La paix armée fut le lot de chacun des deux camps séparés par le rideau de fer que constituaient les deux grands classeurs que Aspidistra avait levée au début de l’heure. A la fin de celle-ci il était entendu parmi leurs condisciples que ceci n’était que les prémices d’une histoire d’amour romantique marquée à ses débuts par quelques querelles de ménage qui seraient rapidement oubliées par la suite. L’opinion changea lorsque Aspidistra profita de l’intercours pour gifler une fois de plus Shin à la suite d’une énième maladresse verbale, tout à fait personnelle, de ce dernier. Une fois n’est pas coutume – n’en tirons donc aucune règle de droit insensée – Shin fut heureux d’entendre enfin la cloche du lycée lui apportait la délivrance tant espérée durant ce long calvaire d’une matinée. Il mangea seul sur les toits ; Aspidistra et le reste du groupe allant au self.
« Tu ne vas plus avec Shin ? s’étonna Hans.
_C’est vrai que n’est pas au courant de leur scène de ménage de ce matin, s’écria Roman un soupçon de malice dans la voie.
_Roman !
_Quoi c’est faux peut-être ?
_Ce n’est simplement pas une chose à dire à dire.
_C’est mon James qui a dit ça ?
_Que c’est-il encore passé ? interrompit Hans.
_Elle lui a mit une claque, expliqua Roman.
_Il l’a mérité.
_Pourquoi ?
_Quand je lui ai parlé de sa réputation, sais-tu ce qu’il m’a répondu ?
_Oderint, dum metuant, répliqua Phoebe.
_Oui.
_C’est sa réponse préférée.
_C’est ignoble…
_Oui et non. Sa réputation est la légende qu’il s’est bâti, et, comme toutes les légendes la majeure partie est inventée. Une partie est vraie, c’est sûr, mais il ne faut pas oublier une chose : il ne se bat jamais pour lui-même uniquement mais aussi pour tous ceux qui comptent pour lui.
_Ce n’est pas une raison.
_Tu en veux une autre ? Ecoute, il y a un adage qui veut que la peur soit plus tranchante que la meilleure des épées. Shin inspire la peur, non par plaisir mais par besoin. »
Aspidistra se détourna et se balança sur sa chaise. Le regard perdu dans l’horizon par la fenêtre entrouverte, elle laissa ses pensés vagabonder aux confins de l’imagination. « Pourquoi est-il ainsi ? Pourquoi est-ce que je lui cherche des excuses ? Pourquoi me blesse-t-il en étant ainsi ? » Les questions qui l’assaillaient n’admettaient qu’une réponse qui l’effrayait plus que tout : « Parce que tu l’aimes. » Son attention fut attirée par les cris qui venaient des terrains. D’ici, elle ne distinguait pas très bien les joueurs mais elle entendait leurs rires et leurs appels. Elle se demanda encore comment on pouvait rationnellement aimer courir derrière un ballon. Un argument émergea des profondeurs de sa mémoire : « lorsque l’on joue au football il n’y a plus de distinctions de race, de couleur, de classe sociale, chacun à son poste, son importance, ses qualités et ses défauts. Tout le monde se serre les coudes pour gagner et c’est pour cela que ce sport est magique : quand on y joue, on n’a pas de passé, on n’a qu’un avenir… » Elle avait lu cette phrase du capitaine historique de la sélection américaine dans un interview pour un journal sportif. « On n’a pas de passé, on n’a qu’un avenir. » Voilà la réponse à son interrogation, elle sourit et songea qu’il était peut-être un peu moins bête qu’il n’y semblait.
Pierce écrivait, relisait, déchirait, réécrivait assit à son bureau. Il semblait soucieux. Aspidistra entra suivit de Phoebe et de Kate. L’attitude de Pierce les étonna légèrement considérant qu’il n’était pas forcément connu pour être l’élève le plus sérieux de l’école.
« Tu fais quoi ? Demanda Aspidistra.
_J’essaie de convaincre un ami de redevenir entraîneur.
