posté le 24-01-2015 à 22:03:19

Tu as refait de moi cet enfant

Tu as refait de moi cet enfant que les traces

De trente hivers mauvais en vain montrent grandi.
Je ne peux pas aller, rester. Quoi que je fasse,
Malgré moi c’est vers toi que je me vois conduit.

 

Je te tiens, je veux fuir comme la chienne emporte
Son petit dans ses dents. J’ai peur d’être étranglé.
À chaque instant je suis giflé par la cohorte
Des années où j’ai vu mon destin se briser.

 

Nourris-moi car j’ai faim, borde-moi car je gèle,
Vois comme je suis bête. Occupe-toi de moi.
Ton absence est un courant d’air qui me flagelle.
La peur me quittera si tu lui parles, toi.

 

Quand tu m’as regardé, ma vie fut une fable,
Quand tu m’as écouté, j’ai vu les mots tarir.
Fais que je ne sois plus cet homme inexorable,
Que je sache tout seul comment vivre et mourir.

 

J’ai dormi sur le seuil, repoussé par ma mère.
J’ai voulu me cacher en moi-même, insensé.
Sur moi rien que le vide et sous moi que la pierre.
Dormir! C’est à ta porte que je viens frapper.

 

Sais-tu qu’il y en a qui pleurent en silence
Et qui sont cependant aussi durs que je suis.
Vois: pour toi mon amour est de telle puissance
Qu’avec toi maintenant je peux m’aimer aussi.

 

Jozsef Attila
(traduit par Guillevic)

 


 
 
posté le 24-01-2015 à 22:02:02

Ma Femme

Le champ et le fleuve

le vent et la nuit
et tout ce qui vit
sont doux avec toi

 

Si tu n'en veux pas
le pain est sans goût
le soleil fuit, fade,
ainsi la colère
ainsi l'avenir

 

Tout ce que je touche
se brise aussitôt
en deux parts bien nettes
pour mieux nous unir

 

Si tu n'y es pas
Le ciel et la terre
Pour moi sont étroits
tout comme l'été,
tout comme l'hiver,
tout comme le jour,
tout comme la nuit

 

Comme le passé
comme le printemps
comme notre enfant.

 

Illyès Gyula

 


 
 
posté le 24-01-2015 à 22:00:33

Berceuse

Avec tes cheveux de suie
Ô mon petit ange clair,
D'où viens-tu donc par ici,
Si lointaine mais aussi
La plus proche, la plus chère ?


Comme un géant maladroit
Je me penche vers la terre.
Des nuages, je te vois
Et je m'incline vers toi,
Ô ma petite étrangère!

Elle n'entend, ne voit rien,
Le monde entier n'est pour elle
Qu'un ventre noir et sans fin
— Dans l'autre, qu'on était bien! —
Elle pleure et se rebelle.

À travers ses yeux bridés,
De Chine vient son regard.
Elle va se préparer
Tout à l'heure à ressembler
À ceux d'ici, les Magyars.

La voici qui s'achemine,
Tout droit, par-delà son but,
De son antique origine,
Du Japon ou de la Chine,
Pour nous réclamer son dû.

Dans la fumée du lointain
M'arrive d'un ciel austère,
Sous la neige du matin,
Ma parente de si loin,
La plus proche, la plus chère.

Je voudrais avec ta mère
Déjà m'avancer vers toi,
Pour te dire la manière
Dont tes semblables trouvèrent
Leur nom, leur foyer, leur foi.

C'est le but de ton voyage.
Ton front, tes lèvres, tes yeux,
Étiquettes du bagage,
L'inscrivent sur ton visage :
C'est celui de mes aïeux.

Parmi tous ceux de la terre,
J'aurais su que c'était toi.
Je le crois dur comme fer,
J'aurais dit : c'est mon affaire,
Ce colis est bien pour moi.


Te voici dans ta maison,
Maintenant et à jamais.
C'est là que Dieu, à ton nom,
Déballera tous ses dons,
Les tiens, ô mon doux paquet!

Comme l'étoile sur l'onde,
Le soleil dans la prairie,
Ta figure toute ronde
Est celle de tout un monde,
Chez nous, chez toi, en Hongrie.

