posté le 10-10-2009 à 22:15:59

Petite fleur...

Petite fleur sauvage,
Tu germes en mon coeur.
Petite fleur de rêve,
Tu hantes mes nuits.
Petite fleur de vie,
Tu déchires mon voile d'agonie.
 
Petite fleur de rage,
Tu embrases mon coeur.
Petite fleur d'esclave,
Tu efface mon ennui.
Petite fleur ravie,
Tu es l'attribut de mon ennemi.
 
 Petite fleur d'innocence,
Tu mènes ma dance.
Petite fleur d'hier,
Tu rends mon âme
Prisonnière.
 
Petite fleur, je t'aime.
 


 
 
posté le 05-10-2009 à 13:01:14

Nouvelle(5)

            Je lui rendais la lettre respectueusement.

« Paul a toujours conservé trois documents sur lui : cet lettre de son père qui est le dernier témoignage que celui-ci lui a laissé avec une photo de ses parents et de son parrain, une photo de nous et de nos enfants et une feuille avec des indications et le code de la cassette qu’il conservait dans son bureau et que je devais ouvrir s’il venait à mourir. Elle contient la messe des morts qu’il a écrite. » 

Je restais silencieux, un peu déconcerté.

« Mon mari ne vous aurez pas reproché une telle question. Mais nous agissons tous comme il l’aurait fait pour nous. Comprenez bien, j’aime mon mari et par de là la mort je sais que je lui resterai fidèle. Alors tant qu’il reste ne serai-ce qu’une parcelle d’espoir, je ferai comme lui : je jouerai à pile ou face sur le meilleur jeu que j’ai, le sien.

_ Il en est de même pour nous. Si Paul ne nous avait pas réunis, s’il ne nous avait pas poussés, s’il ne nous avait pas faits confiance, nous ne serions pas là. Aujourd’hui, c’est à nous de lui faire confiance, de le pousser comme nous le pouvons, » trancha Pierce qui fut approuvé tacitement par les autres membres du groupe.

La porte derrière nous s’entrouvrit lentement. Et trois petites têtes blanches jaillirent dans la pièce : deux garçons et une fille, un peu plus jeune.

« Tonton Pierce !

_ Tonton Pierce !

_ Tonton Pierce !

_ Oh ! mes élèves préférés ! Avez-vous appris vos leçons ?

_ Oui, tonton ! crièrent les garçons en se mettant au garde à vous alors que la fille faisait une révérence.

_ C’est bien.

_ Tonton, j’ai appris une chanson, tu peux me dire si tu la reconnais ? demanda le plus âgé des trois.

_ Vas chercher ta guitare. »

            Il était déjà à la porte. Le deuxième garçon prit place sur les genoux de sa mère tandis que la jeune fille se réfugiait sur ceux de Phoebe.

« C’est mon premier fils, Robert ou Bobby, il a six ans. Ce petit diable-là s’appel Patrick, il a cinq ans, cette princesse, Victoire ou Victoria, quatre ans, et notre dernier, Peter qui dort encore, a deux ans.

_ Et je suis leur professeur, » précisa Pierce en allant chercher dans l’entrée sa propre guitare sèche.

Le petit Bobby revenait déjà, une guitare acoustique à la main.

« Tu penses que ça le réveillera ? demanda-t-il à sa mère avec un peu d’appréhension.

_ Je l’espère… répondit-elle.

_ Nous leur avons expliqué que leur père se réveillerait sûrement s’il avait un déclic. Et que celui-ci pourrait venir d’une chanson qu’il connaissait, » m’expliqua Geoff.

Bobby s’assit devant Pierce et commença à jouer. Les notes tombaient comme des larmes. James et Pierce les reconnurent et le premier entonna le couplet :

« I look at you all see love there that’s sleeping

While my guitar gently weeps… »

Le jeu de guitare était encore un peu juste techniquement parlant mais le cœur était pur et les sentiments qui glissaient aux travers de la musique embrumaient vos yeux de larmes. C’est alors que je m’en rendis compte : il n’y avait pas que les seules guitares et la voix de James qui jouaient le morceau de Georges Harrison.

