posté le 14-06-2009 à 00:02:12

1 octobre...(2)

            Le massacre se poursuivit en cour de français. Le professeur leur demanda de réfléchir sur un texte de Victor Hugo puis de réaliser un discours politique sur l’injustice sociale. Ils travaillèrent pendant deux heures. Le professeur profita d’une pause pour corriger les copies et les leur rendre lors de la dernière période de cours. Parlez d’une hécatombe serait un faible mot, la moyenne de la classe ne dépassant pas 6,8. Elle tira une copie et dit :

« Voilà la seule copie valable du lot, je vais la lire pour que vous compreniez :

            « Mes amis, mes camarades, il est terrible, il est terrible de voir un homme qui a faim. Vous le dirais-je ? J’ai vu ce matin un homme qui avait faim. Cet homme en a volé son pain pour calmer sa faim. Cet homme, mes amis, n’était plus un homme, il était le spectre de la misère, d’une misère qui crie à la face du temps sa froide et lugubre colère. Car mes amis, mes camarades, la misère n’a pas jugé assez de ravaler cet homme au vol, elle l’a de plus poussé hors des retranchement habituels de son peuple : elle lui a fait toucher du doigt l’opulence des riches ! Et cet homme terrible qui regardait au travers des glaces levées une jeune duchesse et son enfant sans que ceux-ci le sachent, cet homme, mes amis, qui m’avait d’abord parut si vil et miséreux, je sais qui il est, cet homme, mes amis, c’était la France ! La France, ce matin dans le soleil glacé de midi avait trente ans, des boucles d’or et le ventre creux. Or mes amis, vous me direz cela est vraie mais si commun : la France a souvent eu faim elle n’a pourtant rien fait alors. A ceci mes amis, je répond qu’en ces temps-là la France pauvre ne regardait pas la France riche : la fracture sociale était là, on ne voyait pas. Mais si ce peuple brisé, ce peuple outragé, ce peuple martyrisé, venait, comme en 1789, à se libérer, ce libérer par lui-même, alors la catastrophe sera inévitable et nous connaîtrons encore la furie, la barbarie, la tyrannie de quelques Robespierre, Marat ou Danton. Cependant mes amis, nous pouvons encore renverser la calèche, nous pouvons relancer une nouvelle justice sociale par le travail en permettant à ceux qui veulent gagner plus de travailler plus, en instituant une sorte de caisse de sécurité qui indemniserait les travailleurs malades, les travailleurs trop vieux, les femmes enceintes, les familles nombreuses et prouverait que le mot Fraternité n’est pas seulement sur nos portiques dans le but de nous disculper mais pour rappeler à chacun que la France doit, elle en a le devoir, d’aider, de protéger et d’assurer secours et assistance. En effet mes amis, mes camarades, le pays des Lumières, celui qui a allumé et a tant de fois ravivé le feu de la Liberté, de l’Egalité et de la Fraternité sera-t-il celui qui l’éteindra ? Non. Car si nous le faisions nous nous discréditerions nous-même et nous forcerions le peuple à ce monter contre nous afin de préserver les acquis pour lesquels il a tant de fois versé de sang. Sachez mes amis que notre peuple se sait résistant, résistant face à une Europe de Monarchie absolue, il se sait le bastion de la Liberté, il se sait le gardien d’une flamme sacrée : la flamme de la résistance face à l’injustice sociale et sait que quoi qu’il advienne la flamme de cette Résistance ne doit pas s’éteindre et ne s’éteindra pas ! Alors je n’aurais qu’un mot pour conclure et vous priez de sortir enfin la France de cette abyme de perplexité, de ce gouffre d’incertitude dans lequel elle s’enfonce comme Napoléon s’enfonça en Russie. Lui avait Talleyrand pour l’aider à se sauver, aujourd’hui soyez les Talleyrands de la France et sauvez-là. Si vous voulez encore éviter le pire… »

_Voilà une très bonne copie, elle n’a que deux défauts : l’écriture est à améliorer et la copie est anonyme. Qui l’a écrite ?

_C’est moi, fit James en levant la main.

_Pourquoi ne pas avoir mis votre nom ?

_J’ai oublié.

_Cet oublie te coûtera 2 points, dommage. Mais prenaient exemple sur lui, vous autres, vous en avez bien besoin. »

« Comment as-tu fais pour décrocher un 16 avec des pénalités ? questionna Pierce.

