Sa maison était une petite bâtisse en bordure d’une petite route de campagne dans la lande anglaise dans la banlieue de Liverpool. L’entretient de la toiture aurait pu être plus poussé mais la majorité des travaux essentiels semblaient faits. J’entrais donc en notant néanmoins l’état de l’encadrement de la porte.
« Voulez-vous une tasse de thé, un café ? »
Je refusais le plus poliment possible d’un geste de la main. Elle m’invita à m’asseoir dans le salon pendant qu’elle finissait de ranger la vaisselle du petit-déjeuner. Je respectais religieusement un instant de silence et de concentration avant de pousser la porte. Il était là. Ses longs cheveux blancs entourant de neige ses larges épaules. Un masque était fixé à son visage pour le faire respirer, tout un attirail d’instruments et de matériels médicaux fonctionnait autour de lui pour obliger la vie à ne pas l’abandonner. Une guitare folk gisait, posée au pied du lit d’hôpital qui avait été aménagé. Je reconnu au premier coup d’œil la Nash NH55 qu’il avait utilisé lors du mythique concert d’Appel Studio le 6 juin 2012. Mais lorsque j’entrais dans ce salon, Paul Wyss n’était plus que l’ombre pitoyable du génial guitariste et leader des Jeff’s. Ce musicien talentueux souvent considéré comme l’un des meilleurs de sa génération était là devant moi sans y être vraiment. Depuis qu’une voiture l’avait fauché devant les studios d’Abbey Road le 8 décembre 2014, il demeurait prisonnier d’un coma qui durait depuis près d’un an.
Coma. Le mot était lâché. La presse quotidienne de l’époque avait évoqué un tragique accident de la circulation mais la presse spécialisée ne s’y était pas trompée en annonçant l’explosion en vole d’une légende de la musique moderne. Et me voici dans le salon XIXième d’un petit cottage anglais perdu approximativement entre Liverpool et le comté de Lancashire.
Autant dire que j’étais nulle part… et cela me gênait profondément. Surtout que je n’étais pas certains de trouver une route praticable pour Londres.
Je reportais mon attention égarée sur Paul Wyss. Ce sujet était en or. Il allait me permettre de décrocher mon diplôme de journaliste et avec un peu de chance de trouver ou une agence, un journal ou un magazine qui m’embaucherait. Alors un peu de courage que diable, Harry mon ami, il est temps de montrer à ton directeur d’étude que tu vaux mieux que toute la racaille qu’il place sur un piédestal devant toi… c'est-à-dire toute la classe. Je vais lui prouver que même un muet peut être un grand journaliste. Que les dieux du Rock soient avec moi, ainsi que mon ange gardien, Jésus et tous ceux qui le voudront bien.
Elle entra et me poussa gentiment dans un fauteuil. J’avais griffonné sur une feuille une phrase de politesse : « J’espère que je ne vous dérange pas. » Je la lui tendis. Elle rit.
« Vous me faîtes penser à Paul au début, lui aussi discuter par papier interposé. Mais ne vous inquiétez pas, je ne suis pas comme Paul. Il me répétait souvent : Recevoir un grand nombre de journaliste est un plaisir. Un petit nombre un ennui. Un seul d'entre eux : un supplice. Paul préférait de loin laisser aux autres membres et à Laurence le soin de s’occuper des reporters. »
Elle marqua une petite pause pour boire une gorgé de thé.
« J’imagine que vous voulez savoir comment j’ai rencontré Paul ? »
J’approuvais d’un mouvement de tête en prenant mon bloc-notes et en allumant mon magnétophone.
« Avant tout je dois vous prévenir que tout ce que vous pourrez faire ici sera filmé. Mais ne vous inquiétez pas, il n’y a aucune raison pour que ces images soient utilisées un jour. »
Elle s’interrompit et but une nouvelle gorgé.
« Je vais vous raconter la première fois que j’ai vu vraiment Paul jouait de la guitare. C’était le deuxième jour de notre année de seconde. Paul avait, la veille, défendu un jeune collégien contre des voleurs. Ce jour-là un groupe de voyous était venu le chercher à sa sortie. J’allais pour essayer de le trouver quand j’entendis de l’aumônerie monter une triste mélodie.