_En écrivant des lettres que tu déchires ensuite ?
_Il est un peu compliqué, et je dois lui donner un argumentaire en béton pour le convaincre.
_Et tu penses que ça va marcher ?
_Tu connais leur entraîneur ?
_Bien sur, c’est Ekichi, n’est pas ?
_Oui.
_L’ex-loubard qui était venu te chercher le premier jour ? »
Pierce et Phoebe se regardèrent et pouffèrent.
« C’est notre père, je te rappelle.
_J’oublie toujours ça. »
Elle lu quelques brouillons.
« Shin est toujours titularisé dans tes projets, je croyais qu’il avait refusé d’intégrer le club.
_Il l’a fait.
_Pourquoi ?
_Il a arrêté de jouer au football l’an dernier, mais si on veut faire ce qu’on a décidé on doit avoir Ekichi comme entraîneur et Shin dans l’équipe.
_Pourquoi a-t-il arrêté de jouer ?
_Une promesse.
_Une promesse : arrêtez de jouer au football c’est une promesse ?
_Pour lui, oui. »
Le cours allait débuter, le professeur entra. Aspidistra prit place mais Shin n’était pas là et Pierce était sorti. Sœur Josette remarquant leur absence demanda une explication. Cependant celle-ci vint de la personne dont on l’attendait le moins.
« Il ne sera pas en cours cette après-midi, madame, expliqua Leila.
_Pourquoi ?
_Il a été convoqué par le Proviseur avec Pierce Harkes, Lothar Meitther et le Professeur responsable du club de soccer.
_Je peux connaître la raison de ce Yalta de notre club de soocer ?
_La mise en place d’une deuxième équipe capable de remporter le championnat régional, cette année.
_Bien entendu, arrêtez de me prendre pour une imbécile et sortez, Mlle Weetch. »
Leila sortit en traînant des pieds, suivit de Hans qui devait aller chercher des documents chez le directeur des études. Elle l’accompagna.
« Ce que tu as dit au prof, c’est vrai ?
_Oui.
_Tu penses qu’ils arriveront à se mettre d’accord ?
_Oui.
_Tu connais tous les élèves de seconde, non ?
_Oui.
_Tu veux sortir avec moi ?
_Non.
_Dommage.
_Mais ne t’inquiète pas je pourrais changer d’avis si tu parvenais à me séduire.
_On en reparlera plus tard, on est arrivé chez le vieux. »
Cinq minutes et une pile de documents insignifiants sous le bras de Hans plus tard, ils revenaient devant la porte de la classe. Leila resta encore derrière la porte jusqu’à ce qu’un autre élève n’aille « se changer l’air. »
Shin revint en cours pour la dernière période avec Pierce. Les mathématiques ne l’avaient jamais particulièrement inspiré, mais il lui semblait que cette après-midi là, elles étaient endormantes à un point inimaginable. Aspidistra se pencha vers lui :
« On fait la paix ? »
Shin réfléchit un instant.
« Avant ou après que j’en prenne une ? »
Elle se redressa.
« On ne peut vraiment pas avoir une discussion sérieuse avec toi.
_Je suis d’accord.
_Pour la paix ?
_Non, à propos de ma capacité à tenir une discussion sérieuse en maths… »
« Ce type est lourd quand il veut avoir raison », pensa-t-elle. Le cours se poursuivit sans encombre. Lorsque la cloche sonna, Ollic Asabravitch<!--[if !supportFootnotes]--><!--[endif]--> entra. Il appela Shin et ils sortirent ensembles.
Lorsque Aspidistra arriva au lycée ce matin-là ce qui la surprit le plus fut d’entendre du bruit venir des terrains de football. L’équipe B du lycée avait commencé son entraînement : Pierce et Gordon les deux gardiens s’étiraient dans une cage, à l’opposé, les attaquants s’exerçaient sous la direction de Brian et Chris, les deux titulaires, enfin au centre du terrain les milieux et les défenseurs affûtaient leurs automatismes suivant les indications de Franck et de Shin. Lothar les observait de loin. Il s’approcha de Pierce alors que celui-ci faisait une pause.
