A
Cassandre
Mignonne, allons voir si la rose
Qui ce matin
avoit desclose
Sa robe de pourpre au Soleil,
A point perdu
ceste vesprée
Les plis de sa robe pourprée,
Et son teint au
vostre pareil.
Las ! voyez comme en peu d'espace,
Mignonne,
elle a dessus la place
Las ! las ses beautez laissé cheoir !
Ô
vrayment marastre Nature,
Puis qu'une telle fleur ne dure
Que
du matin jusques au soir !
Donc, si vous me croyez,
mignonne,
Tandis que vostre âge fleuronne
En sa plus verte
nouveauté,
Cueillez, cueillez vostre jeunesse :
Comme à ceste
fleur la vieillesse
Fera ternir vostre beauté.
Pierre de Ronsard
Le
soleil du matin commençait sa carrière,
Je
vis près du rivage une barque légère
Se
bercer mollement sur les flots argentés.
Je
revins quand la nuit descendait sur la rive :
La
nacelle était là, mais l'onde fugitive
Ne
baignait plus ses flancs dans le sable arrêtés.
Et
voilà notre sort ! au matin de la vie
Par
des rêves d'espoir notre âme poursuivie
Se
balance un moment sur les flots du bonheur ;
Mais,
sitôt que le soir étend son voile sombre,
L'onde
qui nous portait se retire, et dans l'ombre
Bientôt
nous restons seuls en proie à la douleur.
Au
déclin de nos jours on dit que notre tête
Doit
trouver le repos sous un ciel sans tempête ;
Mais
qu'importe à mes vœux le calme de la nuit!
Rendez-moi
le matin, la fraîcheur et les charmes ;
Car
je préfère encore ses brouillards et ses larmes
Aux
plus douces lueurs du soleil qui s'enfuit.
Oh
! qui n'a désiré voir tout à coup renaître
Cet
instant dont le charme éveilla dans son être
Et
des sens inconnus et de nouveaux transports !
Où
son âme, semblable à l'écorce embaumée,
Qui
disperse en brûlant sa vapeur parfumée,
Dans
les feux de l'amour exhala ses trésors !
Gérard de Nerval
Puedo
escribir los versos más tristes esta noche.
Escribir,
por ejemplo: « La noche está estrellada,
y
tiritan, azules, los astros, a lo lejos. »
El
viento de la noche gira en el cielo y canta.
Puedo
escribir los versos más tristes esta noche.
Yo
la quise, y a veces ella también me quiso.
En
las noches como ésta la tuve entre mis brazos.
La
besé tantas veces bajo el cielo infinito.
Ella
me quiso, a veces yo también la quería.
Cómo
no haber amado sus grandes ojos fijos.
Puedo
escribir los versos más tristes esta noche.
Pensar
que no la tengo. Sentir que la he perdido.
Oír
la noche inmensa, más inmensa sin ella.
Y
el verso cae al alma como al pasto el rocío.
Qué
importa que mi amor no pudiera guardarla.
La
noche está estrellada y ella no está conmigo.
Eso
es todo. A lo lejos alguien canta. A lo lejos.
Mi
alma no se contenta con haberla perdido.
Como
para acercarla mi mirada la busca.
Mi
corazón la busca, y ella no está conmigo.
La
misma noche que hace blanquear los mismos árboles.
Nosotros,
los de entonces, ya no somos los mismos.
Ya
no la quiero, es cierto, pero cuánto la quise.
Mi
voz buscaba el viento para tocar su oído.
De
otro. Será de otro. Como antes de mis besos.
Su
voz, su cuerpo claro. Sus ojos infinitos.
Ya
no la quiero, es cierto, pero tal vez la quiero.
Es
tan corto el amor, y es tan largo el olvido.
Porque
en noches como ésta la tuve entre mis brazos,
Mi
alma no se contenta con haberla perdido.
Aunque
éste sea el último dolor que ella me causa,
y
éstos sean los últimos versos que yo le escribo.
Pablo Neruda
Traduction d'André Bonhomme et Jean Marcenac
Je
peux écrire les vers les plus tristes cette nuit.
Écrire, par
exemple: "La nuit est étoilée
et les astres d'azur
tremblent dans le lointain."
Le vent de la nuit tourne
dans le ciel et chante.
Je puis écrire les vers les plus tristes
cette nuit.
Je l'aimais, et parfois elle aussi elle m'aima.
Les
nuits comme cette nuit, je l'avais entre mes bras.
Je l'embrassai
tant de fois sous le ciel, ciel infini.
Elle m'aima, et parfois
moi aussi je l'ai aimée.
Comment n'aimerait-on pas ses grands
yeux fixes.
Je peux écrire les vers les plus tristes cette
nuit.
Penser que je ne l'ai pas. Regretter l'avoir
perdue.
Entendre la nuit immense, et plus immense sans elle.
Et
le vers tombe dans l'âme comme la rosée dans l'herbe.
Qu'importe
que mon amour n'ait pas pu la retenir.
La nuit est pleine
d'étoiles, elle n'est pas avec moi.
Voilà tout. Au loin on
chante. C'est au loin.
Et mon âme est mécontente parce que je
l'ai perdue.
Comme pour la rapprocher, c'est mon regard qui la
cherche.
Et mon cœur aussi la cherche, elle n'est pas avec
moi.
Et c'est bien la même nuit qui blanchit les mêmes
arbres.
Mais nous autres, ceux d'alors, nous ne sommes plus les
mêmes.
Je
ne l'aime plus, c'est vrai. Pourtant, combien je l'aimais.
Ma voix
appelait le vent pour aller à son oreille.
