quiconque, peut-être, la règle fondamentale de toute société humaine : celui qui exprime son originalité, le déviant a le droit de marquer sa différence si l'expression de celle-ci ne lui attire ni gloire ni bienfait. Le déviant doit payer sa faute de son malheur.
L'homme le savait, des philosophes aux dandys, des génies d'hier à ceux d'aujourd'hui, de Socrate à Mozart, d'Homère à Zola, combien en avait-il vu ? Lui-même ne le savait pas. Mais cette réaction l'irritait toujours.
Laissant son engin contre cette structure permettant d'attacher les chevaux, il s'avança vers le second étranger en poussant la jeune fille devant lui.
Celle-ci regarda un peu mieux son sauveur. Celui-ci était plus massif que n'importe quel homme qu'elle est vue jusqu'à ce jour, véritable géant d'un peu plus de deux mètres, il dissimulait mal sous un lourd manteau une musculature anormalement développée. Ses cheveux sombres bouclés étaient coupés court autour de son crâne et ses yeux bleus avaient l'apparence de deux diamants glacés. Une fine barbe fleurie assombrissait le bras de son visage.
Il indiqua à l'étranger la porte du bar et s'y engouffra sans attendre son acquiescement. Quelque chose semblait le gêner et il fronçait les sourcils par instant, comme si quelqu'un le réprimandait, en bougonnant dans sa barbe.
Ils s'installèrent à une table à l'écart.
"La gosse a posé des problèmes ?
- Elle a réveillé tout le monde au moment où je sortais.
- Laisse-moi lui parler.
- A elle ? Elle ne t'apprendra rien que nous ne sachions déjà.
- A lui."
Le visage de l'homme s'assombrit.
"Pourquoi ? Ils sont réveillés, ils peuvent passer à l'action n'importe quand, mieux vaut que je garde la main.
- Pas pour l'instant, pour le moment, ils vont se réorganiser et nous aussi. Laisse-moi lui parler, le Perse peut m'aider.
- Hum... Essayer quand même de ne pas vous faire avoir comme la dernière fois."
L'étranger sourit. L'homme ferma les yeux et progressivement ses traits taillés à la hache et burinés à la masse s'adoucirent. Quand il rouvrit les yeux, une lueur de malice affinée par des centaines de filouteries y brillait.
Il s'étira et inspecta rapidement les lieux du regard comme s'il se relevait après un long sommeil. Enfin ses yeux se posèrent sur la jeune serveuse qu'il appela d'un geste de la tête.
Celle-ci s'approcha lentement, une certaine peur se dessinant dans ses gestes et son expression.
"As-tu du thé, mon enfant ?" demanda l'homme.
Sa douce voix mielleuse qui semblait vous enrouler comme une pièce de velours. Mais on sentait instinctivement que les ordres qu'elle donnait devaient être immédiatement exécutés. Comme s'ils étaient dictés par une main de fer dans un gant de velours.
"Oui, monsieur, répondit l'enfant.
- Sers-nous en deux, veux-tu ?
- Bien, monsieur."
La serveuse s'éclipsa puis revint avec deux tasses et une bouilloire fumante sur un grand plateau de bois. Elle le posa sur la table, regarda suspicieusement la monnaie que lui donna l'homme puis, paraissant satisfaite, elle fourra l'argent dans une poche et disparut derrière le comptoir.
L'homme versa précautionneusement l'eau bouillante dans les tasses. Prit la sienne par l'anse, huma le fumet et but une gorgée. Il reposa la tasse, l'air satisfait.
"Acceptable, commenta-t-il.
- Que penses-tu des péripéties de ce matin ? coupa l'étranger de manière abrupte.
- De l'incapacité du Spartiate à passer quelque part sans transformer le susdit endroit en un charnier ou du fait qu'il n'y avait pas deux mais bien six princes dans ce château, répondit-il doucereusement.
- Des six princes."
L'homme s'accorda un instant de réflexion avant de répondre. Tout en faisant aller et venir une gorgée de thé dans sa bouche, il pesa le pour et le contre. Etudia chaque paramètre de sa connaissance et parut s'entretenir en lui-même avec une autre personne, opinant parfois de la tête.
"Nous sommes d'accord pour considérer que ce ne sera pas un problème, répondit-il calmement.
- Il considère que ce n'est pas un problème mais toi es-tu si sur de cela ? répliqua l'étranger.
- S'ils sont si nombreux, c'est qu'ils ont quelque chose à défendre. On peut donc estimer qu'ils vont se diviser en deux groupes : un pour défendre le château et un pour nous retrouver et tuer la fille.
- Pourquoi la fille ?
- Elle n'a pas arrêté de répéter qu'elle n'aurait pas du essayer de prendre cette coupe. Que c'est la coupe qui a tout déclenché. Que la coupe était ensanglantée.
- Et tu penses que ce serait ?
- Ce que nous cherchons depuis si longtemps : le..."
Il n'acheva pas sa phrase qui se perdit dans un flot de cris de terreur et de panique qui se déversa dans le tripot quand la porte fut balayée par un homme au visage blême haletant.
"Les morts... les morts marchent !" hurla-t-il avant de s'effondrer brusquement.
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