« On présentera deux équipes au tournoi municipal.
_D’accord.
_J’ai une proposition pour un match amical samedi prochain, vous prenez ? »
Pierce leva la tête vers le ciel, jeta un regard au joueurs, réfléchit un instant puis répondit :
« Ils sont forts ?
_Moins que Mac Mulligan mais ils ont finis troisième l’an dernier. »
« Troisième, pensa Pierce, à une victoire de la qualification pour le tournois régional. »
« C’est d’accord. »
Il revint vers le groupe en marchant normalement, un peu perdu dans ses pensés. Chris l’interpella :
« Alors que se passe-t-il, capitaine ?
_J’ai de bonnes et de mauvaises nouvelles. Tout d’abord, nous jouons samedi un match amical, la mauvaise partie de la nouvelle c’est que nos adversaires ont finis 3ième du dernier tournois municipal. Ensuite, nous allons jouer ce tournoi mais pour cela il nous faut un entraîneur. Enfin, la bonne nouvelle c’est que… euh… mmm… on peut gagner. »
Pierce ne devait jamais savoir ce qu’en pensaient les autres membres du club car Chris l’attrapa par le bras et le força à le suivre en courant vers les vestiaires. Là, il le plaqua contre le mur et lui jeta un regard noir.
« C’est quoi ton idée pour l’entraîneur ?
_Quelqu’un que je connais, répondit Pierce calmement.
_Il est bon ?
_Ouais. »
Il laissa Chris repartir vers les terrains et s’accorda une pause pour se mouiller le visage au lavabo qui se trouvait là. Il se passa de l’eau fraîche sur les yeux pour les refroidir et glissa sa main légèrement humide dans ses cheveux. Il réfléchit le regard perdu dans l’immensité de l’horizon. « Face à Marvery, on aura besoin de nos meilleurs éléments. Je ferais peut-être mieux d’aller les chercher dès maintenant, » songea-t-il.
Aspidistra monta directement en classe. En passant dans le couloir, elle aperçut quelqu’un qui y entrait, elle n’aurait su dire qui c’était. Elle courut, poussa la porte et tendit le bras vers l’épaule de la personne qui était entrée quelques instants plus tôt.
Shin entra dans la salle de classe. Soudain il se retourna brusquement, il y avait quelqu’un derrière lui, quelqu’un qui avait poussé la porte… Ce mouvement inattendu surprit Aspidistra qui recula de deux pas.
« Que me vaut l’honneur ?
_J’ai apprit une ou deux choses sur toi.
_Qui ne t’ont pas plue ?
_Pas vraiment. En particulier à propos de ta réputation à l’intérieur et à l’extérieur du club : celle-ci est particulièrement horrible comment peux-tu…
_Oderint, dum metuant.<!--[if !supportFootnotes]--><!--[endif]--> »
Elle lui donna une gifle.
« Tu n’es qu’un monstre, je me demande pourquoi je me fatigue à essayer de t’aider ou de te faire entendre raison. »
Elle avança vers sa place tout en l’ignorant.
« Elle a quand même des réactions bizarre, parfois, qu’est que je lui ai fait ? Rien. Alors pourquoi me donne-t-elle une claque ? » pensa-t-il en la regardant partir tout en se massant la joue. « Elle frappe fort. »
Shin voulu s’établir à une table seul ce matin-là mais le professeur ne l’entendait pas de cette oreille et il fut contraint de revenir à sa place habituelle essuyant au passage quelques quolibets des autres élèves à propos de la rougeur de son teint et de l’éminence d’une rupture pré-matrimoniale. Il déposa son sac, déplaça sa chaise puis s’assit. Il se pencha légèrement vers elle. Elle tourna la tête en soufflant :
« Je n’adresse pas la parole aux cas tératologique de ton espèce.
