De trente hivers mauvais en vain montrent grandi.
Je ne peux pas aller, rester. Quoi que je fasse,
Malgré moi c’est vers toi que je me vois conduit.
Je te tiens, je veux fuir comme la chienne emporte
Son petit dans ses dents. J’ai peur d’être étranglé.
À chaque instant je suis giflé par la cohorte
Des années où j’ai vu mon destin se briser.
Nourris-moi car j’ai faim, borde-moi car je gèle,
Vois comme je suis bête. Occupe-toi de moi.
Ton absence est un courant d’air qui me flagelle.
La peur me quittera si tu lui parles, toi.
Quand tu m’as regardé, ma vie fut une fable,
Quand tu m’as écouté, j’ai vu les mots tarir.
Fais que je ne sois plus cet homme inexorable,
Que je sache tout seul comment vivre et mourir.
J’ai dormi sur le seuil, repoussé par ma mère.
J’ai voulu me cacher en moi-même, insensé.
Sur moi rien que le vide et sous moi que la pierre.
Dormir! C’est à ta porte que je viens frapper.
Sais-tu qu’il y en a qui pleurent en silence
Et qui sont cependant aussi durs que je suis.
Vois: pour toi mon amour est de telle puissance
Qu’avec toi maintenant je peux m’aimer aussi.
Jozsef Attila
(traduit par Guillevic)
le vent et la nuit
et tout ce qui vit
sont doux avec toi
Si tu n'en veux pas
le pain est sans goût
le soleil fuit, fade,
ainsi la colère
ainsi l'avenir
Tout ce que je touche
se brise aussitôt
en deux parts bien nettes
pour mieux nous unir
Si tu n'y es pas
Le ciel et la terre
Pour moi sont étroits
tout comme l'été,
tout comme l'hiver,
tout comme le jour,
tout comme la nuit
Comme le passé
comme le printemps
comme notre enfant.
Illyès Gyula
Avec tes
cheveux de suie
Ô mon petit ange clair,
D'où viens-tu donc
par ici,
Si lointaine mais aussi
La plus proche, la plus chère
?
Comme un géant maladroit
Je
me penche vers la terre.
Des nuages, je te vois
Et je m'incline
vers toi,
Ô ma petite étrangère!
Elle n'entend, ne voit
rien,
Le monde entier n'est pour elle
Qu'un ventre noir et sans
fin
— Dans l'autre, qu'on était bien! —
Elle pleure et se
rebelle.
À travers ses yeux bridés,
De Chine vient son
regard.
Elle va se préparer
Tout à l'heure à ressembler
À
ceux d'ici, les Magyars.
La voici qui s'achemine,
Tout
droit, par-delà son but,
De son antique origine,
Du Japon ou
de la Chine,
Pour nous réclamer son dû.
Dans la fumée du
lointain
M'arrive d'un ciel austère,
Sous la neige du
matin,
Ma parente de si loin,
La plus proche, la plus
chère.
Je voudrais avec ta mère
Déjà m'avancer vers
toi,
Pour te dire la manière
Dont tes semblables
trouvèrent
Leur nom, leur foyer, leur foi.
C'est le but de
ton voyage.
Ton front, tes lèvres, tes yeux,
Étiquettes du
bagage,
L'inscrivent sur ton visage :
C'est celui de mes
aïeux.
Parmi tous ceux de la terre,
J'aurais su que
c'était toi.
Je le crois dur comme fer,
J'aurais dit : c'est
mon affaire,
Ce colis est bien pour moi.
Te voici dans ta
maison,
Maintenant et à jamais.
C'est là que Dieu, à ton
nom,
Déballera tous ses dons,
Les tiens, ô mon doux
paquet!
Comme l'étoile sur l'onde,
Le soleil dans la
prairie,
Ta figure toute ronde
Est celle de tout un monde,
Chez
nous, chez toi, en Hongrie.
Là tu trouveras ta mère,
Ta
maison et ta patrie,
Et moi, poète, ton père,
Dans la brume
où je me perds,
Où l'avenir m'engloutit.
Je t'embrasse.
Un jour, vois-tu,
D'autres en feront autant.
Tu vois ici le
début
Et la fin, et ce grand but,
L'espoir suprême,
l'enfant.
Fillette aux cheveux de suie,
Ô toi, mon petit
mystère,
Mon cadeau de Mongolie,
Si lointaine mais aussi,
La
plus proche, la plus chère.
Illyès Gyula
Adaptation
de Lucien Feuillade
(Poètes d'aujourd'hui - Éditions Seghers 1966)
rózsaszin orrát a hajnali ég,
árassza ránk, mint meleg állat
mezei, hazai lehét.
Be szép a völgyek kis világa
ottlent s ittfent e szálloda;
nyers légben, fényben a szük erkély
mintha a mennyből nyílana.
Fenyők és felhők... Jöjj ki mellém,
úgy ahogy vagy... már süt a nap.
Meglátnak, - legfeljebb a fecskék
s még vigabban sikonganak.
Még ragyogóbban, részegebben
köröznek ott a nap előtt,
forgatják ezt a vaksi bolygót,
ezt a tündöklő, gyors Időt !
Amelyből minket kiragadtak
csapongva megint és megint
összefonódó, fonódva is
csapongó öleléseink.
Illyès Gyula
Les Hirondelles
Ouvre la porte, que le ciel
Du petit matin montre sa frimousse...
Qu'il nous lèche un peu comme un animal
De son souffle qui sent la mousse.
Ce petit monde, qu'il est beau!
Là-bas les vallées, ici notre hôtel.
Dans l'air cru d'en haut et dans la lumière
Notre balcon s'accroche au ciel.
Nuages... pins... viens près de moi.
Viens comme tu es. Vois, le soleil brille,
Et qui peut te voir ? Mais les hirondelles!
Et c'est alors qu'elles babillent
Et vont tourner dans le ciel,
Plus que jamais ivres, plus éclatantes
Et feront tourner la planète aveugle,
Celle du temps, la scintillante
Dont vont pouvoir nous arracher,
S'élançant encor, s'élançant toujours,
Enchaînées dans un seul enchaînement,
Nos étreintes, mon bel amour...
Adaptation de Guillevic
(Poètes d'aujourd'hui - Éditions Seghers 1966)
Szàllingozo hopelyhek közt àlltam
Miközben a sàrga villamosra vàrtam
Fehér hoszônyeg lepte be az utat
Amely a Duna fényei felé mutat
Fenyôfàknak friss illata lebeg
A téli hàzak függönye remeg
Beigli iz a szobàk abroszàn
Mosoly virul a gyermekek arcàn
Fehér sapkàk bolyhai alatt
Nagyanyok hada lassacskàn halad
A havas uton vigyàzva mennek
Mert a csuszkàlàstol ôk bizony remegnek
Majd kiderül az ég a ho elolvad
A tél helyébe a tavasz mosolya fakad
Kivirul a vilàg csilingel a viràg
Bekukucskàl hozzànk ibolya s hoviràg.
Zsuzsanna Palàsti
A Budapest
J'attendais le tram
Sous les flocons de neige
La route recouverte d'un tapis moelleux
Patinait vers le Danube
Parfum de sapin partout
Les rideaux des maisons frileuses frissonnent
Sur les nappes sourient les gâteaux de Noël
Et le sourire ébauche sur les lèvres des enfants
Sous la douceur des bonnets blancs
Les groupes des dames marchent avec lenteur
Les pas lents les protègent
D'inutiles glissades
Puis le ciel sourit
La neige disparaît
Le monde brille, les fleurs chantent
Les perce-neige et les violettes dansent
Commentaires