Aspidistra ouvrit les yeux, lentement elle se releva sur son lit, passa une main dans ses cheveux avant de chercher à tâtons l’interrupteur. Elle s’appuya sur le mur contre lequel était disposé son lit et ses paupières retombèrent. Elle avançait d’un pas tout à fait quelconque vers les grilles du lycée. Shin y était, il discutait avec quelqu’un qui la voyant approcher préféra partir. Peu lui importait ce que cette dernière pensait d’elle. Il l’attendait, elle en était sûre. Elle le taquina, il répondit puis tendit sa main dans son dos, vers elle… Elle sentit son cœur s’embraser, elle s’élança et attrapa cette main. Elle était chaude, vigoureuse, ferme. Elle se referma sur la sienne, la tira en avant et elle glissa doucement contre son dos.
Il ne broncha pas et continua à avancer dans une rue transversale jusqu’à une moto cadenassée à un panneau de signalisation.
« On rentre ? »
Shin souriait comme sourirait un enfant qui vient de commettre une bêtise et qui ne cherche en aucun cas à s’en excuser. C’est alors qu’elle discerna dans ce regard toute l’espièglerie qui l’habitait. Shin enfourcha la moto et Aspidistra monta derrière lui.
« Accroche-toi. »
Elle passa ses mains autour de son buste, posa sa tête sur son épaule gauche, entendit les battements de son cœur : réguliers au début puis de plus en plus rapide. Il roulait vite, leurs cheveux flottaient dans le vent, une bruine légère humectait l’ovale de leur visage. Shin et Aspidistra n’avaient aucun regard pour les maisons défilant autour d’eux, ils ne ressentaient rien mise à part le vent qui fouettait leur figure. Elle ne pensait qu’à une chose : que ce moment dure le plus longtemps possible. Elle rouvrit les yeux, elle se sentait bien.Elle s’approcha. Shin remit son draich dans son enveloppe puis le reposa dans un coin. Les deux combattants se firent face. Aspidistra s’élança et attaqua Shin au buste. Celui-ci encaissa le choc et riposta par une série de directs. Chacun se recula pour évaluer la situation. « Elle se défend bien, il ne faut pas que je laisse le combat s’éterniser. » « Il est plus puissant que je ne le pensai. » Shin se tourna vers Chaps et lui fit un clin d’œil.
« Non, Shin, ne l’utilise pas ! C’est trop dangereux !
_Je ne pense pas qu’il soit si dangereux que cela, maître. »
Quand il se retourna, Aspidistra se jeta sur lui mais sa réponse fut foudroyante : il lui porta un double coup au ventre qui la renvoya à terre comme un vulgaire fétu de paille.
« J’ai gagné. »
Shin lui tendit la main pour l’aider à se relever puis il s’approcha de l’une des pièces attenantes.
« Alors Lué, depuis combien de temps attends-tu ?
_Juste avant l’arrivée des trois lieutenants.
_Par rapport à lui quel est mon niveau ?
_Tu as hérité incontestablement de son don de copiste, mais en comparaison tu n’es qu’un apprenti face à un maître. Il arrive même à copier des techniques décrites dans des livres alors qu’elles ne sont plus utilisées. Si tu n’es pas capable de faire de même, tu peux oublier ton idée de te battre contre lui…
_Merci. »
Il récupéra son sabre, ses affaires de cours puis sortit.
« Une dernière chose, maintenant qu’on en a fini avec ça, on va pouvoir souffler un peu. On se retrouve demain pour en discuter.
_Bien, capitaine. »
Shin s’arrêta au niveau des grilles du lycée, jeta un coup d’œil à droit, à gauche puis derrière lui avant de tirer une cigarette et de l’allumer.
« Tu voulais me parler, Nicolas ? »
Un collégien se détacha de l’ombre du mur d’enceinte.
« J’aimerai te demander un service.
_Vas-y.
_Puis-je rentrer au club seisen ? »
Shin tiqua à ce moment-là avant de souffler et de rire silencieusement.
« Si tu veux, » dit-il en s’avançant dans une rue transversale.