_J’ai brossé la prof dans le sens du poil si l’on peut dire.

_C’est-à-dire ?

_J’ai fait un texte de communiste, tous les profs sont communistes au fond d’eux-mêmes.

_Filou. 

_Depuis quand James est capable de travailler normalement ? demanda Phoebe.

_Mais je sais travailler sérieusement normalement aussi, ce n’est pas parce que je ne le fais qu’exceptionnellement que je n’en suis pas capable.

_Le mot sérieux est peut-être un peu excessif, non ? coupa Pierce.

_Ce n’est pas faux, répondit Phoebe.

_C’est excessif que tu ne comprennes pas ? s’enquit James.

_Ou sérieux, l’interrogea Pierce.

_Arrêtez. »

« Monsieur Harkes, 12, passable mais encouragent.

_Merci, madame. 

_Mademoiselle Harkes, 10, légèrement insuffisant, vous pouvez mieux faire.

_Merci, professeur. »

« Aucun commentaire.

_On a rien dit. »

                Elle se renfrogna et se plongea dans sa copie.
 


 
 
posté le 14-06-2009 à 00:01:12

1 octobre...(1)

           L’entraînement matinal des clubs s’achevait enfin. L’équipe B tirait la langue et traînait la patte à la suite d’une petite colère du nouveau manager – et des cinquante tours de terrains qu’il leur avait infligés.

« Ce type est pire qu’un monstre, c’est un démon. 

_T’as raison : un motard démoniaque, aucune pitié, aucun remords, aucune compassion. 

_Même l’ancien entraîneur des basketteurs, celui qu’on appelait le démon aux cheveux blanc, avait une meilleure réputation. »

Les phrases d’un acabit identique étaient monnaie courante à la fin du cours. Sortant des vestiaires, Shin, Pierce et Chris virent un garçon jonglant dos au but avec un ballon qu’ils avaient laissé suite à l’entraînement. Le joueur fit passer le ballon au-dessus de lui et se retournant le frappa d’une demi-volée du droit qui l’envoya juste sous la barre.

« C’est qui celui-là ? demanda Shin.

_ Je pense que c’est Geoff, un excellent joueur endurant, technique et instinctif : un très bon attaquant, répondit Pierce.

_Donc une recrut de choix, commenta Shin. Pourquoi n’est-il pas au club ?

_Il ne s’entendait pas avec Lothar et Marco, trop volontariste pour eux, répondit Chris.

_Chris, s’enquit Pierce, tu pourrais le convaincre de revenir ?

_C’est dans mes cordes.

_On t’attend en classe.

_Ok. »

            Ekichi partit après l’entraînement avec sa moto pour chercher « quelques renseignements. » Il revint peu avant l’heure du déjeuner et intercepta Pierce à la sortie de son cours de physique/chimie. Ils s’enfermèrent dans un vestiaire pour discuter et Pierce en émergea dix minutes plus tard avec un sourire radieux.

« On va affronter les Champions National Universitaire.

_ C’est une blague et elle est de mauvais goût, lui dit Shin.

_L’équipe féminine de l’Université de Seattle.

_La blague est toujours de mauvais goût. »

            Une main ferme s’écrasa sur son épaule et le retourna comme un vulgaire fétu de paille.

« C’est votre tenue qui est de mauvais goût. Vous allez me faire le plaisir de couper vos cheveux et de porter à présent un uniforme correct.

_Bonjours, qui êtes-vous ?

_Le nouveau surveillant général et faites attention à votre langage, jeune délinquant. Et vous, comment se fait-il que vous ayez le bras en écharpe ? Vous vous êtes battus, c’est certain, quatre heures de colle, je vous apprendrai le respect, jeunesse indigne des sacrifices passés. »

Il partit en invectivant d’autres élèves.

« C’est qui ce surveillant ? s’interrogèrent Pierce et Shin.

_C’est effectivement le nouveau surveillant général, leur affirma Hans. Il a décidé d’user de tous les pouvoirs d’un réel CPE et ce même si c’est contre les habitudes du lycée.

_Et alors ?

_Ca pourrait devenir dangereux si on n’y fait pas attention. J’ai une réunion avec les capitaines, à plus. »

Il s’éloigna à grand pas rappelant parfois à l’ordre des élèves plus ou moins imprudents.

