posté le 08-11-2014 à 12:09:50

Mignonne, allons voir si la rose

A Cassandre

Mignonne, allons voir si la rose
Qui ce matin avoit desclose
Sa robe de pourpre au Soleil,
A point perdu ceste vesprée
Les plis de sa robe pourprée,
Et son teint au vostre pareil.

Las ! voyez comme en peu d'espace,
Mignonne, elle a dessus la place
Las ! las ses beautez laissé cheoir !
Ô vrayment marastre Nature,
Puis qu'une telle fleur ne dure
Que du matin jusques au soir !

Donc, si vous me croyez, mignonne,
Tandis que vostre âge fleuronne
En sa plus verte nouveauté,
Cueillez, cueillez vostre jeunesse :
Comme à ceste fleur la vieillesse
Fera ternir vostre beauté.


Pierre de Ronsard

 


 
 
posté le 08-11-2014 à 12:08:52

Mélodie irlandaise

Le soleil du matin commençait sa carrière,
Je vis près du rivage une barque légère
Se bercer mollement sur les flots argentés.
Je revins quand la nuit descendait sur la rive :
La nacelle était là, mais l'onde fugitive
Ne baignait plus ses flancs dans le sable arrêtés.

Et voilà notre sort ! au matin de la vie
Par des rêves d'espoir notre âme poursuivie
Se balance un moment sur les flots du bonheur ;
Mais, sitôt que le soir étend son voile sombre,
L'onde qui nous portait se retire, et dans l'ombre
Bientôt
nous restons seuls en proie à la douleur.

Au déclin de nos jours on dit que notre tête
Doit trouver le repos sous un ciel sans tempête ;
Mais qu'importe à mes vœux le calme de la nuit!
Rendez-moi le matin, la fraîcheur et les charmes ;
Car je préfère encore ses brouillards et ses larmes
Aux plus douces lueurs du soleil qui s'enfuit.

Oh ! qui n'a désiré voir tout à coup renaître
Cet instant dont le charme éveilla dans son être
Et des sens inconnus et de nouveaux transports !
Où son âme, semblable à l'écorce embaumée,
Qui disperse en brûlant sa vapeur parfumée,
Dans les feux de l'amour exhala ses trésors !

 

Gérard de Nerval

 


 
 
posté le 08-11-2014 à 12:08:08

Los versos más tristes

Puedo escribir los versos más tristes esta noche.
Escribir, por ejemplo: « La noche está estrellada,
y tiritan, azules, los astros, a lo lejos. »

El viento de la noche gira en el cielo y canta.
Puedo escribir los versos más tristes esta noche.
Yo la quise, y a veces ella también me quiso.

En las noches como ésta la tuve entre mis brazos.
La besé tantas veces bajo el cielo infinito.
Ella me quiso, a veces yo también la quería.
Cómo no haber amado sus grandes ojos fijos.

Puedo escribir los versos más tristes esta noche.
Pensar que no la tengo. Sentir que la he perdido.
Oír la noche inmensa, más inmensa sin ella.
Y el verso cae al alma como al pasto el rocío.


Qué importa que mi amor no pudiera guardarla.
La noche está estrellada y ella no está conmigo.
Eso es todo. A lo lejos alguien canta. A lo lejos.
Mi alma no se contenta con haberla perdido.

Como para acercarla mi mirada la busca.
Mi corazón la busca, y ella no está conmigo.
La misma noche que hace blanquear los mismos árboles.
Nosotros, los de entonces, ya no somos los mismos.

Ya no la quiero, es cierto, pero cuánto la quise.
Mi voz buscaba el viento para tocar su oído.
De otro. Será de otro. Como antes de mis besos.
Su voz, su cuerpo claro. Sus ojos infinitos.


Ya no la quiero, es cierto, pero tal vez la quiero.
Es tan corto el amor, y es tan largo el olvido.
Porque en noches como ésta la tuve entre mis brazos,
Mi alma no se contenta con haberla perdido.

Aunque éste sea el último dolor que ella me causa,
y éstos sean los últimos versos que yo le escribo.


Pablo Neruda

Traduction d'André Bonhomme et Jean Marcenac


Je peux écrire les vers les plus tristes cette nuit.
Écrire, par exemple: "La nuit est étoilée
et les astres d'azur tremblent dans le lointain."

Le vent de la nuit tourne dans le ciel et chante.
Je puis écrire les vers les plus tristes cette nuit.
Je l'aimais, et parfois elle aussi elle m'aima.

Les nuits comme cette nuit, je l'avais entre mes bras.
Je l'embrassai tant de fois sous le ciel, ciel infini.
Elle m'aima, et parfois moi aussi je l'ai aimée.
Comment n'aimerait-on pas ses grands yeux fixes.

Je peux écrire les vers les plus tristes cette nuit.
Penser que je ne l'ai pas. Regretter l'avoir perdue.
Entendre la nuit immense, et plus immense sans elle.
Et le vers tombe dans l'âme comme la rosée dans l'herbe.

Qu'importe que mon amour n'ait pas pu la retenir.
La nuit est pleine d'étoiles, elle n'est pas avec moi.
Voilà tout. Au loin on chante. C'est au loin.
Et mon âme est mécontente parce que je l'ai perdue.

Comme pour la rapprocher, c'est mon regard qui la cherche.
Et mon cœur aussi la cherche, elle n'est pas avec moi.
Et c'est bien la même nuit qui blanchit les mêmes arbres.
Mais nous autres, ceux d'alors, nous ne sommes plus les mêmes.