« Shin !
_Oui ?
_C’est une fille bien, affirma Nicolas en voyant Aspidistra arriver. Prends la au sérieux, chef. »
Il s’éclipsa. Shin sourit et tira une bouffée sur sa cigarette.
« Toujours aussi polisson celui-là. »
Aspidistra lui jeta un regard bizarre.
« Tu parles tout seul maintenant ?
_Je réfléchissais, veux-tu. »
Il fit quelques pas puis s’arrêta et tendit la main vers elle.
« Tu viens ? Je te raccompagne. »
Aspidistra resta figée pendant un court instant puis courut vers lui, prit sa main tendue et répondit.
« Oui. »
Il y eut un soir, il y eut un matin…Le test ne fut que de très courte durée : la plupart préférant fuir rien qu’à la vue de leurs adversaires. Steven se retrouva finalement seul à la porte du dojo. Shô jeta un coup d’œil à Shin.
« Je m’occupe de lui, d’accord ? »
Shin ferma les yeux.
« Non, Pierce, ça te dérange d’y aller ? »
Pierce soupira.
« Ok… » Il s’avança jusqu’au centre de la salle puis fit signe à Steven de venir. « Autant faire ça à l’aise, non ? »
Steven ne répondit pas immédiatement.
« Pourquoi dois-je me battre contre toi ?
_Je suis le sixième membre du club, le plus faible a priori… »
Steven riait silencieusement.
« Je vois, ce sera donc facile. Par curiosité, quelle est la place de mon capitaine ? »
Hans s’était appuyé contre le mur.
« Quatrième. »
Les yeux de Steven s’écarquillèrent. « Il n’y a que deux niveaux de différence entre lui et mon capitaine ? Prudence, il ne sera peut-être pas aussi faible que je ne le croyais, » pensa-t-il en se mettant en garde. Pierce fit de même.
« Tu ne te bats pas avec une arme ?
_Non, je ne sais pas encore les utiliser. »
Steven hocha la tête puis attaqua avec son épée d’entraînement. Pierce esquiva le premier coup puis dévia le deuxième de l’avant bras. Il se recula pour rester à distance. Steven se jeta en avant mais Pierce se déplaça latéralement et le plaqua au sol puis lui maintint les deux épaules contre le parquet.
« Alors ? On arrête tout de suite ou on continue ? »
Steven acquiesça et relâcha son épée.
« Tu as gagné. »
La porte du dojo coulissa.
« Alors tu abandonnes déjà ? Steven, tu es indigne de ta place de vice-capitaine du club d’escrime. Tu n’es pas d’accord ?
_Roman… »
Une autre voix couvrit sa réponse.
« Tout a fait.
_Kate… »
Les deux vice-capitaines étaient entrés mais une autre personne restait dans l’embrasure.
« Faisons cela vite, je dois partir tôt, aujourd’hui.
_Aspidistra… »
La voix de Steven était pathétique. Pierce desserra son emprise et Hans se pencha pour aider Steven à se relever.
« Bon, on fait quoi capitaine ? »
Shin fixa les trois nouveaux venus.
« Pierce contre Kate, John contre Aspidistra et Shô contre Roman.
_Je refuse, » coupa ce dernier. « Je veux me battre contre toi, poursuivit-il.
_Moi aussi, indiqua Kate.
_Moi également, déclara Aspidistra.
_Et moi de même, convint Shô.
_Peut-être mais toi, on verra plus tard. J’accepte mais pas les trois en même temps.
_Parfait, Kate, tu commences.
_Attendez un instant. » Shin passa dans une pièce attenante.
Il revint quelques minutes plus tard en tenue de combat noire et veste de lin blanc.
« Tu portes déjà l’uniforme des membres de la Chambre ?
_Nous portons tous les trois une veste, » répliqua Chaps, en sortant de l’autre pièce, suivit de Shô. « Nos vestes du club, bien entendu. »
Chaps portait une veste blanche et Shô une veste rouge sans manche. Shin s’avança pour engager le combat.