            Shin et Pierce haussèrent les épaules et allèrent prendre leur déjeuner. Mais ce qu’ils virent ne fut pas pour les mettre en appétit : partout de jeunes professeurs zélés, suivant l’exemple du nouveau CPE, invectivaient, critiquaient ou tançaient des étudiants, les plus téméraires s’attaquant même à certains capitaines. Ils montèrent aussi vite que possible sur le toit pour s’en faire déloger quelques minutes plus tard sous prétexte qu’il était inadmissible que des lycéens prennent autant de risques tout en étant sous la responsabilité du corps enseignant. L’ambiance commençant à être particulièrement oppressante pour ses nerfs, Shin alla se réfugier dans sa salle de cours. Ce refuge précaire ne tint que le temps d’une page du Cid de Corneille, il devint ensuite évident que ce sacro-saint lieu de passage du savoir ne pouvais pas servir, du goût des maîtres, de cafétéria.
 


 
 
posté le 13-06-2009 à 23:59:29

Le maître.

            Lentraînement s’étendit dans sa première phase sur deux semaines durant lesquelles Shin assista aux cours dans un état de délabrement physique croissant a contrario de son moral. Le reste de la classe, et plus particulièrement Pierce – et les membres de l’équipe de football – et Jimmy – et ceux de l’équipe de tennis – qui comptaient chacun sur Shin pour le tournois municipal du premier trimestre, commença d’ailleurs à s’en inquiéter surtout considérant le fait que son humeur était de plus en plus sujette à des rebondissements inattendus, bien que légèrement provoqués après une certaine phase d’acclimatation. L’entente cordiale entre les deux « amoureux » du troisième rang – Shin et Aspidistra – résista néanmoins à ces moments difficiles en grande partie grâce aux capacités surhumaines de communication, de négociation et de maternage de la section féminine du couple, le tout relevé d’un sang-froid et d’un calme olympien en toute circonstance qui lui permit de réfréner de manière simple et efficace la plupart des débordements de la section masculine. Enfin au bout de cette première partie, un constat s’imposa : Shin, qui depuis son hospitalisation n’était plus que l’ombre de lui-même d’un point de vu physique, avait recouvré la majeur partie – estimée selon Hans et Pierce à plus de 85 % – de ses capacités d’antan.

Il y eut un soir, il y eut un matin…
 


 
 
posté le 13-06-2009 à 23:58:11

20 septembre...

           Jimmy ne vint pas assister aux cours ce matin-là, Hans manquait également à l’appel et il fut bientôt acter que l’un avait accompagné l’autre pour le tirage au sort du premier tour du tournoi municipal. Pierce n’était pas en cours lui non plus.

Il fallut attendre la récréation du matin pour qu’un événement intéressant se produise. Un élève de première entra dans la classe, de son œil droit – le gauche avait un cocard – il chercha quelqu’un puis s’avança jusqu’à se placer juste devant Shin.

« C’est toi Shin Itchie ? 

_Oui.

 _J’ai ça pour toi. »

Il déposa un petit paquet sur le bureau puis se retourna.

« Qui te l’a donné ? 

_Une fille. »

Shin le fixa.

« Elle t’a mit dans cette état ? »

L’étudiant eu un instant d’hésitation.

« Oui. »

Shin sourit imperceptiblement.

« Merci. »

L’autre sortit et Shin resta à inspecter le présent de Lué. Lentement il tendit la main, l’attrapa, le palpa, le fit tourner entre ses doigts puis l’ouvrit d’un geste sec. Le papier contenait une boite cubique rouge dont l’ouverture était scellée d’un cachet de cire. Shin le brisa machinalement et ouvrit la boîte. Elle contenait une bague en or frappée d’armoiries complexes représentant un ange armé de pied en cape luttant face à un animal qui rappelé vaguement un kraken. Shin la passa à son annulaire gauche. Une sensation glacée lui parcourut le bras, sa vision se troubla et il s’effondra sur sa table.

            Il se réveilla dans une pièce d’un blanc angélique, cligna des yeux plusieurs fois des yeux puis se massa le visage et se redressa sur son lit laissant le drap glisser le long de son buste. C’est alors qu’il se rendit compte de deux choses importantes qu’il avait négligées : premièrement il était nu, deuxièmement il n’était pas seul. Il pensait bénéficier de ses réflexes issus de ses entraînements quotidiens mais sa main ne réagit pas aussi rapidement que prévu. Son corps était lourd, son esprit lui-même ne répondait pas complètement à ses attentes. Il secoua pensivement la tête tout en remontant le linge puis la tourna vers l’infirmière qui rangeait ses affaires.