« I look at the floor and I see it needs sweeping

Still my guitar gently weeps.

I don’t know why nobody told you

How to unfold your love.

I don’t know how someone controlled you

They bought and sold you. »

Un murmure. Un murmure fredonnait l’air au milieu de l’harmonie. Pierce, Bobby et James suivaient le rythme qu’il imprimait. L’élève et le maître étaient assis face à face, les yeux fermés, la tête levée et les doigts dansant comme des funambules sur les cordes.

« I look at the world and I notice it’s turning

While my guitar gently weeps.

Witch every mistake we must surely be learning

Still my guitar gently weeps. »

Je compris d’où il venait, je me tournais vers le lit. Paul. Paul Wyss chantonnait. Le masque respiratoire était détaché… 

Pierce s’était relevé tel le vieux lion refusant d’abandonner son territoire, il s’était mis debout fermement cambré sur ses deux pieds. Ses longs cheveux de soleil volaient dans son dos alors qu’il suppliait les sons de venir à lui. J’en restais assis, écrasé dans mon fauteuil tant par la maîtrise technique du guitariste que par le murmure de l’absent. Tout ce que j’avais pu entendre jusqu’à présent s’effaça de ma mémoire. Rien ne vaut la vérité du directe.

« I don’t know how you were diverted

You were perverted too.

I don’t know how you were inverted

No one alerted you. »

La musique lancinante de l’oscilloscope avait repris un rythme plus rapide et entrainant : celui d’un cœur éveillé.

« I look at you all see love there that’s sleeping

While my guitar gently weeps.

Look at you all…

Still my guitar gently weeps. »

Le final semblait avoir été écrit pour cet instant. Pierce resta silencieux lorsque les dernière notes tombèrent et je ressentie clairement l’onde de la musique s’écouler en moi…  Voyant que j’allais applaudir, Pierce posa délicatement un doigt sur sa bouche pour m’imposer le silence. Et prenant son neveu par l’épaule, il ferma les yeux, les traits de son visage s’adoucissant peu à peu.

« Le silence après les Beatles est encore d’eux, disait ton père… » Il marqua une pause puis le poussa en avant. « Va le retrouver. » 

Bobby regarda par-dessus l’épaule de son oncle puis bondit en avant suivit de son frère et de sa sœur. Phoebe s’éclipsa pour chercher Peter.

«  Papa ! » s’écrièrent les enfants en sautant sur le lit. 

Une larme perlait le long de la joue opaline de Paul. Lorsque sa petite famille se jeta sur lui, ses yeux s’entrouvrirent, ses bras se levèrent et les serrèrent contre lui. Puis ses yeux se posèrent sur chacun puis fixèrent sa femme avec un mélange de tendresse et de surprise.

« Le noir ne te va pas… darling. »
 


 
 
posté le 05-10-2009 à 13:00:09

Nouvelle(4)

            Tous approuvèrent silencieusement. Je me retournais vers Angelina.

« La seule fois où je l’ai vu s’en servir sur une scène, c’était plus ou moins par accident… C’était pour le concert de Noël du lycée. Chaque classe devait préparer un petit sketch. Mais nous avions eu quelques petits contretemps et notre spectacle n’était pas vraiment prêt. Heureusement, il y a eu un petit problème technique…

_ Un seul micro fonctionnait sur vingt-cinq, me souffla Geoff. Petit problème technique, on avait simplement oublié de les brancher.

_ … et un gros quart d’heure de battement en perspective. Alors on a, un peu…

_ Beaucoup, en fait, me glissa Geoff.

_ … poussé Paul sur scène pour distraire les invités en se servant de l’unique micro valide. Il était venu avec cette guitare parce qu’il était trop en retard. Il nous a fusillés du regard mais il est monté sur scène. Il a dit quelques mots d’excuse à l’assistance puis a annoncé le morceau qu’il allait interpréter. Un murmure de stupéfaction parcourut le parterre. Mais quand il a commencé à jouer tous les doutes se sont dissipés : c’était bien la Toccata de Bach.