A un autre. A un autre
elle sera. Ainsi qu'avant mes baisers.
Avec sa voix, son corps
clair. Avec ses yeux infinis.
Je
ne l'aime plus, c'est vrai, pourtant, peut-être je l'aime.
Il est
si bref l'amour et l'oubli est si long.
C'était en des nuits
pareilles, je l'avais entre mes bras
et mon âme est mécontente
parce que je l'ai perdue.
Même si cette douleur est la
dernière par elle
et même si ce poème est les derniers vers
pour elle.
Sur
mes cahiers d’écolier,
Sur mon pupitre et les arbres,
Sur le
sable, sur la neige,
J’écris ton nom ;
Sur
toutes les pages lues,
Sur toutes les pages blanches,
Pierre
sang papier ou cendre,
J’écris ton nom ;
Sur
les images dorées,
Sur les armes des guerriers,
Sur la
couronne des rois,
J’écris ton nom ;
Sur
la jungle et le désert,
Sur les nids sur les genêts,
Sur
l’écho de mon enfance,
J’écris ton nom ;
Sur
les merveilles des nuits,
Sur le pain blanc des journées,
Sur
les saisons fiancées,
J’écris ton nom ;
Sur
tous mes chiffons d’azur,
Sur l’étang soleil moisi,
Sur le
lac lune vivante,
J’écris ton nom ;
Sur
les champs sur l’horizon,
Sur les ailes des oiseaux,
Et sur
le moulin des ombres,
J’écris ton nom ;
Sur
chaque bouffée d’aurore,
Sur la mer sur les bateaux,
Sur la
montagne démente,
J’écris ton nom ;
Sur
la mousse des nuages,
Sur les sueurs de l’orage,
Sur la pluie
épaisse et fade,
J’écris ton nom ;
Sur
les formes scintillantes,
Sur les cloches des couleurs,
Sur la
vérité physique,
J’écris ton nom ;
Sur
les sentiers éveillés,
Sur les routes déployées,
Sur les
places qui débordent,
J’écris ton nom ;
Sur
la lampe qui s’allume,
Sur la lampe qui s’éteint,
Sur mes
maisons réunies,
J’écris ton nom ;
Sur
le fruit coupé en deux
Du miroir et de ma chambre,
Sur mon lit
coquille vide,
J’écris ton nom ;
Sur
mon chien gourmand et tendre,
Sur ses oreilles dressées,
Sur
sa patte maladroite,
J’écris ton nom ;
Sur
le tremplin de ma porte,
Sur les objets familiers,
Sur le flot
du feu béni,
J’écris ton nom ;
Sur
toute chair accordée,
Sur le front de mes amis,
Sur chaque
main qui se tend,
J’écris ton nom ;
Sur
la vitre des surprises,
Sur les lèvres attentives,
Bien
au-dessus du silence,
J’écris ton nom ;
Sur
mes refuges détruits,
Sur mes phares écroulés,
Sur les murs
de mon ennui,
J’écris ton nom ;
Sur
l’absence sans désirs,
Sur la solitude nue,
Sur les marches
de la mort,
J’écris ton nom ;
Sur
la santé revenue,
Sur le risque disparu,
Sur l’espoir sans
souvenir,
J’écris ton nom ;
Et
par le pouvoir d’un mot,
Je recommence ma vie,
Je suis né
pour te connaître,
Pour te nommer :
Liberté.
Paul Éluard
Tes yeux
sont si profonds qu'en me penchant pour boire
J'ai vu tous les
soleils y venir se mirer
S'y jeter à mourir tous les
désespérés
Tes yeux sont si profonds que j'y perds la mémoire
À l'ombre
des oiseaux c'est l'océan troublé
Puis le beau temps soudain se
lève et tes yeux changent
L'été taille la nue au tablier des
anges
Le ciel n'est jamais bleu comme il l'est sur les blés
Les vents
chassent en vain les chagrins de l'azur
Tes yeux plus clairs que
lui lorsqu'une larme y luit
Tes yeux rendent jaloux le ciel
d'après la pluie
Le verre n'est jamais si bleu qu'à sa brisure
Mère des
Sept douleurs ô lumière mouillée
Sept glaives ont percé le
prisme des couleurs
Le jour est plus poignant qui point entre les
pleurs
L'iris troué de noir plus bleu d'être endeuillé
Tes yeux
dans le malheur ouvrent la double brèche
Par où se reproduit le
miracle des Rois
Lorsque le coeur battant ils virent tous les
trois
Le manteau de Marie accroché dans la crèche
Une bouche
suffit au mois de Mai des mots
Pour toutes les chansons et pour
tous les hélas
Trop peu d'un firmament pour des millions
d'astres
Il leur fallait tes yeux et leurs secrets gémeaux
L'enfant
accaparé par les belles images
Écarquille les siens moins
démesurément
Quand tu fais les grands yeux je ne sais si tu
mens
On dirait que l'averse ouvre des fleurs sauvages
Cachent-ils
des éclairs dans cette lavande où
Des insectes défont leurs
amours violentes
Je suis pris au filet des étoiles filantes
Comme
un marin qui meurt en mer en plein mois d'août
J'ai retiré
ce radium de la pechblende
Et j'ai brûlé mes doigts à ce feu
défendu
Ô paradis cent fois retrouvé reperdu
Tes yeux sont
mon Pérou ma Golconde mes Indes
Il advint
qu'un beau soir l'univers se brisa
Sur des récifs que les
naufrageurs enflammèrent
Moi je voyais briller au-dessus de la
mer
Les yeux d'Elsa les yeux d'Elsa les yeux d'Elsa
Louis Aragon
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