« Tu te réveilles ? 

_Oui. »

Sa voix était pâteuse, sa tête tremblait à chaque son et sa vision demeurait partiellement trouble.

« Un médecin va venir te voir. 

_Merci, miss. »

Il se recoucha prenant soin de garder les yeux ouverts. Les minutes qui suivirent lui parurent des siècles avant qu’un petit homme menu, portant une paire de lunette ronde, une blouse blanche élimée et une barbe poivre et sel contrastant avec sa calvitie totale, ne vienne le voir.

« J’ai une bonne et une mauvaise nouvelle. »

            Phoebe passa à l’hôpital en fin de matinée accompagnée d’Aspidistra et de Kate. Le médecin les informa que Shin était entrain de dormir mais que son état était bon et qu’il pourrait sortir dans la soirée. Cependant elles n’apprirent rien sur les causes de son évanouissement.

            Shin sortit effectivement dans la soirée mais il ne rentra pas directement chez lui. Il fit un détour par les docks, passa prendre un paquet de croquettes au poulet chez un épicier puis remonta jusqu’à la basilique St Michel. Il s’arrêta devant une veille bâtisse de brique rouge à quatre étages. Au rez-de-chaussée un appartement simple et pratique se devinait au travers des rideaux blancs. Il ouvrit la porte commune de la pension, passa dans un couloir aux murs verts, s’arrêta devant une porte en bois sombre, frappa, entra.

« Senkami-san ? J’ai besoins d’un coup de main. »

Phoebe terminait une tarte aux pommes, un plat qu’elle réussissait particulièrement pour le grand plaisir de Pierce et de leur père, ces derniers jouaient à la crapette sur la table de la cuisine. Abattant sa dernière carte, Pierce soupira longuement.

« J’aurais bien aimé être là quand il s’est évanoui, ça a du être intéressant. Tu sais ce qu’il a en définitive, Phoebe ?  

_Pas exactement, l’infirmière a parlé d’une forte dose d’un produit mélangeant les effets d’un psychotrope et d’un anesthésiant. 

_Comment on le lui a-t-on administré ? Il ne se l’ait quand même pas injecté lui-même ?

_Non, on ne le sait pas. 

_Shin est idiot mais pas à ce point. »

Ekichi reposa sa chope de bière.

« Je passerais chez lui après le dînez, laisse une part de tarte. »

            Shin était assis sur un vieux fauteuil, en face de lui, assis sur les marches de l’échelle permettant d’accéder au lit en mezzanine, un adolescent de seize printemps au plus tirait sur une vieille pipe en bois avec ce détachement si particulier des fumeurs d’opium de Saigon ou de Hongkong. Ses traits caractéristiques des Japonais du Kansai étaient burinés par les embruns et le temps passé dans l’eau salée. Son torse puissant, ses jambes solides et ses bras musclés trahissaient les durs travaux qui étaient siens, mais dans ses yeux, la flamme qui dansait était celle de la guerre, des batailles, du sang, de la souffrance, des larmes, de la haine, du courage et de cette peur si bien maîtrisée que les Anglais appel flegme, celle du guerrier…

« Tu veux un entraînement spécial ? 

_Oui. »

 


 
 
posté le 13-06-2009 à 23:56:24

19 septembre...

           Les cours du jour auraient pu se passer normalement si le professeur de Culture Générale n’avait eu l’idée d’organiser des débats entre élèves par petit groupe. Le premier à prendre la parole, bien contre son gré d’ailleurs, fut le groupe James Kate Phoebe. Après le quart d’heure syndical de réflexion, ils furent amené à exposer leurs « pertinentes analyses » du sujet – « Est-on d’autant plus libre qu’on est indifférent au jugement d’autrui ? » – à la classe.

« Puis-je m’accomplir seul ? A cette question plusieurs réponses peuvent être apportées, commença Phoebe.