_Et moi donc, » se dit-il.Une jeune fille à la chevelure de feu attendait plongée dans un magazine politique à la terrasse d’un café. Aspidistra vint s’assoire en face d’elle. « Pas d’impair aujourd’hui, devant ce type d’interlocuteur, les gaffes se payent cash. » La jeune fille se leva et indiqua l’intérieur du café. Aspidistra acquiesça d’un mouvement de la tête. Elles entrèrent et allèrent s’asseoir dans un coin.
« Que voulais-tu me dire, Leila ? Ou dois-je dire Lilith ?
_Emplois celui de mes deux prénoms que tu préfères, je suis habitué à ce que l’on les interchange. Si je t’ai dit de venir c’est parce que j’ai des informations qui pourraient t’intéresser à l’occasion.
_Je t’écoute.
_Bon, tu sais sûrement que Shin a perdu sa mère adoptive dans des circonstances que je passerais sous silence. »
Aspidistra sourit, il était connu de tous que Leila, bien qu’étant pour ainsi dire l’agence de renseignements du Lycée Thomas Jefferson, exécrait donner plus de détails que nécessaire.
« Je ne t’apprendrais ni ses relations avec les deux jumeaux de la classe, ni ses particularités génétiques par contre je dispose de précisions sur ses relations avec le club Ya-chi-ru… »
Aspidistra héla le garçon et commanda un jus de pomme avec de l’alcool de mente.
« Comment un hercule tel que lui qui méprise tous ceux qui n’ont pas les mêmes idées que lui – ou le même courage… »
Aspidistra se rappela que le frère de Leila avait finit à l’hôpital un couteau en travers de la jambe pour avoir tenu tête à un gangs.
« … l’ancien 1er maître du 3ième plan du club Ya-chi-ru<!--[if !supportFootnotes]--><!--[endif]-->, a-t-il pu être exclu du club alors qu’il en épouse si bien la cause et les idées ? Pourquoi ?
_Parce qu’il est allé trop loin, peut-être ?
_Oui, lorsque sa mère adoptive a été tuée il l’a vu et il est entré dans une colère sans nom. Si les membres du club n’étaient pas intervenus, il aurait fait un massacre se jour-là. Il a d’ailleurs envoyé sept des dix voyous en état grave avec pronostique vital engagé aux urgences. Cependant…
_Cependant ?
_Je pense qu’il n’y a pas que cela : il devenait trop fort et trop gênant pour la plupart des maîtres du club. Je t’aime bien Aspidistra, je vais donc te mettre en garde : au cours de ma petite enquête au club j’ai cherché du côté de sa réputation…
_Et ?
_Même là-bas celle-ci est proprement monstrueuse : ne te bat jamais contre lui mais n’essaie pas non plus d’être trop proche de lui, je ne sais pas si ce que j’ai entendu est vrai mais si seulement une partie l’était ce serait déjà abominable… »
Elle se releva, salua d’un geste de la tête et sortit. Aspidistra resta assise sirotant son jus de pomme, réfléchissant aux paroles de Leila : elle ne se trompait que rarement dans ses interprétations surtout que, comme elle le savait, ses renseignements étaient souvent rigoureusement exactes. Elle rejeta sa tête en arrière et soupira, parfois la vie était mal faite.
« Tous sont contre lui, même son propre père… je ne crois pas pouvoir en comprendre toutes les raisons, mais je ne peux me poser de questions : c’est elle ou lui, malheureusement. Je dois juste continuer à jouer le jeu. »
Il y eut un soir, il y eut un matin…« J’ai la réponse à ta question, dit-il.
_Quelle est-elle ? questionna Shin.
_J’éprouve du remord lorsque je me bat mais si je sais que je guerroie pour une cause juste mon cœur n’a point à les écouter.
_Et qu’est ce qu’une « cause juste » ?
_La défense de ceux qui ne peuvent point le faire par eux-mêmes : telle est la seule et unique cause qui puisse permettre à un homme d’oublier ses regrets. J’ai bien répondu ?