« A la guitare ? » répondirent mes mains instantanément.

« A priori, il n’avait pas d’autre instrument. »

            « Comment ? » crièrent mes bras du mieux qu’ils purent. « Ce n’est pas possible ! Ce morceau se joue au piano, à l’orgue ou au clavecin, mais pas à la guitare ! »

« Oui et non, répliqua Laurence qui m’avait compris. Paul pratiquait cet instrument depuis plus de onze ans à ce moment-là. A partir d’un certains point, l’instrument n’est plus le problème mais plutôt le message que l’on veut transmettre. »

            Je répliquais de la manière la plus claire possible. Mais au bout de quelques palabres, je décidais de poser les questions différemment. Je demandais à Laurence de traduire sans répondre. Elle accepta.

« Vous décrivez cet homme comme un malade tyrannique surdoué alors pourquoi continuez-vous à le soutenir. Sauf votre respect, vous êtes encore jeune ! Vous, dit-il à l’attention d’Angelina, vous pourriez refaire votre vie ! Vous, il désignait à présent les membres du groupe, vous pourriez continuer sans lui ! Vous êtes des artistes reconnus pour leur talent pas pour leur leader, non ? Je ne comprends pas… »

            Angelina arrêta Laurence d’un geste de la main.

« Un jour effectivement j’ai demandé à Paul pourquoi il s’obstinait à être aussi dur alors qu’il aurait pu avec les autres membres du groupe être plus souple. Il ne m’a pas répondue, il a glissé sa main dans la poche de son veston et en a tiré une feuille de papier… »

            Elle fouilla dans un meuble et en tira une vieille lettre manuscrite qu’elle me donna.

 « Paul,

 

Pour répondre à ton interrogation de ce matin, j’aimerais te dire ce que mon père m’avait dit lorsque je lui avais demandé la même chose. Si un jour tu dois te demander si tu dois faire des choix ou si tu doutes, repenses à ce poème de Kipling :

 

« Si tu peux voir détruit l'ouvrage de ta vie
Et sans dire un seul mot te mettre à rebâtir,
Ou perdre d'un seul coup le gain de cent parties
        Sans un geste et sans un soupir ;


Si tu peux être amant sans être fou d'amour,
Si tu peux être fort sans cesser d'être tendre
Et, te sentant haï, sans haïr à ton tour,
        Pourtant lutter et te défendre ;


 Si tu peux supporter d'entendre tes paroles
Travesties par des gueux pour exciter des sots,
Et d'entendre mentir sur toi leurs bouches folles
        Sans mentir toi-même d'un seul mot ;

 

Si tu peux rester digne en étant populaire,
Si tu peux rester peuple en conseillant les rois

Et si tu peux aimer tous tes amis en frère
        Sans qu'aucun d'eux soit tout pour toi ;

 

 Si tu sais méditer, observer et connaître
Sans jamais devenir sceptique ou destructeur ;
Rêver, mais sans laisser ton rêve être ton maître,
        Penser, sans n'être qu'un penseur ;

 

Si tu peux être dur sans jamais être en rage,
Si tu peux être brave et jamais imprudent,
Si tu sais être bon, si tu sais être sage
        Sans être moral ni pédant ;

 

Si tu peux rencontrer Triomphe après Défaite
Et recevoir ces deux menteurs d'un même front,
Si tu peux conserver ton courage et ta tête
        Quand tous les autres les perdront,


Alors les Rois, les Dieux, la Chance et la Victoire
Seront à tout jamais tes esclaves soumis
Et, ce qui est mieux que les Rois et la Gloire,


        Tu seras un homme, mon fils. »

 

 Le courage, c’est de toujours se sentir insatisfait tant que l’on sait que l’on peut faire plus. Voilà ce que m’a dit mon père quand je lui ai demandé pourquoi il travaillait autant et voilà ce que j’espère qu’un jour tu répondra à ton fils s’il te pose cette question.

