Quelque part par ici, quelque part par là-bas,
Avec têtes tombantes, belles, moroses,
Quatre, cinq hongrois ensemble se penchent ;
Au bord de leur narquoise souffrance s’épanche,
Jeune, ancestrale, une larme hongroise :
Et pourquoi ?
Vient après, comme averse,
Vient le reste de larmes :
Et pourquoi, pourquoi, pourquoi ?
Pas de fin pour les larmes et pour les « et pourquoi ? »
Au-dessus d’eux réponse : « Ha ha ha »,
Hahaha de ceux qui ne comprennent pas,
Ne se sont demandé, ne se demandent jamais des :
« Et pourquoi ? »
Et s’égouttent les larmes :
Et pourquoi, pourquoi, pourquoi ?
Et là-haut grand charroi de « ha ha »
Hahatant : « Pas une fois, pas une fois, pas une fois. »
Avec tant de chagrin, plein éclat,
Le Ciel même ouvrirait plein bras,
Là où seulement Ciel et sage hommage il y a :
Mais ici-bas cela ne suffit pas :
On ne veut qu’une chose, les larmes, ici-bas,
Et quelque part par ici, quelque part par là-bas,
Avec têtes tombantes, belles, moroses,
Quatre, cinq hongrois ensemble se penchent.
Et pourquoi, pourquoi, pourquoi ?
André Ady
Ils ont attaché mon âme au piquet,
Car en elle le feu d’un poulain caracolait,
Car en vain je la cravachais,
En vain je la chassais, la pourchassais.
Si sur le Champ hongrois vous voyez attachée
Une pouliche sanglante, écumeuse,
A l’instant tranchez-lui sa longe,
Car c’est une âme, une âme hongroise, sauvage.
André Ady
Seulement pour un seul jour me fait mal tout mal :
Vingt-quatre heures, puis ne vient nul pire mal,
Mais ce jour, unité-jour, chaque jour est plus long mal.
Déjà pal tout pointe est toute heure :
Noirs, des masques de fer, s’abattent, trembleurs,
Enfoncent pal à pal le mal dans mon cœur.
Je sais le destin passager des tortures
Et si court fut chaque jour jusqu’à ce jour :
Depuis les deuils jusqu’aux gaîtés jeu d’un bond très court.
La Joie, différemment aussi, je l’eus pour joie :
En plus coi, plus tapinois, meilleur aloi :
Dans mon sourire larme qui pour demain larmoie.
Troc splendide, avisé, j’ai troqué
La Cène de ma gaîté, le Cana de ma gaîté,
Instants faits de foudre en cette vie d’étrangeté.
Aujourd’hui je sais aussi : c’est vingt-quatre heures,
Puis après un jour torture pas de jour plus torture.
Oui, oh oui, mais ce jour est plus long chaque jour.
André Ady
Dans les jeunes cœurs j’ai vie et chaque jour pour plus longtemps
Vainement ils houspillent ma vie,
Les fripons envieillis, les sots méchants :
Elle est million de racines, ma vie.
Demeurer maître éternellement
Des saintes révoltes, des désirs, des croyances rajeunies
N’est donné qu’à ceux-là seulement
Qui dans le sang, dans l’authentique ont eu leur vie.
Oui, je serai vie, je serai conquérant
Tenant tous ses droits d’une immense, poignante vie ;
Déjà ne m’atteignent plus injures, salissements :
Le cœur des jeunes filles, des jeunes gars me défend.
Un destin d’éternel fleurissement est déjà mien,
Vainement
ils houspillent ma vie,
Destin ferme tel un cercueil, telle une
tombe sainte saint
Et cependant fleurissement, Vie, éternelle vie.
André Ady
Ni héritier, ni aïeul fortuné,
Ni souche de famille, ni familier,
Je ne suis à aucun,
Je ne suis à aucun.
Je suis ce qu’est tout homme : majesté,
Pôle nord, énigme, étrangeté,
Feu follet luisant loin,
Feu follet luisant loin.
Hélas, je ne sais pas ainsi rester,
J’ai envie que mon être soit manifesté,
Pour que me voie qui voit,
Que me voie qui voit.
Ma torture de moi par moi, mon poème,
Tout vient de là : j’aimerais qu’on m’aime
Et que quelqu’un m’aît,
Que quelqu’un m’aît.
André Ady
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