_As-tu donné la réponse d’un livre ou celle de ton cœur ?
_La mienne.
_Alors tu as bien répondu à la question, même si certains de tes actes ne sont pas en accords avec tes paroles. Que veux tu ?
_Je veux me battre. »
Shin soupira puis jaugea rapidement son adversaire du regard. « Je ne suis pas sur de l’emporter contre lui sans mon draich mais je ne pense pas qu’un vrai combat me fasse plus de mal que de bien. » Il se releva en s’étirant les muscles des bras et du cou.
« Si cela peut te faire plaisir… dit-il.
_Une dernière question avant de commencer.
_Vas-y, je suis tout ouïe.
_Ta propre réponse, quelle est-elle ?
_Ne pose pas des questions dont tu ne veux pas connaître les réponses, » répondit-il sa voix légère comme une brise glacée.
A ce moment-là un autre personnage émergea des escaliers, il se tint dans l’obscurité incertaine de l’embrasure de la porte et jeta un sabre en bois à Shin.
« Tu me le rendras à la fin du combat.
_Pourquoi faites-vous cela ?
_Parce que même si tu as été exclu, tu as aussi été mon élève. Néanmoins garde ceci en mémoire : reste calme, de notre colère naît notre perte.
_Oui…maître. »
Il caressa la lame et se mit en garde. « Regardez bien maître, car un jour vous aussi vous reconnaîtrez que j’avais raison, » songea-t-il. La tension était à son paroxysme. Shin avait opté pour une position défensive classique, Wladimir pour une approche plus offensive. « Lequel des deux ? Il m’a dit que son fils était capable de tout, même de simuler la défaite pour parvenir à ses fins. Mais face à Wladimir, il ne pourra rien sans faire preuve de certaines capacités, » réfléchit Aspidistra.
Les lames de bois s’entrechoquèrent, le temps se figea une seconde puis les coups tombèrent comme la pluie dans les montagnes rocheuses. Deux démons se faisaient face rivalisant d’adresse et de force, usant de toutes les techniques qu’ils maîtrisaient. Ils bondirent, esquivèrent et parèrent les assauts de l’adversaire. Aucun ne parvint à prendre l’avantage sur l’autre. Soudain Shin se fendit pour porter une attaque d’estoc mais Wladimir la dévia et riposta du plat de la lame à la gorge de Shin, le touchant il l’envoya mordre la poussière. Shin resta couché au sol sonné par le choc. Wladimir lui écrasa la main du pied.
« Et je suis prêt à le refaire. »
Il marcha vers les escaliers. Shin s’assit contre un mur alors que les capitaines disparaissaient dans la cage d’escalier. Il se massa la gorge précautionneusement avec un mouchoir. Il se leva et sortit, le visage caché derrière ses cheveux et son mouchoir. Il rendit le sabre à l’étudiant qui lui glissa quelque chose à l’oreille. Hans qui semblait l’attendre dans l’escalier lui dit un mot. Shin ne vint pas en cours l’après-midi.
« Je suis désolé, dit Aspidistra en baissant la tête devant Shin.
_Pardon ?
_J’ai appris pour…. »
Pierce passa et lui donna une petite claque sur la tête.
« Idiote, Shin, le directeur veut te voir.
_D’accord, merci Pierce. »
Il sortit.
« Idiote, ne lui parle pas de ça, tu ne feras que l’énerver. Ca serait dommage vu qu’il t’aime bien. »
Aspidistra songea : « La première étape semble être bien entamée, il faudrait que je commence à passer à la phase suivante. Feignons l’innocence pour l’instant… »
« Pardon ?
_Cette nuit, il rêvait de toi : je l’ai entendu dire « Aspidistra, Aspidistra » jusqu’à m’en donner des insomnies.
_Tu te moques de moi, ça se voit sur ton visage. Et d’abord il n’habite pas chez vous.
_Non, cependant hier il a dîné et dormi à la maison, lui expliqua Pierce.