« Dans un premier temps, j’étudierai l’idée selon laquelle l’homme se suffit à lui-même. Dans sa pièce Médée, Corneille exprime assez bien cette idée en disant : « que vous reste –t-il ? Moi, moi dis-je et c’est assez, » par cela il montre que l’homme n’a fondamentalement pas d’autre besoin que lui-même pour penser ou pour agir. Sartre va dépasser se stade pour affirmer que l’on n’a besoin que de sa conscience pour être conscient car seul on peut encore se penser soi-même. Dans cette idée, l’homme peut s’accomplir seul.

« Cependant, d’autres philosophes, comme Pascal, vont s’opposer à cette idée, insistant sur le fait que « la pensée fait la grandeur de l’homme » et que sans autrui pour confronter ma pensée à la sienne, ma pensée n’évolue pas ou très peu et que, donc, je ne peux pas tendre vers mon accomplissement.

« On peut ici donner pour preuve le système cartésien : celui-ci remet d’abord tout en doute pour arriver au seul point dont on ne peut pas douter le Cogito, « cogito ergo sum » dit Descartes, puis il va peu à peu rebâtir sur cette base tout son système philosophique en commençant par prouver l’existence de Dieu selon l’idée qu’ayant une idée du parfait il fallait que cette idée ce rapporte à quelque chose et que donc il existait quelque chose de parfait : Dieu. L’homme a donc besoin de références pour pouvoir bâtir sa pensée, il va donc avoir besoin d’autrui puisque seul autrui peut les lui apporter. »

Kate se racla la gorge de manière à interrompre Phoebe puis prit la parole :

« On a besoin d’autrui pour penser cependant on est peut-être d’autant plus libre en étant indifférent à son jugement car on ne doit pas s’y fier. En effet pour Jean-Jacques Rousseau, le premier devoir de l’homme est de « ne pas se fier à autrui. » Il est à constater que pour Rousseau autrui – ses propres enfants compris – n’est jamais un atout mais plutôt un problème. Il a en effet écrit qu’ « à l’état de nature les hommes sont bons et égaux, c’est la société qui les corrompt et introduit entre eux l’inégalité. » Or la société est l’ensemble des institutions et des structures qui mettent en rapport les hommes entre eux. On peut donc en conclure que si les hommes étaient retirés de ces structures ils seraient à nouveau bon et égaux, il n’y aurait alors plus aucuns obstacles à leur épanouissement. Un épanouissement solitaire puisque le fait d’entretenir des rapports avec autrui corrompt les hommes et introduit des inégalités entre eux ce qui empêche leur accomplissement.

« Cette thèse est appuyée, ultérieurement, par Jean-Paul Sartre qui écrit dans Huis Clos que « l’enfer c’est les autres » or autant il est difficile de se fier à quelqu’un autant il est impossible d’être libre en enfer. A partir de ce constat on peut aisément comprendre que pour Sartre la liberté soit une question qui relève du pur raisonnement individuel et qui n’est pas, et ne doit pas, être soumis à la pensée d’autrui. Ainsi, pour lui, l’acteur choisit à chaque instant quelle sera sa conduite, comment il se définit face à autrui plus assimilé à un adversaire qu’à un soutient. Autrui est donc pour Rousseau et pour Sartre plus un frein qu’un atout à l’accomplissement de l’être. On est alors d’autant plus libre que l’on est indifférent au jugement d’autrui. »

Un léger flottement suivit la fin de son exposé avant que James ne prenne la suite.

« Je ne suis pas moins libre en écoutant le jugement d’autrui car celui-ci permet de nous accomplir.

« Cette thèse est soutenue par Sigmund Freud pour qui autrui va me révéler à moi-même. En effet autrui va m’aider, par la méthode psychanalytique, à atteindre mon inconscient et ainsi à découvrir les raisons de certains problèmes qui m’empêche de m’accomplir et donc d’être complètement libre. Freud va même isoler une « voie royale d’accès à l’inconscient » : les rêves. Autrui va donc pouvoir en m’expliquant mes rêves permettre mon accomplissement et ma liberté.