« Tu pratiques l’aïkido, si je ne me trompe pas ?
_Oui. »
Cinq minutes plus tard, Kate était à terre et reconnaissait sa défaite. Roman la remplaça, sabre à la main. Shin tendit la main en arrière et Shô lui envoya un katana enveloppé dans du tissu. Shin déplia l’emballage puis tira en la caressant la lame en murmurant :
« Apparais dans une mer d’encre reflétant l’éclat de la lune virginale, Székesfehérvár<!--[if !supportFootnotes]-->… »
Cette lame, légèrement recourbée à partir des 4 cinquièmes, mesurait entre 1 mètre 20 et 1 mètre 40 ; elle pouvait, à l’évidence, être maniée aussi bien à une qu’à deux mains. C’était un draich, le même que celui qu’il portait ce jour-là pour combattre sa sœur.
« Cette épée est la deuxième reproduction de l’arme originale qui est gardée au club Ya-chi-ru. J’ai fait une promesse sur cette dernière et même face à toi je compte la tenir quel qu’en soit le prix, compris ?
_J’ai toujours préféré les combats sérieux alors ça me va. »
Roman se mit en garde et Shin lui fit face, lame en main comme si elle était au fourreau. Roman prit l’initiative, il attaqua comme le vent dans la nuit. Shin ne bougeait pas. Lorsque le katana de Roman fut sur le point de le toucher, il se baissa puis tel l’éclair zébrant le ciel frappa son adversaire d’une botte latérale. Profitant du fait que Roman était à l’arrêt, il passa derrière lui et porta un coup dans son dos. Celui-ci tomba à genoux et Shin lui posa sa lame sur la nuque.
« Mort en combat réel. »
Shin se tourna vers Aspidistra.
« Suivante. »
Lorsque Shin arriva au lycée, ce matin-là, une impression d’oppression l’intrigua comme si une centaine de paire d’yeux était continuellement braquée sur lui. « Je n’aime pas ça, » pensa-t-il.
Ses doutes se concrétisèrent quand il entra dans la classe et que tous les élèves « normaux » se détournèrent sur son passage. Peu étonné par cette attitude, il n’avait jamais eu pour ambition d’être adoré par le reste de la classe, il avança jusqu’à sa place puis en comprit la raison. Sur le mur du fond de la classe, deux affiches avaient été collées côte à côte. Sur la première, le texte inscrit était le suivant : « Le club Seisen recrute. Membres fondateurs : Charles Enscure, Pierce Harkes, Shô Senkami, John Lucka et Shin Itchie ; membre associé : Hans Van Halem ; capitaine : Shin Itchie. » « Je dois dire deux mots à Chaps, » se dit-il en lui-même. La deuxième affiche donnait également leur nom mais aussi leur photo à chacun et deux bandeaux de texte la barrant un en haut et un en bas. Son sang ne fit qu’un tour lorsqu’il lut : « Le club Seisen est à abattre ! » Les divers avantages décris en petits caractères en bas de la page finirent de le convaincre de l’irrationalité de la chose. Outre une certaine variété d’exceptions circonstancielles offertes aux valeureux fauteurs de troubles, ils prévoyaient une certaine indulgence des corps professoral et administratif à leur encontre. Shin se sentit alors très seul…
Surtout quand deux montagnes de muscles entrèrent en demandant où il se trouvait. Une profonde lassitude naquit en lui mais il se reprit immédiatement. Il sortit de son sac sa veste blanche et l’enfila rapidement. Puis il alla à leur rencontre.
« Shin Itchie, c’est moi. »
La suite se passa très vite et de manière violente. Shin esquiva l’attaque combinée de ses deux adversaires puis répliqua efficacement au point sensible de tout être humain de sexe masculin.
« Dégagez, maintenant. »
Lorsque le professeur d’histoire les relâcha pour la pause syndicale de la mâtinée, Shin fut le premier dehors. Ce qui inspira au professeur cette réflexion : « le cœur a ses raisons que le droit méconnaît. » Après moult explications musclées, il parvint jusqu’à la classe de Chaps. Ce dernier ne sembla pas du tout étonné de le voir entrer dans sa classe puis commencer à le secouer comme un prunier tout en beuglant des propos incohérents.