_Si Pierce est comme ça, c’est parce que Shin t’aime bien : il ne supporte pas d’avoir moins de succès que lui dans cette matière. Ca dure depuis leur plus jeune âge, murmura-t-elle à l’oreille d’Aspidistra, et ce qui énerve le plus de Pierce c’est que Shin n’essaie jamais de séduire les autres il le fait naturellement une fois intégré.
_Je comprends.
_Non, tu ne comprends pas : si tu comprenais ce qu’elle vient de te dire tu lui sauterais au cou, tu l’embrasserais fougueusement et tu lui demandes de sortir avec toi… »
Un coup de poing rageur mit fin à ses délires d’agent matrimonial en l’envoyant compter les étoiles de l’autre côté de la salle. Shin venait de revenir.
« Que ça soit très claire je ne sortirais avec personne ni cette année, ni jamais. »
Il partit.
« Yes, ça va devenir intéressant, s’enthousiasma Pierce tout en se massant la joue.
_Ce que tu peux être gamin quand même, répliqua Phoebe.
_Ne me gronde pas, c’est plus fort que moi. »
Ils se retournèrent mais Aspidistra s’était déjà enfuie.
« Vraiment très intéressante, cette fille. »
Les cours de l’après-midi n’eurent pas lieu, celle-ci étant consacrée aux rencontres des nouveaux élèves avec les différents clubs du lycée. Pierce força Shin à venir eu club de soccer. Pierce expliqua à Shin que le club comptait deux équipes : celles des secondes, dont il était le goal et le capitaine, et celle de 1ère/Terminales. Le système de jeu de ces derniers se basait sur un modèle très défensif – 6 défenseurs, 3 milieux, 1 attaquant – axant ses chances offensives sur la réussite de son seul attaquant de pointe Marco. Le capitaine de l’équipe était le libéro Lothar. Shin et Pierce observèrent leur jeu pendant qu’ils faisaient un match contre l’équipe des remplaçants composés uniquement d’élèves de 1ère. Pierce lui parla un peu des élèves, titulaires et remplaçants, et des objectifs du club.
« Nous voulons nous qualifier pour le Tournois National mais pour ça nous devrons battre l’équipe du lycée Mac Mulligan.
_Qu’est-ce qu’ils ont de spécial ?
_Ils ont atteint 16 fois d’affilée le Tournois National en remportant les Tournois municipaux et régionaux, ils recrutent en cours d’année les meilleurs joueurs de la régions pour aligner l’équipe la plus polyvalente possible.
_Vous jouez avec quel système de jeu ?
_3-3-4, avec deux défenseurs volants et deux ailiers offensifs. Tu veux faire un match ?
_Pourquoi pas, à la limite je suis là pour ça, non ? »
Pierce lui présenta les autres membres de l’équipe : Franck, le libéro, Paolo et Tony, les arrières latéraux, les frères Bobby, milieux centres, Diego et Johann, ailiers et enfin Chris et Brian, avants-centres. Pierce demanda à Shin de jouer numéro 10 puis il s’arrangea avec Lothar pour jouer un match équipe A contre équipe B.
Le match débuta par le coup d’envoi donné par les titulaires. Les deux équipes passèrent les cinq premières minutes à s’observer et à prendre leurs marques.
La première action fut un centre du numéro 9 adverse qui centra dans la surface de Pierce. Le numéro 10 se projeta devant Paolo chargé de le surveiller. En même temps, il devina la trajectoire du ballon qui décrivit un léger arc de cercle. Le ballon, frappé avec précision, n’était plus qu’à quelques mètres, il s’éleva dans les airs et dévia le centre. Mais Pierce avait parfaitement compris son intention et arrêta le ballon juste sur la tête de son adversaire.