Paul ta mère et moi sommes très fière de toi. Reste sage avec ton parrain (et ne fais pas l’idiot avec Pierce pour embêter Phoebe), nous serons de retour demain.

Ton père qui t’aime.

Roger Wyss. »
 


 
 
posté le 05-10-2009 à 12:58:33

Nouvelle(3)

            Le groupe était parti dans un grand éclat de rire mais je ne savais toujours pas où me mettre. Ma défunte grand-mère m’avait toujours enseigné de me tenir en toutes circonstances de manière irréprochable. Précisons-le immédiatement, ici je n’avais aucune idée de ce que cela voulait bien pouvoir dire. Geoff me donna une petite tape amicale sur l’épaule pour me sortir de l’embarras.

« Paul et Angelina se sont mariés à 18 ans et quelques semaines, peu après la sortie de notre premier disque sous le label d’EMI. Je crois que Paul a toujours rêvé d’avoir une famille. C’est ce qu’il a toujours recherché en définitive auprès des autres : une famille. »

            Angelina, qui s’était levée pour aller chercher une tasse de thé, fut la première à réagir à mon étonnement.

« Les parents de Paul – Roger et Elspeth Wyss – sont morts dans un accident de voiture alors qu’il n’avait que 10 ans. Il a ensuite perdu sont parrain, et tuteur, précisa-t-elle, le Père Ange Innocenti qui fut emporté par un cancer foudroyant alors que Paul venait d’avoir 15 ans. Il vivait seul dans l’ancien appartement de ses parents et s’occupait parfois des enfants d’un petit orphelinat fondé par sa mère et tenu par un ami de la famille.  C’est alors qu’il est entré au lycée. »

            Je lisais dans ses yeux et dans la langueur de sa voix tout l’amour qu’elle lui portait malgré les épreuves qu’elle subissait. Au-delà du deuil qu’elle portait, je voyait le soleil qui l’éblouissait : l’ombre du mari couché là pris dans ce qui pouvait apparaître comme une constante agonie.

« Je pense que tu aimerais que nous t’expliquions comment le groupe s’est formé, s’avança Pierce.

_ Il faut comprendre que Paul a commencé à apprendre à jouer de la guitare et du piano à l’âge de 4 ans, commença James. Cet élément a une importance particulière pour deux raisons. La première est qu’il a tout d’abord reçut pendant près de six ans une éducation musicale très classique : flamenco, jazz, blues, country, folk pour la guitare et le piano, ce n’est qu’ensuite qu’il s’est attaqué au rock, à la pop et au heavy. La seconde est qu’il est imprégné jusqu’à la moelle de la certitude que la musique peut influencé le monde et c’est pour cela qu’il s’est battu pour le fonder en fonction de l’idée qu’il s’en faisait : il ne voulait pas faire un groupe de rock comme les autres, il voulait fonder un groupe où ce serait la musique qui aurait la première place et pas l’argent ou un style particulier…

_ Paul a connu deux autres aventures musicales avant de se lancer dans celle des Jeff’s, continua Pierce. Deux groupes qui ont implosé du fait de dissensions entre lui et les autres musiciens, ce que je peux comprendre. »

            Je les interrogeais du regard.

« L’enfer, c’est la seule comparaison qui puisse s’appliquer à son comportement lorsqu’il était en répétition ou en enregistrement, répondit Geoff.

_ Même sur un ring de boxe, je n’ai jamais rencontré personne qui puisse m’effrayer comme il l’a fait le jour de l’enregistrement de notre premier album avec EMI, » poursuivit John.

            Je relevais les bras et me lançait dans une lente demande de précision.

« Tu peux allez plus vite, je « parle » couramment le langage des signes, m’affirma Laurence. Il veut savoir ce que vous entendez par là.