Je ne l'aime plus, c'est vrai. Pourtant, combien je l'aimais.
Ma voix appelait le vent pour aller à son oreille.
A un autre. A un autre elle sera. Ainsi qu'avant mes baisers.
Avec sa voix, son corps clair. Avec ses yeux infinis.

Je ne l'aime plus, c'est vrai, pourtant, peut-être je l'aime.
Il est si bref l'amour et l'oubli est si long.
C'était en des nuits pareilles, je l'avais entre mes bras
et mon âme est mécontente parce que je l'ai perdue.

Même si cette douleur est la dernière par elle
et même si ce poème est les derniers vers pour elle.

 


 
 
posté le 08-11-2014 à 12:01:01

Liberté

Sur mes cahiers d’écolier,
Sur mon pupitre et les arbres,
Sur le sable, sur la neige,
J’écris ton nom ;


Sur toutes les pages lues,
Sur toutes les pages blanches,
Pierre sang papier ou cendre,
J’écris ton nom ;


Sur les images dorées,
Sur les armes des guerriers,
Sur la couronne des rois,
J’écris ton nom ;


Sur la jungle et le désert,
Sur les nids sur les genêts,
Sur l’écho de mon enfance,
J’écris ton nom ;


Sur les merveilles des nuits,
Sur le pain blanc des journées,
Sur les saisons fiancées,
J’écris ton nom ;


Sur tous mes chiffons d’azur,
Sur l’étang soleil moisi,
Sur le lac lune vivante,
J’écris ton nom ;


Sur les champs sur l’horizon,
Sur les ailes des oiseaux,
Et sur le moulin des ombres,
J’écris ton nom ;


Sur chaque bouffée d’aurore,
Sur la mer sur les bateaux,
Sur la montagne démente,
J’écris ton nom ;


Sur la mousse des nuages,
Sur les sueurs de l’orage,
Sur la pluie épaisse et fade,
J’écris ton nom ;


Sur les formes scintillantes,
Sur les cloches des couleurs,
Sur la vérité physique,
J’écris ton nom ;


Sur les sentiers éveillés,
Sur les routes déployées,
Sur les places qui débordent,
J’écris ton nom ;


Sur la lampe qui s’allume,
Sur la lampe qui s’éteint,
Sur mes maisons réunies,
J’écris ton nom ;


Sur le fruit coupé en deux
Du miroir et de ma chambre,
Sur mon lit coquille vide,
J’écris ton nom ;


Sur mon chien gourmand et tendre,
Sur ses oreilles dressées,
Sur sa patte maladroite,
J’écris ton nom ;


Sur le tremplin de ma porte,
Sur les objets familiers,
Sur le flot du feu béni,
J’écris ton nom ;


Sur toute chair accordée,
Sur le front de mes amis,
Sur chaque main qui se tend,
J’écris ton nom ;


Sur la vitre des surprises,
Sur les lèvres attentives,
Bien au-dessus du silence,
J’écris ton nom ;


Sur mes refuges détruits,
Sur mes phares écroulés,
Sur les murs de mon ennui,
J’écris ton nom ;


Sur l’absence sans désirs,
Sur la solitude nue,
Sur les marches de la mort,
J’écris ton nom ;


Sur la santé revenue,
Sur le risque disparu,
Sur l’espoir sans souvenir,
J’écris ton nom ;


Et par le pouvoir d’un mot,
Je recommence ma vie,
Je suis né pour te connaître,
Pour te nommer :


Liberté.


Paul Éluard

 


 
 
posté le 08-11-2014 à 12:00:20

Les Yeux d'Elsa

Tes yeux sont si profonds qu'en me penchant pour boire
J'ai vu tous les soleils y venir se mirer
S'y jeter à mourir tous les désespérés
Tes yeux sont si profonds que j'y perds la mémoire


À l'ombre des oiseaux c'est l'océan troublé
Puis le beau temps soudain se lève et tes yeux changent
L'été taille la nue au tablier des anges
Le ciel n'est jamais bleu comme il l'est sur les blés


Les vents chassent en vain les chagrins de l'azur
Tes yeux plus clairs que lui lorsqu'une larme y luit
Tes yeux rendent jaloux le ciel d'après la pluie
Le verre n'est jamais si bleu qu'à sa brisure


Mère des Sept douleurs ô lumière mouillée
Sept glaives ont percé le prisme des couleurs
Le jour est plus poignant qui point entre les pleurs
L'iris troué de noir plus bleu d'être endeuillé


Tes yeux dans le malheur ouvrent la double brèche
Par où se reproduit le miracle des Rois
Lorsque le coeur battant ils virent tous les trois
Le manteau de Marie accroché dans la crèche


Une bouche suffit au mois de Mai des mots
Pour toutes les chansons et pour tous les hélas
Trop peu d'un firmament pour des millions d'astres
Il leur fallait tes yeux et leurs secrets gémeaux


L'enfant accaparé par les belles images
Écarquille les siens moins démesurément
Quand tu fais les grands yeux je ne sais si tu mens
On dirait que l'averse ouvre des fleurs sauvages


Cachent-ils des éclairs dans cette lavande où
Des insectes défont leurs amours violentes
Je suis pris au filet des étoiles filantes
Comme un marin qui meurt en mer en plein mois d'août


J'ai retiré ce radium de la pechblende
Et j'ai brûlé mes doigts à ce feu défendu
Ô paradis cent fois retrouvé reperdu
Tes yeux sont mon Pérou ma Golconde mes Indes


Il advint qu'un beau soir l'univers se brisa
Sur des récifs que les naufrageurs enflammèrent
Moi je voyais briller au-dessus de la mer
Les yeux d'Elsa les yeux d'Elsa les yeux d'Elsa


Louis Aragon

 


 
 
 

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