Le match s’éternisa. Lorsque sur une intervention lumineuse de leur capitaine les titulaires lancèrent une contre attaque foudroyante, le numéro 10 passa la balle à Marco, à six mètres des buts de Pierce. Il était dos au but et s’apprêta à pivoter pour tirer en se retournant. Les joueurs retirent leur souffle… Marco a pivoté, il allait tenter sa chance… Pierce avait étendu ses jambes et ses bras au maximum, cherchant à occuper le plus d’espace possible à la manière d’un gardien de handball. Lentement le ballon quitta le pied de Marco, s’éleva vers les buts mais il heurta la main gauche de Pierce et rebondit sur le côté. Franck le récupéra et le passa à Paolo qui remonta le terrain balle au pied, fit une une-deux avec Diego puis centra, Brian la reprit du plat du pied. Le gardien la dévia en corner.
Le score était toujours bloqué à 0-0 et il ne restait plus que cinq minutes à jouer. Le corner fut tiré par Paolo et repoussé du poing par le gardien. Posté sur la ligne des dix-huit mètres, Shin vit le ballon arriver droit sur lui, comme une passe du destin. C’était l’occasion à ne pas manquer. Il s’appliqua à respecter le conseil que tous ses entraîneurs lui ont donné des centaines de fois :
« Soit spontané pour réussir ! »
Il recula légèrement pour ajuster son tir. Frappé avec force, le ballon décrivit une courbe parfaite et le gardien l’entendu siffler dans ses oreilles. Il avait marqué, il avait gagné 1-0. Lothar lui serra la main et lui demanda :
« Tu t’es inscrit au club ?
_Non.
_Tu devrais. »
A seize heures trente, les activités des clubs cessèrent. Shin et Pierce retrouvèrent Aspidistra et Phoebe aux portes du lycée. Ils rentrèrent ensembles. Shin les avertit qu’il devait faire quelques emplettes avant de rentrer et les abandonna à l’angle de Victory Avenue et de Reggan Street. Pierce décréta qu’ils devaient raccompagner Aspidistra, ce que Phoebe approuva et ils partirent donc vers Church Avenue.
« Je voulais te dire que nous étions sérieux tout à l’heure à propos de Shin, commença Pierce.
_Il a vraiment beaucoup d’affection pour toi, reconnu Phoebe.
_Mais je reconnais qu’il ne fera jamais le premier pas.
_Pourquoi ? » s’enquit Aspidistra. « Ce doit avoir un rapport avec sa mère adoptive. » Cette pensée lui traversa l’esprit sans qu’elle en laissa rien paraître.
« Il n’a pas encore trouvé au fond de lui la force pour surmonter la perte de Georgina.
_Et puis il est idiot… Mais il y a plus grave… » Le visage des jumeaux se fermèrent et s’assombrirent.
« Il est atteint de deux « problèmes » génétiques quasi-inconnus, les mots semblaient douloureux pour Pierce. Son groupe sanguin est unique au monde – en tous cas d’après les médecins – c’est le groupe S, comme Shin. Ce groupe est inconnu des scientifique mais d’après quelques tests ils sont arrivés à deux conclusions : un, il ne peut pas donner son sang et deux, il ne peut pas en recevoir. Mais le plus grave, c’est son instabilité génétique : son ADN n’est pas stable. Il peut avoir des transformations génétiques foudroyantes : avant il avait les cheveux blond, presque blanc, en un mois ils sont devenus noir de jais. La dernière mutation génétique qu’il a connue a frappé au niveau des yeux, en une semaine ils ont pris leur couleur actuelle.
_C’est pour ça qu’il ne veut pas se marier, il ne veut pas que ses enfants soient comme lui : anormaux selon ses propres termes, poursuivit Phoebe.
_Pourquoi vous me dîtes tout ça ?
_Pour que tu puisses l’aider. Chacun de nous a eu sa façon à lui de réagir face à la mort de Georgina et d’extérioriser ses sentiments, Pierce par le rire et le sport, moi par la danse et Shin par la violence.
_On est arrivé. »
Ils l’embrassèrent et s’en furent. Aspidistra les regarda disparaître dans les profondeurs de la ville. Une larme coula sur sa joue, elle pensait à lui plus par compassion que par devoir pour une fois…
Il y eut un soir, il y eut un matin…
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