_ Paul nous a toujours imposé un rythme effréné mais il a toujours soutenu un rythme plus infernal encore, expliqua Floyd. J’avais obtenu l’autorisation des membres du groupe de les filmer à chaque instant quand ils se trouvaient en studio : en quatre ans, il s’est entraînait plus que quiconque pour repousser ses propres limites et faire découvrir au groupe de nouveaux horizons. »

            Ils marquèrent une pause pour observer Paul. Je ne m’attendais à aucun changement et il n’y en avait effectivement aucun, son oscilloscope était stable. Geoff poursuivit :

« Ce qu’il faut entendre dans cette histoire, c’est la manière tout à fait rationnelle qu’il a eu de diriger le groupe. Imaginez tous les matins, nous nous réunissions et il posait la question habituelle : « Qui a une idée de chanson, de mélodie ou de texte ? » Et les idées fusaient – plus ou moins. Si nous avons pu enregistrer plus de deux cents chansons réparties sur dix-huit albums, dont trois en indépendant, en sept ans, c’est grâce à ce système.

_ Mais… mais comment trouviez-vous ?

_ Sois spontané pour réussir. C’est un conseil que Paul avait lu quelque part et qu’il nous rappeler dès que nous séchions, fit Geoff.

_ Quand la musique s’exprime par nous, nous ne sommes plus l’homme que nous sommes : nous sommes la voix de celui qui nous inspire. Quand la musique s’exprime en nous, nous n’avons pas de passé nous n’avons qu’un avenir que nous bâtissons avec des croches, des soupires, des tierces et des silences, récita James.

_ Il n'est point de bonheur sans liberté, ni de liberté sans courage, ayons le courage d’apporter du bonheur aux autres… Paul adorait cette citation… et adorait nous la ressortir quand on lui demandait une pause, avoua Pierce.

_ Paul avait… tendance à… toujours vouloir aller plus loin ou plus haut, la voix de John était grave, hésitante mais surtout rocailleuse. Il nous transmettait une sorte de feu sacré qui nous transcendait. »

            « Combien ? Combien de chansons ont-ils pu composer en quatre ans ? » pensais-je à cette instant. Laurence Colin me fixa puis éclata de rire.

« Plusieurs centaines… en comptant les esquisses ! »

            « Elle lit dans mes pensés, ce n’est pas possible autrement. »

« … c’est le répertoire complet du groupe. Bien sûr la plupart n’ont jamais été poussées jusqu’à l’enregistrement studio ou le concert live.

_ Attention à ce que tu vas dire plus de soixante-dix pour cent de ce répertoire est sur bande maintenant, coupa Pierce.

_ Soixante-dix pour cent…? s’étonna Angelina. Quand est-ce que vous avez ?

_ La veille de son accident, tu t’en souviens, Paul nous avait, demandé de venir le lendemain directement au studio… C’était pour lancer ce qu’il avait baptisé le projet « Come back. » Il voulait… »

            Il marqua une courte pause en jetant une série de coup d’œil discret aux autres musiciens. Puis ils s’écrièrent tous ensemble :

« … réenregistrer tout ce que nous avions composer jusque là. »

« C’est-à-dire quelques centaines de compositions, » notais-je.

« Sur le coup, je vous accorde qu’on n’y a pas cru mais le lendemain quand nous avons vu pour la première fois allongé sur ce lit blanc comme un linceul dans cet environnement aseptisé et glacé, nous nous sommes jurés de faire ce qu’il voulait que nous fassions : nous avons réenregistré, avec Floyd et Georges Preuss. Pour la guitare solo, nous avons utilisé les enregistrements améliorés qu’avaient réalisé Paul. Même si nous pensons que Paul voudra les réenregistrer s’il se réveille. »

            Il marqua une pause.

« D’autre part, nous avons eu la preuve presque irréfutable du désir de Paul de refaire ce que nous avions composé.

_ Une preuve ?

_ Paul est arrivé en studio, en tout cas il y serait arrivé, avec deux choses qu’il ne prenait jamais : ses partitions et sa guitare.

_ Il ne prenait jamais sa guitare ?

_ Tous les guitaristes ont plusieurs guitares. Paul ne faisait pas exception, il en avait quatre : une Les Paul 100 avec table en érable, une Roxane 200 standard qu’il laissait au studio, la Nash que tu vois là-bas et une guitare que son père avait fabriqué, un modèle unique, une sorte de violin guitare à douze cordes. C’est grâce à elle qu’il est encore en vie, d’ailleurs.