« Cette idée, développée au XIXième siècle, vient appuyer la pensée augustinienne pour qui « l’homme est un inconnu pour lui-même, » or on ne peut raisonnablement penser que l’on ne peut pas être libre tout en étant pour soi-même une énigme. L’homme a besoin de savoir qui il est. Car en restant « pour lui-même une question, » selon la formule de St Augustin, il ne peut réellement être libre. On voit donc ici que c’est la connaissance qui va porter l’homme à son but ultime : l’accomplissement dont découle la parfaite liberté, car c’est par son accomplissement que l’homme se libère totalement de sa condition inférieure et qu’il accède à la pleine liberté, c’est-à-dire à la possibilité d’être à la fois sa fin ultime et le moyen de la fin d’autrui : voilà la liberté de l’homme car c’est la liberté suprême à laquelle il peut accéder c’est la liberté divine. Néanmoins pour atteindre cette liberté suprême l’homme doit d’abord parvenir à une parfaite connaissance de lui-même – selon la formule de J-F Braunstein : « connais-toi toi-même »  – or comme il ne peut la posséder de lui-même il doit faire appel à autrui et se servir du jugement de celui-ci pour s’accomplir. Ainsi on est d’autant plus libre que l’on est, non pas indifférent au jugement d’autrui, mais à l’écoute de celui-ci afin de pouvoir accéder à son accomplissement total. »

Un long silence suivit la chute de la conclusion de James. Le professeur relut rapidement ses notes, griffonna quelque chose dans un cahier puis releva lentement la tête.

« Ensemble cohérent et clair. Persévérez ! 14 sur 20. »

            Rien d’autre ne pouvait plus perturber le court du temps hormis, bien entendu, les inénarrables « débordements affectifs » de certains élèves entre eux – Hans et Leila, Hans et Roman ou Jimmy et la gente féminine, etc.… Ce fut d’ailleurs au cours de l’un d’eux que la colère de Phoebe explosa.

« Jimmy, pourrais-tu expliquer à tes groupies qu’on n’est pas dans un hôtel de passe et qu’elles feraient mieux de se taire ? »

La réaction des filles fut dans un premier temps exagérée, toutes se retournant vers Phoebe dans l’espoir à peine dissimuler de tenter un homicide, puis totalement inexistante quand elles se rappelèrent que Shin était une sorte de frère pour elle, et accessoirement qu’il somnolait juste derrière la chaise de Phoebe et avait horreur d’être dérangé pendant sa « sieste. » Jimmy, comprenant qu’une effusion trop disproportionnée de « bons sentiments » de part et d’autre était à éviter, et que Hans n’interviendrait sûrement pas considérant l’importance que semblait avoir pour lui le présent échange de salive qu’il entretenait avec Leila, décida en son âme et conscience, et plus ou moins à son corps défendant, – il fut en effet gentiment soutenu dans cette noble décision par Pierce – de quitter la salle de classe pour vaguer à ses occupation de dragage en des terrains moins agités. Ceci entraîna un pèlerinage instantané de la population du beau sexe hors des murs de la salle.

            Le capitaine du club de tennis n’avait pas que des amis, Jimmy le savait, il décida donc de s’excuser auprès de Phoebe – qui accepta sous les bons offices de Pierce – de lui pardonner le comportement de ses admiratrices. Leur relation, aussi glacée que le cœur d’un cintre accroché à sa tringle dans la pénombre hostile pareil à un vampire agrippé à la branche morte d’un chêne noir dans l’attente silencieuse du poulain égaré au tendre flanc duquel il ventousera son groin immonde pour aboucher son sang clair en lentes succions gargouillées et glaireuses jusqu’à ce que mort s’en suive, était obscure depuis qu’ils s’étaient rencontrés en dernière année de primaire, oscillant entre la morosité, la complicité et la distance elle avait traversé plus d’une épreuve mais chaque réconciliation semblait avoir raffermie leur lien bien qu’ils n’aient jamais considéré bon de « se mettre en couple. » Cependant le problème actuel n’admettait, selon Phoebe, qu’une unique possibilité de conclusion : une mise au point claire et directe pour faire comprendre à toutes que le lycée, et plus particulièrement la classe, n’était pas un terrain de jeu pour jeune fille en quête d’une reconnaissance passagère obtenue d’yeux qui ne la reconnaîtraient jamais plus ensuite. Ceci était néanmoins difficilement acceptable pour un garçon tout plein d’une virilité qui ne demandait qu’à prendre conscience de ses limites les plus lointaines. Le point final de ce débat ne pouvant être apposé ce jour-là, Pierce en sa bienveillante sagesse proposa de suspendre à décider. Une ombre planait depuis le début sur leur histoire, d’abord insidieuse et implicite aux yeux de Jimmy, elle avait prit une forme physique au début du mois : Shin.

              Il y eut un soir, il y eut un matin…
 


 
 
 

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