« Je m’arrêtais. Pour une raison obscure, mon instinct m’indiquait de privilégier cette piste. J’entrai dans l’antichambre de la salle de prière. Un jeune garçon était là, assit sur un banc. Il était clairement visible qu’il avait pleuré pour une raison ou pour une autre et le résultat n’était pas vraiment beau à voir. Une musique douce et intimiste planait dans l’atmosphère tamisée, une voix accompagnait la mélodie :
« Old friends,
Old friends,
Sat on their park bench
Like bookends.
A newspaper blown though the grass
Falls on the round toes
Of the high shoes
Of the old friends… »
« Je m’approchai et découvris Paul jouant de la guitare devant l’étudiant. Son expression était étrangement mélancolique. Il arrêta presque instantanément de jouer et se leva. Il reposa la guitare et, en passant, donna une petite tape réconfortante sur l’épaule du collégien. Il sortit. Je demeurai un instant interdit puis, après un dernier sourire au collégien, je le suivis.
« Aujourd’hui encore quand j’entends cette chanson de Simon et Garfunkel, je revois Paul dans l’antichambre de la salle de prière devant ce garçon sanglotant… »
Elle me sourit tendrement mais je savais que cette tendresse ne m’était pas destinée directement mais s’adressait plutôt à travers moi à l’homme étendu sur le lit blanc. Son téléphone mobile vibra et elle consulta son message. Elle pouffa puis reposa le mobile.
« J’ai également une surprise pour vous… »
On sonna à la porte.
« … qui vient d’arriver. Entrez, c’est ouvert. »Angleterre, banlieue de Liverpool, 2015.
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Nul pierre, nul mousse, nul inscription sur cette stèle… La croix de craie blanche luit à la pâle lueur du matin. Une femme est là, toute de noir vêtue. Tel un linceul d’obscurité, son ombre sombre s’étend sur le tombeau. Je n’ose m’approcher plus avant. Que suis-je, moi-même, pauvre journaliste de province, face à ce deuil ? Face à cette ultime et sublime marque d’amour ?
« J’aime venir ici le matin. Cela peut paraître macabre d’avoir sa propre tombe et de venir s’y recueillir mais en définitive je trouve que cela marque bien la dualité de l’homme : ne sommes nous pas faits pour y reposer plus longtemps que dans n’importe quel autre lieu ? »
Elle se releva et rajusta son châle autour de ses épaules.
« Venez, nous serons mieux chez moi pour parler. »
Je hochais la tête lentement…Les personnages cités
dans ce récit sont fictifs.
Toute ressemblance avec des personnes ou des entreprises existants ne
serait que
pure coïncidence.
Avertissement : L’histoire que vous vous apprêtez à lire est ce que l’on pourrait assimiler à un premier épilogue. En effet, je plante ici comme des faits presque acquis des personnages tout à fait imaginaires, développés de manière plus approfondie dans le roman La musique de la vie publié progressivement sur internet.
Les références multiples que je laisse planer dans le récit sont volontaires. Les comprendre ne permet que d’entrevoir ma fascination personnelle pour l’œuvre de ces personnes.
Car bien que les larmes
Soient d'une beauté sans égale,
Elles dessinent sur son visage
Des sillons de malheur
Qui déchire mon coeur.
Pourquoi ce doux visage
Qui me souriait
Doit-il maintenant pleurer ?
Les larmes sont des armes
De persuasion massive
Qui ne laissent ni indifférent
Ni, cependant, trop entreprenant.
Le monde est une vallée de larmes.
Si tu peux
supporter d'entendre tes paroles
Travesties par des gueux pour exciter des sots,
Et d'entendre mentir sur toi leurs bouches folles
Sans mentir toi-même
d'un seul mot ;
Si tu peux rester digne en étant populaire,
Si tu peux rester peuple en conseillant les rois
Et si tu peux aimer tous tes amis en frère
Sans qu'aucun d'eux
soit tout pour toi ;
Si tu sais méditer,
observer et connaître
Sans jamais devenir sceptique ou destructeur ;
Rêver, mais sans laisser ton rêve être ton maître,
Penser, sans n'être
qu'un penseur ;
Si tu peux être dur sans jamais être en rage,
Si tu peux être brave et jamais imprudent,
Si tu sais être bon, si tu sais être sage
Sans être moral ni pédant
;
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