_ La guitare a amorti sa chute en quelque sorte, m’expliqua Angelina.

_ Il ne l’utilisait pratiquement jamais en publique, » acheva Pierce.
 


 
 
posté le 05-10-2009 à 12:55:47

Nouvelle(2)

            Je crus défaillir quand le pas de la porte fut franchi par les visiteurs. Tout d’abord, s’introduisirent Geoff Colin, bassiste des Jeff’s, les cheveux bruns mi-long, qui vint s’asseoir à côté de moi, James Marcy, chanteur, pianiste et violoniste du groupe, cheveux châtain coupés mi-court laissaient entrevoir un front fier et droit, Pierce Harkes, guitariste rythmique et cousin de Paul, cheveux blonds longs, et John Warin, le batteur, un colosse de plus de deux mètres aux cheveux roux coupés court et à la musculature imposante. Puis ce furent Kate Sand, épouse Marcy, la personne chargée de sillonner les villes des tournés afin de définir les groupes assurant la première partie des concerts des Jeff’s, Phoebe Harkes, épouse Fleury, la préposée, avec Angelina, à l’intendance du groupe pendant les tournées, Floyd Fleury, leur photographe attitré, réalisateur de leurs films promotionnels et ingénieur du son de leurs derniers albums. Enfin Laurence Dilis, épouse Colin, la madame presse/relations publiques, conseillère en communication du groupe, vint prendre place à côté de son mari. En un instant, l’ensemble de l’organisation Jeff’s s’était réuni autour de moi.

« C’est le journaliste dont je vous ai parlé, prévint Angelina.

_ Hum… Tu veux en savoir plus sur Paul ? demanda Pierce. Pas la peine de répondre, dit-il alors que je levais les avant-bras, c’est bon. On n’est pas ici pour te manger mais qu’une personne parmi nous qui peut te comprendre. Tu racontes ? »

            Angelina approuva d’un signe de tête.

« Hormis Pierce et Phoebe qui sont ses cousins, nous avons tous vu Paul pour la première lors d’un match de boxe d’exhibition l’opposant au meilleur boxeur lycéen de la ville : Ralph Ensein, ce fut un massacre. Il s’inscrit au Lycée Thomas Jefferson l’année suivante avec un double objectif en tête : prendre sa revanche sur Ralph et, nous devions le comprendre après, réunir le meilleur groupe de musique de la ville.

_ Tenez, dit Phoebe  en me tendant un classeur bleu ouvert, c’est ce que j’ai écrit dans mon journal le jour de l’arriver de Paul. »

            Je l’ouvris et parcourus l’écriture fine, académique jusqu’au bout des ongles, presque une écriture de machine :

« … Il ne s’ouvre pas aux autres. Mais s’il reste en retrait, j’ai l’intime conviction qu’il se plaira dans cette ambiance… s’il arrive à se faire oublier des autorités disciplinaires… »

            Simple et lapidaire, je reconnais bien le style de communication qui allait les caractériser par la suite. Je continuais ma lecture en tournant les pages au hasard. Je changeais de section : l’écriture était plus relâchée, plus souple. C’était celle d’Angelina. Je m’arrêtais sur un passage marqué d’une étoile : la première expérience de « couple » de Paul et d’Angelina.

« … Paul sourit et tira une bouffée sur sa cigarette.

« Toujours aussi polisson celui-là. »  Je venais de le rejoindre et lui jetais un regard bizarre.

« Tu parles tout seul maintenant ? 