« Tu as un problème ?
_Plutôt… Pourquoi autant de crétins m’attaquent ? C’est quoi cette idée d’abattre le club ? Et d’ailleurs c’est quoi cette idée de club ? Et pourquoi c’est moi le capitaine ?
_Dans l’ordre : premièrement, fonder un club permet de ne pas avoir à passer les éliminatoires pour le tournoi ; deuxièmement, tu es capitaine parce que c’est toi que Wladimir a défié – et surtout parce que je ne veux pas m’embarrasser de ça – ; troisièmement, ceci est une tradition du lycée visant à éliminer les clubs les plus faibles à leur création en testant les membres fondateurs par des combats incessants, la durée du test est d’une semaine et s’achève par une confrontation contre une escouade mandatée par la chambre des treize. Tu as compris ?
_Je suis tombé dans un lycée de fous…
_Heureux que tu t’en rendes compte, même si c’est un peu tard, maintenant. »
Shin se renfrogna. Son seul regard chargé de haine, de fureur et de volonté de tuer lui permit de traverser le reste de la journée avec un minimum d’engagements.
Pierce, John et Shô furent eux aussi pris à partie durant le temps scolaire et s’en sortirent avec des fortunes diverses – Pierce préférant la fuite dès qu’elle était possible. Ils se retrouvèrent tous au 6ième dojo à dix-sept heures trente. Lorsque Pierce, John et Shin en poussèrent la porte, Hans, Shô et Chaps s’y étaient déjà rendus.
« Enfin, capitaine, tu aurais pu faire plus rapidement. »
Shin ne prit même pas la peine de répondre à Shô.
« L’ardeur de la chambre devrait diminuer à présent. »
Hans approuva la remarque de Chaps.
« Ce serait étrange mais pas dénué de bon sens. Tous les clubs ont au moins un membre qui a pu tester la réalité de notre force. »
Leila sortit de l’ombre d’une pièce attenante.
« J’ai rarement entendu parler d’un club dont les fondateurs aient tous eu un aussi bon classement. Aucun de vous n’a un niveau inférieur aux vingt premiers.
_Comme se fait-il que Shin et John soient aussi bien classés ? »
La question de Pierce amena Leila à braquer son regard sur lui.
« John est un boxeur de catégorie B et Shin un ancien maître du 3ième plan du club Ya-chi-ru, cela me suffit pour les classer. »
Hans soupira avant de reprendre.
« La question est maintenant de savoir quelle suite nous donnons à notre action : recrutement habituel, mais alors sur quelle base, ou l’entraînement particulier de chacun d’entre nous afin de nous améliorer individuellement avant le tournoi ? »
Pierce se racla la gorge.
« J’aimerais d’abord savoir pourquoi John et moi avons été inscris d’office.
_Parce que vous êtes dans l’équipe pour le tournois. »
La réponse de Chaps ne parut pas lui convenir.
« Lorsque j’ai établit la liste des membres fondateurs du club, j’ai donner à l’administration les noms de ceux que Shin avait désigné pour l’équipe. Les évènements d’aujourd’hui ont été une sorte d’exercice pour vérifier vos capacités. »
John s’étrangla.
« Il y aura beaucoup d’autres des exercices comme ça ? »
Un groupe de douze étudiants armés et menés par Steven le vice-capitaine du club d’escrime poussèrent la porte coulissante du dojo.
« Voici le dernier avant le début du tournois, » ricana Shô en montrant les dents dans un sourire carnassier et provocateur.Chaps vint déposer une liste de noms au bureau administratif d’enregistrement des groupes à vocation de création d’activités collectives.
« Six personnes ? demanda la secrétaire d’un ton évasif.
_Oui.
_Quel nom ?
_Club Seisen.<!--[if !supportFootnotes]-->
_Quel capitaine ?
_Shin Itchie, » répondit Chaps.
Il y eut un soir, il y eut un matin…
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