Là tu trouveras ta mère,
Ta maison et ta patrie,
Et moi, poète, ton père,
Dans la brume où je me perds,
Où l'avenir m'engloutit.

Je t'embrasse. Un jour, vois-tu,
D'autres en feront autant.
Tu vois ici le début
Et la fin, et ce grand but,
L'espoir suprême, l'enfant.

Fillette aux cheveux de suie,
Ô toi, mon petit mystère,
Mon cadeau de Mongolie,
Si lointaine mais aussi,
La plus proche, la plus chère.


Illyès Gyula
Adaptation de Lucien Feuillade

(Poètes d'aujourd'hui - Éditions Seghers 1966)

 


 
 
posté le 24-01-2015 à 21:59:33

Fecskék

Nyisd ki az ajtót, nyujtsa be

rózsaszin orrát a hajnali ég,
árassza ránk, mint meleg állat
mezei, hazai lehét.

 

Be szép a völgyek kis világa
ottlent s ittfent e szálloda;
nyers légben, fényben a szük erkély
mintha a mennyből nyílana.

 

Fenyők és felhők... Jöjj ki mellém,
úgy ahogy vagy... már süt a nap.
Meglátnak, - legfeljebb a fecskék
s még vigabban sikonganak.

 

Még ragyogóbban, részegebben
köröznek ott a nap előtt,
forgatják ezt a vaksi bolygót,
ezt a tündöklő, gyors Időt !

 

Amelyből minket kiragadtak
csapongva megint és megint
összefonódó, fonódva is
csapongó öleléseink.

 

Illyès Gyula

 

Les Hirondelles

 

Ouvre la porte, que le ciel
Du petit matin montre sa frimousse...
Qu'il nous lèche un peu comme un animal
De son souffle qui sent la mousse.

 

Ce petit monde, qu'il est beau!
Là-bas les vallées, ici notre hôtel.
Dans l'air cru d'en haut et dans la lumière
Notre balcon s'accroche au ciel.

 

Nuages... pins... viens près de moi.
Viens comme tu es. Vois, le soleil brille,
Et qui peut te voir ? Mais les hirondelles!
Et c'est alors qu'elles babillent

 

Et vont tourner dans le ciel,
Plus que jamais ivres, plus éclatantes
Et feront tourner la planète aveugle,
Celle du temps, la scintillante

 

Dont vont pouvoir nous arracher,
S'élançant encor, s'élançant toujours,
Enchaînées dans un seul enchaînement,
Nos étreintes, mon bel amour...

 

Adaptation de Guillevic
(Poètes d'aujourd'hui - Éditions Seghers 1966)

 


 
 
posté le 24-01-2015 à 21:57:12

Szàllingozo hopelyhek közt àlltam

Szàllingozo hopelyhek közt àlltam
Miközben a sàrga villamosra vàrtam
Fehér hoszônyeg lepte be az utat
Amely a Duna fényei felé mutat

 

Fenyôfàknak friss illata lebeg
A téli hàzak függönye remeg
Beigli iz a szobàk abroszàn
Mosoly virul a gyermekek arcàn

 

Fehér sapkàk bolyhai alatt
Nagyanyok hada lassacskàn halad
A havas uton vigyàzva mennek
Mert a csuszkàlàstol ôk bizony remegnek

 

Majd kiderül az ég a ho elolvad
A tél helyébe a tavasz mosolya fakad
Kivirul a vilàg csilingel a viràg
Bekukucskàl hozzànk ibolya s hoviràg.

 

Zsuzsanna Palàsti

 

A Budapest


J'attendais le tram
Sous les flocons de neige
La route recouverte d'un tapis moelleux
Patinait vers le Danube

 

Parfum de sapin partout
Les rideaux des maisons frileuses frissonnent
Sur les nappes sourient les gâteaux de Noël
Et le sourire ébauche sur les lèvres des enfants

 

Sous la douceur des bonnets blancs
Les groupes des dames marchent avec lenteur
Les pas lents les protègent
D'inutiles glissades

 

Puis le ciel sourit
La neige disparaît
Le monde brille, les fleurs chantent
Les perce-neige et les violettes dansent

 


 
 
 

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