_Je réfléchissais, veux-tu. » Il fit quelques pas puis s’arrêta et tendit la main vers moi. « Tu viens ? Je te raccompagne. »

Je restais figée pendant un court instant puis courut vers lui, pris sa main tendue et répondis. « Oui. »

[Le lendemain matin, appartement de la famille Coll.] J’ouvris les yeux, lentement je me relevai sur son lit, passai une main dans ses cheveux avant de chercher à tâtons l’interrupteur. Je m’appuyai sur le mur contre lequel était disposé mon lit et mes paupières retombèrent. J’avançais d’un pas tout à fait quelconque vers les grilles du lycée. Paul y était, il discutait avec quelqu’un qui me voyant approcher préféra partir. Peu m’importait ce que cette dernière pensait de moi. Il m’attendait, j’en étais sûre. Je le taquinai, il répondit puis tendit sa main dans son dos, vers moi… Je sentis mon cœur s’embraser, je m’élançai et attrapai cette main. Celle-ci était ferme et réconfortante. Elle se referma sur la mienne, la tira en avant et je glissai doucement contre son dos.

Il ne broncha pas et continua à avancer dans une rue transversale jusqu’à une moto cadenassée à un panneau de signalisation.

« On rentre ? »

Paul souriait comme sourit un enfant qui vient de commettre une bêtise et qui ne cherche en aucun cas à s’en excuser. C’est alors que je discernai dans ce regard toute l’espièglerie qui l’habitait. Paul enfourcha la moto et je montai derrière lui.

« Accroche-toi. »

Je passai mes mains autour de son buste, posai ma tête sur son épaule gauche, entendis les battements de son cœur : réguliers au début puis de plus en plus rapide. Il roulait vite, nos cheveux flottaient dans le vent, une bruine légère humectait l’ovale de nos visages. Paul et moi n’avions aucun regard pour les maisons défilant autour d’eux, nous ne ressentions rien mise à part le vent qui fouettait nos figures. Je ne pensais qu’à une chose : que ce moment dure le plus longtemps possible. Je rouvris les yeux, je me sentais bien. »

Un renvoi en bas de page indiquait que la suite se trouvait une centaine de page plus loin. Je levais les yeux pour m’assurer du fait que je pouvais continuer à lire.

« La suite est l’un des rares textes que Paul ait accepté de nous transmettre, » m’indiqua Phoebe.

« J’avais du mal à comprendre ce qui avait bien pu me passer par la tête la veille au soir quand j’avais raccompagné Angelina. Je me souvenais d’avoir rouler avec elle sur ma moto pendant un petit moment. Une étrange sensation se dégageait de ce souvenir : douce et amer à la fois, comme si j’avais voulu que cet instant ne s’arrêta jamais alors même qu’il était une souffrance. Mais il y avait quelque chose au de-là de celle-ci, je l’avais bien  compris lorsque Angelina m’avait quitté. Il n’en restait pas moins que je ne voulais en aucun cas recommencer cette expérience de conduire une moto avec un poids mort constamment sur les épaules. « Attitude très dangereuse, soit dit en passant, » pensai-je tout en beurrant ma tartine de pain grillé.

« Je ne suis vraiment qu’un idiot. Je mettrai les choses au clair avec Aspidistra aujourd’hui. Je sens que ça va encore poser des problèmes. »

            Cette prédiction était on ne peut plus réaliste. Lorsque je m’assis à ma place à côté d’elle, elle fit d’abord mine de l’ignorer. « Bon, ça se présente mieux que je ne l’aurais cru, » pensa-t-il. Je tentais alors de lancer la conversation :

« Au fait, Angelina, tu sais pour hier…  

_Oui ? » Ses yeux brillaient d’une lueur particulière où la joie, l’espoir et l’attente se mêlaient en un feu indomptable.

« Il faudrait qu’on en parle tout à l’heure… 

_D’accord. » J’eus clairement l’impression que cette idée ne lui convenait pas du tout mais son acquiescement paraissait naturel. « Elle n’a rien compris du tout, » me dit-je en moi-même… »

            Je relevai les yeux. Tous me regardaient d’un air amusé en attendant une réaction dont je pouvais supposer qu’elle devait être, dans leur esprit, intéressante. Angelina vint à mon secours.

« Voyez-vous nous étions jeunes et un peu timides…

_ Comme lorsque vous vous êtes mariés, non ? demanda Pierce goguenard.

_ Oui, merci Pierce pour cette remarque. »
 


 
 
 

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